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Nicolas Sarkozy, ce multirécidiviste du discours sécuritaire

Publié le 01 juin 2009 par Petiterepublique

page_couverture12Il faut dire qu’il nous oblige à parler de lui tant le président ne laisse aucun répit à ses contradicteurs qui ne peuvent se résoudre à lui concéder le moindre pouce de terrain, notamment en dénonçant une certaine idéologie toujours sous-jacente. En premier lieu, notons avec un certain esprit non dénué de persifflage qu’au pays de l’inculte notre premier magistrat serait fait roi. Il suffit pour cela de prendre connaissance de l’anecdote que nous fait partager Fabrice Pliskin dans un billet fort savoureux qui atteste de l’inculture évidente de Nicolas Sarkozy. À n’en pas douter, s’il devait passer sous un portique à détecter la vacuité culturelle, l’entrée dans tout établissement lui serait interdite. Par contre, en matière de sécurité, Nicolas Sarkozy démontre encore tout son savoir faire (peur à la nation), notamment lors de son récent exposé du 28 mai où la dimension électoraliste du propos n’aura échappé à personne [1].

La messe sécuritaire est à nouveau dite. Dans sa dernière intervention, en guise de préliminaire, le président d’inverser le stigmate en déclarant sans complexe que c’est la criminalité qui favorise la souffrance sociale et non l’inverse! Alors, nous le renvoyons aussitôt aux données admises par l’ensemble de la communauté scientifique et plus particulièrement au conséquent rapport produit en 2008 par le Centre International pour la Prévention de la Criminalité (CIPC). Selon ces experts, quatre causes majeures sont identifiées comme favorisant le crime: l’urbanisme, les conflits, la pauvreté et les inégalités [2]. Mais, évidemment ce ne sont là que les propos des tenants de « la dictature des bons sentiments ». Nouvelle formule pour une pensée figée.

Ensuite, le président de s’appuyer sur les mauvais chiffres de la délinquance – expression populaire qui ne veut absolument rien dire tant le spectre des actes mesurés est grand - pour justifier un nouveau cran sécuritaire, stigmatisant les quartiers de relégation, affirmant que les indicateurs des crimes et délits ont augmenté sur les deux derniers mois, alors que chacun sait combien la mesure du crime reste totalement imparfaite et si facile à manipuler, même si le chef de l’État répète à l’envie que l’outil statistique est inchangé depuis plus de 35 ans, ce qui garantirait la rigueur des chiffres et validerait leurs variations. Là encore, il n’est qu’à lire la littérature spécialisée pour admettre la dimension erronée de cette affirmation [3]. Chacun sait que l’état 4001 ne mesure aucunement ni les méthodes ni les pratiques policières, et encore moins la politique pénale décidée par le pouvoir. Churchill ne déclarait-il pas: « je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées ». Mais, on en conviendra n’est pas le vieux lion qui veut! [4]

En outre pour celles et ceux qui douteraient de la célérité de notre institution justice, il n’est qu’à lire l’article rédigé par Gilles Sainati, magistrat de son état, dans la dernière édition du Monde diplomatique pour mesurer le chemin parcouru par cette dernière depuis le milieu des années 1990 [5]. Cette thèse/synthèse est édifiante, véritable reflet des aspects les plus pervers induits par la pénalisation croissante de notre société notamment illustrée par l’approche actuarielle [6] .

Puis Nicolas Sarkozy de persister dans son antienne classique, récitant les faits divers qui ont défrayé la chronique pour illustrer un propos au plus loin des données scientifiques, donnant largement dans la surenchère, tel un pigiste travaillant pour le compte de la presse la plus sordide du genre. Mais il ne faut reculer devant rien pour justifier le nouvel arsenal législatif répressif qui se prépare [7], feignant d’oublier cette véritable insécurité sociale qui mine la société française en particulier, et le monde en général. En ce jour où le dernier tenant de cette « ultra-gauche anarcho-autonome » vient d’être libéré, il faut bien focaliser l’attention sur ces autres figures notoires de la dangerosité qui vivent principalement en banlieue et qui menacent tant notre société. Ainsi, Nicolas Sarkozy promet de nettoyer au jet haute pression toutes les caves et autres halls d’immeuble, mais encore de mener une véritable guerre à tous ces délinquants qui  nuisent tant au peuple de banlieue. C’est ici l’affaire de la police judiciaire et de la justice, n’est-il pas? Faut-il croire à leur inexistence?

