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Les spin doctors qui nous gouvernent

Publié le 01 juin 2009 par Petiterepublique

liberez-coupatQuand Julien Coupat a été libéré, je me trouvais enfermé dans une salle de déferrement du tribunal d’Evry avec un jeune damné des cités, deux policiers et une substitut du procureur tout juste sortie de l’école. Le gars portait son pantalon bas sur les hanches, pas uniquement un effet de style mais parce qu’on lui avait retenue sa ceinture à la fouille. Il portait sa vie sur sa gueule édentée. De déconneur à l’école jusqu’à abonné à Fleury. Modèle rappeur hard core. Il avait déjà été attrapé avec une arme en sa possession. Et voilà qu’il avait eu la bonne idée de s’afficher en photo sur un blog avec une carabine 22 long rifle. Les policiers avaient simplement téléchargé et imprimé la photo. Flagrant délit. Sur l’image, derrière lui et son copain, il y avait une liste de noms de policiers qui travaillaient au commissariat d’Evry. Sur le port d’arme, il était en récidive légale et tombait donc sous le coup de la loi des peines planchers que Rachida Dati et Nicolas Sarkozy avaient mis en place avec force communication. Dura Lex, Sed Lex. Les délinquants allaient échapper à une possible mansuétude des juges. Calquée (en version adoucie) sur le modèle américain de la loi « 3 coups et t’es mort », la loi, spectaculaire, est censée venir à bout de la récidive.
La substitut essayait de faire comprendre au rapper la signification du concept de peine plancher.
-   Vous savez ce que c’est ?
-   Ouais madame, ça veut dire que je vais prendre un maximum !
-   Non, ça veut dire que vous allez prendre un minimum de deux ans.
-   Un minimum ?… Deux ans. C’est beaucoup. Il est pas à moi le fusil, je l’ai juste pris pour la photo. Le blog on l’a enlevé d’internet, madame, il est supprimé, c’était juste pour déconner.
-   L’arme est entre vos mains, donc le délit est constitué…
-   Me chargez pas, madame.
-   On est pas là pour négocier.
Quand la substitut est sortie pour aller faire une photocopie de ses déclarations, il s’est tourné vers moi en faisant une grimace de garnement et en mimant avec ses doigts une pratique qui allait lui être interdite pendant quelques mois.
-   Free Style !

Ouais… C’est ça, free style…
Sûr que grâce aux peines planchers le rapper allait trouver le chemin du bien dans les deux années à venir…

J’ai repensé à Julien Coupat. Pas impossible qu’il soit vraiment responsable du bout de ferraille posé sur la ligne TGV, après tout. Du dossier d’enquête, il ressort qu’il tournicotait dans les parages à une heure avancée de la nuit. Il dit qu’il cherchait juste un coin tranquille pour faire l’amour avec sa copine. Peut-être. Ou pas. Peu importe. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un acte de vandalisme à peu près aussi vain que celui du gars à capuche qui faisait des grimaces obscènes sous mon nez.

Mais les spin doctors qui nous gouvernent savent tirer parti de tout.

Le vandalisme qui parvient à peine à retarder un train est marketé en menace aussi lourde que Al Qaeda. Et voilà la division anti-terroriste qui débarque en grand tralala. Des cagoules au 20 heures pour la mouvance « anarcho-autonome ». La presse, mise dans la « confidence » a reproduit la communication du ministère de l’Intérieur, les faux tuyaux qu’on lui offrait. Et il a fallu un certain temps pour qu’on puisse questionner le réel. Le niveau de dangerosité de ce petit groupe.

Julien Coupat, j’ai lu son interview dans le Monde. Un rebelle bien sympathique, lettré, qui manie les ismes avec aisance. Un révolutionnaire avec salaire et voiture de fonction offertes par son papa (lu ça dans Libération aujourd’hui, sans grande surprise, les fils à papa ont toujours fait les meilleurs révolutionnaires). La presse a fini par se réveiller et fouiller un peu dans les éléments concrets (les faits…) pour réaliser qu’ils étaient bien minces dans le dossier de l’accusation. Levée de boucliers. Coupat devait sortir. Et il est sorti.

Au regard de la justice, on ne peut que se réjouir de sa libération, un dossier vide est un dossier vide. Tant pis pour les flics si leur ministre a préféré la communication à l’enquête. Un autre gars est entré dans la cellule de déferrement, ce matin là. Noir, lui aussi. Lui, s’était fait pincer avec cent grammes d’herbe. Dommage pour lui, six mois auparavant, la police l’avait trouvé avec 25 grammes de cannabis. Récidive légale. Peine plancher. A nouveau, la substitut du procureur a tenté de lui expliquer le concept.
- Vous pouvez prendre quatre ans de prison.
- Quatre ans de prison, lâche le jeune, sidéré ? Mais c’est juste pour ma consommation, je deale un peu pour me rembourser mais c’est surtout moi qui fume… Vous allez pas me mettre quatre ans pour ça, madame ?…
- C’est la peine plancher que vous risquez…

Julien Coupat nous ressemblait. Même éducation. Des petites lunettes rassurantes. Voilà ce qui, sans doute, lui a valu notre attention. Ces lascars à capuche en revanche nous effraient. Ils viennent des territoires barbares. Oubliés des médias. Pourtant… Il faudrait suivre de près les jeunes condamnés aux peines planchers. Vont ils se réinsérer ou devenir les citoyens d’une nouvelle nation, la nation carcérale ? Aux États-Unis, la gestion policière et carcérale des classes populaires a produit un monde en soi. Deux millions de détenus, une véritable économie. Une planète d’où l’on ne sort jamais vraiment. Un jeune noir sur trois est passé entre les mains de la justice ou de la prison.

Moins d’argent dans les écoles. Plus de moyens dans les prisons.
C’est la voie tranquille que nous prenons.

Article écrit par Paul Moreira

  • Paul Moreira a réalisé plusieurs reportages d’investigation consacrés à l’Irak mais aussi à l’Afghanistan. Vous pouvez retrouver plusieurs de ces films sur le site de Première ligne télévision. Il tient aussi une chronique sur son blog personnel. Paul Moreira a récemment rédiger un ouvrage passionnent consacré aux médias dans le monde : “Les nouvelles censures, dans les coulisses de la manipulation de l’information” aux éditions Robert Laffont.

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