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Causes À Effets ?

Par Mélina Loupia
Comme il semblerait qu’en ce moment je sois adepte malgré moi de la poisse, je peux dire que je frise la paranoïa.   Pas plus tard qu’à quelques minutes universelles d’ici, il pleuvait. Pas du crachin, non, la pluie des films hollywoodiens. La réserve d’eau en plastique placée au dessus des fenêtres ruisselantes au travers desquelles il est mélancolique de voir Manhattan orpheline.   Prise d’une frénésie domestique mue par le déclenchement des heures creuses, je me lève d’un bond ou deux de Ténérife, abandonnant une partie acharnée de Jewel Quest II et cours vers la salle de bains. Là m’attendait la corbeille à linge sale, chaude comme une baraque à frites tellement qu’elle était pleine. J’entasse et j’étreins 2 petits kilos de chaussettes à haute teneur en puanteur, et autres sous-vêtements dont le doux parfum des colchiques chimiques n’était plus qu’un lointain souvenir. Je vole jusqu’au cellier, je vire la poubelle qui n’avait rien à foutre sur mon chemin, le fais rouler l’étendoir qui voulait me griller la priorité et j’enfourne le linge. Un demi-verre de poudre largement nécessaire au traitement de la tâche, je rabats son claque-merde au hublot, je fais tourner le programmateur sur «  lave vite et bien sinon je te démonte la façade », je fais demi-tour et tombe nez-à-nez avec le lave vaisselle entrouvert, d’où s’échappe un fumet de vieille assiette de midi qui sèche. Comme ça sent plus la croquette pour chat bon marché que la denrée bien fraîche, je colle une pastille « tout en un mais juste la vaisselle » dans la gueule de la machine, lui claque la porte au bec et presse le petit bouton magique « vas t’allonger je m’occupe de tout ».   Je ferme la porte du cellier et j’oublie, je ne rêve que d’une chose, c’est poursuivre ma partie.   Je n’ai pas atteint ma station horizontale que le noir se fait, et avec lui le silence de circonstance, suivi de très près par mon troupeau d’enfants qui surgit hors de la nuit du couloir. « On s’en fout, on s’en fout, on a nos consoles qui éclairent nous ! -Gna gna, moi, mon Marilion, il vous atomise vos DS avec mon 17 pouces. -Maman t’es la plus forte. -T’as pas une bougie, j’ai envie d’aller pisser là. -Non, j’ai pas de bougie, mais prends donc mon pc. -Non ça va aller, je vais pas coder aux chiottes, je vais juste pisser. -Alors tu t’assieds t’es gentil, déjà qu’avec la lumière, tu traverses en dehors des clous… -Ça va, ça va…  -Chut les enfants ! »   Le silence se fait rapidement, faut dire que Lara Fabian à côté de ma gueulante, elle paraît enrouée.   La pluie avait cessé de tomber, quasiment en même temps que la lumière venait de s’éteindre.   Je sors sur la terrasse trempée, sur la pointe des pieds, pour ne pas troubler ce non-bruit, même mon souffle se fait court et retenu. On dit que le silence est d’or, ce soir, il est d’ébène. En effet, ma vue panoramique sur toute la vallée m’offre un spectacle inédit. Pas un scintillement alentours. Pas un souffle d’air. Pas un son. Comme s’il neigeait en noir.   Je m’attarde encore quelques instants tant le bien-être procuré par cette ambiance presqu’apocalyptique me fascine et je rentre, c’est que je me gèle les pieds.   Je récupère ma partie en cours grâce à la batterie à 77% et la vie continue. Les enfants sont entassés à côté de moi, ils font leurs fiers mais le trio est soudé pour le moment, épaule contre épaule, flanc contre flanc, pieds nickelés. Dans le bureau de Copilote, l’onduleur monte en gamme et commence à irriter passablement tout le monde.   Au moment où nos yeux sont définitivement amis avec l’obscurité, la lumière est. Le frigo accuse le coup et tape dans la cloison. La machine à pain hurle son bonheur d’être à nouveau alimentée. Le four clignote joyeusement qu’il est midi pile et Placenta fait jaillir Prison Break dans le salon.   À nouveau la clarté, le bruit. À nouveau l’image et le son.   « Ahhhhhhhh ! -Dommage, c’était bien. -C’était chouette. -Vous voyez c’était comme ça avant. -Avant quoi ? -Avant les parents. -Enfin, y avait pas la DS. -Et les familles étaient plus nombreuses hein. -Alors je dis vive la lumière. -On veut pas de petite sœur nous. -Risquo parès. -Hein ? -Ça veut dire que maman est en ménopause. -Comment tu sais papa ? -Elle est chiante. -Tu devais pas coder toi ce soir ? -Non, c’est Prison Break et d’ailleurs, ça continue de tourner à la télé pendant qu’on cause chiffons. -Maman, j’ai froid tout d’un coup. »   Dehors, la pluie tombe en cordes serrées. Comme elle ne ruisselle pas encore du toit, je déduis que l’averse a dû arriver avec la lumière. Petit à petit, les petits points lumineux au loin reprennent leurs places et délimitent à nouveau la vallée, ses petits villages plongés dans la nuit. Je tente de distinguer les maisons. Je tente d’imaginer les gens dedans. J’essaye d’entendre les conversations.   Avaient –ils eux aussi cru qu’ils étaient responsables de la coupure de jus ? Avaient-ils partagé un fugace mais vrai moment de complicité familiale ? Avaient-ils eux aussi remarqué que la pluie avait cessé de tomber quand la lumière avait disparu ? Avaient-ils eux aussi remarqué qu’elle avait repris quand elle était revenue ?   Avaient-ils eux aussi fait la relation de causes à effets ?

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