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Les invisibles blessures

Par Chatperlipopette
Les invisibles blessures
Ferdinand Bouvier est un drôle d'homme: il a été un soldat exemplaire sur le front lors de la Grande Guerre, sauvant au péril de sa vie maints hommes des entonnoirs monstrueux où ils auraient agonisé sous la mitraille infernale des tranchées, un résistant hors pair lors de l'Occupation, mais est un mari et un père odieux, sans tendresse ni ombre d'affection. Pourquoi, comment un homme qui est capable d'immense altruisme peut-il devenir un personnage violent, teigneux, pingre avec les siens?
La narratrice enquête, bien après la disparition de Ferdinand dans les limbes sombres d'un camp de concentration, sur la vie peu commune de cet homme qui au fil des pages s'avère être un étonnant baroudeur, un baroudeur de la guerre et un excellent officier sorti du rang. Elle interview les enfants de Ferdinand qui ne peuvent s'empêcher d'avouer que l'annonce de son arrestation fut un grand soulagement....enfin ils allaient pouvoir respirer et vivre sans crainte de voir une claque ou une volée de coups s'abattre sur eux. Un carcan invisible s'envole dans la mémoire familiale, chiche en bons souvenirs, riche en peurs au ventre et grande solitude.
Lentement, la narratrice amasse témoignages et impressions, passe du temps au coeur des archives militaires où elle glane les hauts faits de son anti-héros: Ferdinand est un anti-héros qui exhale un goût amer et ne peut qu'inspirer l'antipathie du lecteur. Ferdinand, monstre envers les siens et ange protecteur envers les autres, un homme qui s'est construit une cage, qui a élevé autour de son coeur des barbelés, ceux des tranchées, ceux des camps d'extermination, ceux d'un monde qui ne veut plus rien avoir à faire avec l'extérieur....sauf pour partager des petits verres de blanc, le soir, avant de rejoindre l'enfer familial qu'il s'est aménagé avec la constance d'un fou.
Derrière la vie de Ferdinand s'écoule les images d'une guerre meurtrière, démente, faite de feux, de boue, de pluie, de corps désarticulés, de gnôle, de baillonnettes fouillant les chairs, d'ordres mortifères, de gaz délétères, d'agonies et de pleurs. Des tranchées de Verdun aux Dardanelles en passant par le chemin des Dames, la vision apocalyptique d'un conflit à la violence inouïe déroule les pièces de l'âme de Ferdinand qui ont lâché, les unes après les autres, en un rictus invisible et d'autant plus irréversible. Ferdinand....une gueule cassée de l'intime?
Derrière la résistance de Ferdinand, coule la longue colonne des damnés en costume rayé, ceux qu'un autre rouleau compresseur dépouille et dépèce sans relâche, jusque dans les profondeurs de leur moëlle, sous le regard aveugle des villageois, au coeur d'une campagne où très vite les blés remplaceront un devoir de mémoire impossible à exercer.
Sans doute Ferdinand a-t-il perdu une grande partie de lui-même entre Verdun et Sébastopol, sans doute n'a-t-il pu panser les plaies trop profondes de son âme, peut-être n'a-t-il pas voulu retourner dans le monde des hommes qui oublient le pire pour tenter de mieux recommencer, certainement s'est-il égaré pour toujours dans un brouillard où les émotions réveillent trop les démons.
L'homme barbelé est un roman saisissant, remuant nombre d'émotions et de sentiments aussi divers qu'encombrants: Ferdinand ne laisse pas indifférent, on le déteste, pour sa dureté, ses violences et son manque de tendresse conjugale, paternelle, et on éprouve de la tendresse pour lui, être maltraité par une vie qu'il n'a en rien souhaitée. L'ambivalence des sentiments fait, malgré les longues descriptions des faits militaires, des faits de guerre, la force de ce roman qui mêle à l'horreur quotidienne des moments d'apaisement lorsque l'oeil de la narratrice s'arrête sur le jardin de Ferdinand, sur une scène pastorale, sur un paysage d'une infinie douceur....autant de baumes qui ne font que cacher une misère humaine. Un beau premier roman qui à travers l'Histoire contemporaine,ses conflits et ses périodes après-guerre, porte aussi un fort message de paix.

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