L'enjeu du réel

Parfois, comme tant d’autres, vous tou-te-s sans doute, il m’arrive de douter de la réalité. C’est de Pierre Guyotat, dans « Coma » (Ed. Mercure de France) : « Jadis, dans une de mes premières séances de cinéma après-guerre, 1947, avant le grand film et après les « actualités » si sombres et si frivoles alors, un court-métrage racontant le traitement et la guérison d'un homme atteint d'amnésie : dans une grande salle un peu obscure, de celles qu'on voit dans La Ruée vers l'or ou dans Les Rapaces, sale, basse et longue, des thérapeutes reconstituent (le patient est couché, sous hypnose, tout habillé sur un lit fermé à l'avant-scène sur la gauche du plan), sur les témoignages des proches de cet homme (un soldat peut-être revenu du front d'Europe ou d'Asie), le lieu et le moment du déclenchement de la lésion ; dans le fond droit de la salle une infirmière cuisine sur une cuisinière charbon, fait frire des œufs au plat : le crépitement de la graisse dans la poêle commence, les thérapeutes dégagent les oreilles du patient sur les oreillers, le crépitement augmente, d'autres sons aussi tout autour avec de plus en plus de force, le patient - sa jambe commence de trembler, puis le corps, puis le tronc, enfin, tous les sons au maximum - se lève sur son séant et tend ses bras devant lui. Il répond aux questions sur son passé immédiat puis de plus en plus ancien... Après une fête politique, où la poussière et les slogans renforcent ma détresse, la décision est prise de me faire interner. »

[illustration disponible sur le site propriétaire de l'image]