Concernant l’éducation nationale, il faudrait donc sécuriser les établissements scolaires « difficiles » tant le seuil de tolérance aux actes violents est désormais dépassé. Il s’agirait donc de sanctuariser nos lieux d’éducation, en faire de véritables monastères où seule la prière au saint savoir serait autorisée. Mais, puisqu’il faut le rappeler et n’en déplaise à tous les nouveaux thuriféraires de la vie scolaire, l’école n’est pas un lieu saint puisque c’est la laïcité qui prévaut. Les mots ont un sens, monsieur le président, il ne faut point les avilir. Si l’angélisme n’est pas de mise, il faut tenter l’objectivité pour poser une étiologie sérieuse du phénomène qui serait dénuée de toute arrière pensée idéologisante, ce à quoi s’astreignent nombre de chercheurs irréprochables [8]. Le propos de Nicolas Sarkozy se situe à l’opposé de ces fondamentaux puisqu’il ne s’agit que de justifier répression et contention à travers un énoncé qui en permanence instrumentalise les souffrances de la population.

Certes il n’y aura pas de portiques (en l’état actuel des propositions) mais des amendes, des fouilles plus systématiques, des pouvoirs renforcés pour les chefs d’établissements qui se verraient secondés par des personnels de sécurité à la retraite, le tout placé sous vidéo surveillance. Pour les détails nous attendrons la prochaine rentrée scolaire, car d’ici là, la boite à idées sécuritaires n’est pas refermée. Toutefois, si on souhaitait abolir le reste de confiance qu’il pouvait y avoir entre l’institution école et ses élèves on ne s’y serait pas mieux pris. En matière de rupture, force est de reconnaître les aptitudes hors normes affichées par Nicolas Sarkozy.

Dans les yeux et dans les faits il faut contester le discours et l’idéologie du chef de l’État lorsqu’il s’adonne à ce populisme pénal des plus indigne de la fonction. Le rôle d’un chef d’État ne peut se résumer à celui d’un pompier pyromane. Dés lors, il ne faut absolument pas laisser le champ libre à cette pratique abusive qui, au final, non seulement s’avère contreproductive, mais contribue à fabriquer une société clivée, scindée, irréconciliable parce que recroquevillée sur elle-même du fait de tous ces préjugés qui perdurent parce que notamment perpétués par une droite devenue si extrême qu’elle a su vampiriser l’électorat nationaliste. C’est d’ailleurs en cela qu’elle se veut décomplexée! On ne peut se satisfaire d’une telle dérive sécuritaire injustifiée qui empile les dispositions légales pour sans cesse accroitre un filet pénal pourtant déjà des plus impitoyable. Ce n’est pas dans cette direction que se réaliseront les transformations indispensables de notre tissu social qui attend non seulement plus de mixité ainsi qu’un partage plus équitable des ressources.

Ce président qui se voulait grand rassembleur ne sera au final qu’un grand diviseur/inquisiteur qui ne produira aucun des résultats annoncés au soir de son élection, véritable parangon de la paranoïa collective qu’il ne manque jamais de susciter.

Non, monsieur le président, ni l’école ni les quartiers populaires, ni les opposants à votre démagogie n’ont besoin de ce tout sécuritaire que vous n’avez de cesse de vendre à la nation avec la plus grande déraison. Ce dont notre société a besoin, c’est de lien, de mélange, de cohésion afin d’entamer cette réelle « pacification sociale » indispensable[9]. Qu’on le veuille ou non, c’est vers ces inévitables valeurs que nous tendrons car elles seules sauront garantir un monde meilleur au plus grand nombre, et même les plus réticents devront s’y soumettre.

[1] Discours du 28 mai 2009

[2] Rapport international sur la prévention de la criminalité et la sécurité quotidienne: tendances et perspectives, 2008, p.35.

[3]Jean-Hugues Matelly, Christian Mouhanna, Police, des chiffres et des doutes, éditions Michalon

Evelyne Sire-Marin, Statistiques judiciaires ou présentation d’un vrai-faux bilan?

[4] Serge Portelli, Rupture, Chapitre I: les faux bilans de Sarkozy

[5] L’indépendance de la justice n’est plus un dogme, Le Monde diplomatique, juin 2009.

Gilles Sainati & Ulrich Schalchli, La décadence sécuritaire, éditions La Fabrique, 2009.

[6] Thibaut Singeneyer, La nouvelle pénologie, une grille d’analyse des transformations des discours, des techniques, et des objectifs dans la pénalité, in Champ Pénal.

[7]LOPPSI 2

Concernant la production politique des chiffres, consulter le remarquable site Pénombre.

[8] Éric Debarbieux, La violence en milieu scolaire. 1) État des lieux, éditions ESF, 1999.

Les actes de violence recensé par le SIVIS en 2007/2008

[9]  Interview de Laurent Mucchielli parue dans Le Monde du 25 mars 2009


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