Magazine Science

Évolution : et que ça saute!

Publié le 11 juin 2009 par Timothée Poisot

Avant-propos : Ce texte paraîtra très probablement dans la version papier du Plume! numéro 11, mais je le livre à votre attentive lecture en avant première.

L’évolution est complexe. Elle a souvent une direction, jamais de sens. On a longtemps considéré qu’évoluer, c’était se laisser porter dans cette direction, en faisant chaque petit pas (mutation de son ADN) l’un après l’autre. Mais cette route est quand même assez difficile et à chaque pas, on se prend sur le coin du nez la matraque de la sélection, tout en étant poussé par le vent changeant de la dérive. Où mène cette route? Vers la terre promise de l’état d’adaptation, dans lequel on aura récolté, au cours du chemin, le patrimoine génétique qui permet d’être optimal dans notre environnement. Que l’environnement change, et il faudra se remettre en route, mais c’est une autre histoire.

Du coup, face à tant d’adversité, il est tentant de se dire qu’on va laisser la marche à petits pas à ceux que les longs pèlerinages amusent, et se déplacer par sauts. Quitte à se taper tout le chemin, autant prendre les raccourcis…

Mais voilà, on ne fait pas n’importe quoi avec l’évolution et c’est papy Charles Darwin qui l’a dit, en admettant, selon ce que lui écrivait Thomas Huxley dans sa lettre du 23 novembre 1859 (la veille de la parution de L’origine des espèces), «sans réserve que Natura non facit saltum». Autrement dit, Darwin a clairement annoncé qu’il convenait de se tenir tranquille et que la nature était avisée de ne pas faire de saut. L’évolution est graduelle, et on fait les petits pas un par un.

C’était sans compter la première loi de Murphy du vivant : «Under any given set of environmental conditions an [...] animal behaves as it damn well pleases» . Or il plaît à la nature de sauter dans tous les sens et ne reste qu’à trouver un moyen de faire ces sauts. Considérons un organisme, réduit à son génome, comme un collier de perles, dans lequel chaque perle représente une fonction donnée. Si vous voulez faire quelque chose de nouveau, plutôt que de resculpter la perle par vous-même, il est plus simple de demander à un voisin plus ou moins coopératif s’il ne l’a pas en stock. Et ça, c’est courant dans la nature, notamment chez les bactéries. Mais si on ne peut pas se permettre de faire toutes les petites subtilités bactériennes? C’est simple. Il suffit d’avoir des virus.

Les virus sont de sales bêtes. Des parasites intra-cellulaires, obligatoires (ils ont toujours besoin d’un hôte pour se reproduire, ce qui n’est pas le cas de tout les parasites), qui squattent sans vergogne la machinerie cellulaire de leur hôte, et qui de temps en temps empruntent un bout de son génome pour caler quelques gènes, et se laissent multiplier tranquillement. Une fois leur méfait accompli, ils récupèrent leur génome répliqué aux frais de la princesse, et leurs protéines synthétisées sans beaucoup plus d’efforts, assemblent le tout, et partent. Mais comme l’entropie d’une cellule est comparable à celle d’un bureau de chercheur (sans les restes de bouffe et les tasses de café demi-vides qui retournent à la vie sauvage), parfois, tout ne se passe pas comme prévu!

Il arrive que le virus perde des bouts en route et laisse un morceau de son génome chez son hôte. Vous vous imaginez, vous, avec une polymérase virale? Si non, dites vous bien que c’est super efficace, et qu’une cellule qui en récupère une va se mettre à se répliquer super vite. Vous voyez l’avantage par rapport aux autres? Plus fort encore, les virus prennent de temps en temps des gènes de leur hôte [1]. Par exemple, les phages (des virus qui s’attaquent spécifiquement aux bactéries) de cyanobactéries marines portent des gènes de la photosynthèse, et notamment ceux qui contrôlent des étapes critiques (plus particulièrement, des gènes qui codent des protéines qui se dégradent très vite à la lumière). Autrement dit, quand le phage arrive dans une cellule, et qu’il porte les gènes codant pour des protéines utilisées par cette cellule, il lui donne les moyens d’avoir un métabolisme de super niveau [2] (et en retour, le phage est sûr d’avoir longue vie et prospérité, puisque ses possibilités de croissance sont limitées par celles de son hôte).

Bien entendu, cette «solution» qui évite de faire toute la route pas par pas apporte son lot de problèmes. Comment maintenir ces nouveaux gènes, qui portent un coût (si vous ajoutez des perles sur votre collier, vous finissez par avoir super mal au cou!)? Une joyeuse bande d’évolutionnistes Montpelliérains a montré que différents facteurs environnementaux, dont la présence de parasites, pouvait agir comme un facteur de maintien de ces gènes dans les génomes de leurs hôtes [3]. En plus d’avoir des mécanismes complexes pour assembler le collier, des facteurs encore plus nombreux agissent pour le faire tenir ensemble.

Dans les dernières années, ce mécanisme de transfert de gènes a reçu une attention théorique et expérimentale considérable. On peut maintenant déclarer avec certitude que, quoiqu’en aie pensé Darwin, la nature peut faire des sauts! En cette année qui lui est consacrée, n’oublions pas non plus tout ce qui a été accompli en 150 ans sur la base d’un livre et surtout n’oublions pas que Darwin n’était pas seul à son époque. L’exemple du transfert latéral de gènes, que nous venons de survoler ici, permet de mettre un peu de lumière sur Thomas Huxley, qui sans avoir été à l’origine de la révolution conceptuelle que représente la théorie de l’évolution, se posait des questions similaires au même moment que Charles et avait eu (au moins) l’intuition que la nature saute.

Et c’est maintenant un fait connu que les gènes se promènent d’un génome à l’autre, soit en utilisant des phages comme taxis, soit dans l’environnement sur un morceau de génome abandonné suite à la mort de son propriétaire, ou de multiples autres manières. Face au constat que la génomique donne raison à Huxley, même quelques centaines d’année plus tard, il n’est pas difficile d’être d’accord avec Cocteau, quand il nous dit que la science sert aussi a vérifier les découvertes de l’instinct !

Notes

  1. Derelle, E., Ferraz, C., Escande, M., Eychenié, S., Cooke, R., & Piganeau, G., et al. (2008). Life-Cycle and Genome of OtV5, a Large DNA Virus of the Pelagic Marine Unicellular Green Alga Ostreococcus tauri. PLoS ONE, 3(5), 2250.
    Go to document

    [↩]

  2. Bragg, J. G., & Chisholm, S. W. (2008). Modeling the Fitness Consequences of a Cyanophage-Encoded Photosynthesis Gene. PLoS ONE, 3(10), 3550.
    Go to document

    [↩]

  3. Escobar-Paramo, P., Faivre, N., Buckling, A., Gougat-Barbera, C., & Hochberg, M. E. Persistence of costly novel genes in the absence of positive selection. Journal of Evolutionary Biology, 22(3), 536-543.
    Go to document

    [↩]


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Timothée Poisot 6 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte