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Déflation ou marasme durable ? par Alain Sueur

Publié le 18 juin 2009 par Argoul

Différents médias font état « des risques d’une déflation prolongée ». Et d’évoquer la baisse des prix à la consommation… Mais il s’agit là de « désINflation » et pas de « déflation », comme l’a rappelé pourtant la Banque de France dans son Focus de janvier. La faute à l’anglomanie française qui se contente de traduire a minima. Les « risques déflationnistes » ne sont pas « la déflation » : toute baisse des prix à la consommation n’implique pas une baisse cumulative et continue du prix de tous les actifs, biens consommables ou durables, épargne et devises. La déflation est cette spirale dépressive où une montagne de dettes engendre des faillites bancaires et des saisies personnelles, faisant chuter les prix des actifs tels les usines ou les maisons, réduisant le pouvoir d’achat. Ce qui engendre des méventes donc du chômage, une contraction de production supplémentaire, enfin de la misère et de l’agitation sociale et politique, voire la guerre, comme dans les années 1930. L’argent ne vaut plus rien puisque la confiance a disparu, seul le troc reste - et l’or en dernier refuge. La méfiance, le ressentiment, l’agressivité ne sont que les contrecoups de cette crise des subsistances généralisée.

Même le mâle ‘label planète’ est soldé… (lol) = 

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Selon la Banque de France, trois mécanismes sont à l’œuvre dans une spirale déflationniste :

1.   L’anticipation négative : s’attendant à une baisse continue des prix, les ménages sont incités à reporter leurs achats de biens durables, réduisant la demande aux entreprises. Celles-ci diminuent leur production. Le chômage augmente, les salaires baissent et le revenu disponible des ménages diminue, faisant s’effondrer la consommation. L’anticipation est auto-réalisatrice..

2.   Le coût de la dette : la baisse de tous les prix augmente mécaniquement le coût réel des dettes - elles ne sont pas indexées sur l’évolution des prix (revenus en baisse mais remboursements identiques). C’est la thèse de l’économiste américain Irving Fisher en 1933. Cette hausse du coût dégrade la situation des emprunteurs, ce qui conduit les entreprises à réduire leurs investissements, voire à faire faillite. L’alourdissement de la dette des ménages leur fait augmenter leur épargne, voire vendre leur maison. La dégradation des perspectives conduit les banques à resserrer les conditions de crédit, voire à réaliser les hypothèques qu’elles détiennent.

3.   Paralysie de la politique monétaire : les taux d’intérêt administrés ne peuvent descendre sous zéro. Si les prix diminuent encore, les taux d’intérêt réels supportés par l’économie sont trop élevés pour que l’investissement soit rentable. Nous sommes alors dans une trappe à liquidités où la relance monétaire ne fonctionne plus.

Cette spirale dépressive a été celle des Etats-Unis et des pays européens dans les années 1930. Ses conséquences ont été moindres mais durables dans le Japon des années 1990-2005. Pour une banque centrale, qui agit principalement par le coût du crédit en fixant le niveau des taux courts, il s’agit d’un « risque asymétrique » : la déflation n’est pas le symétrique de l’inflation. L’inflation, c’est trop de liquidités disponibles et pas assez d’actifs à acheter – d’où la hausse des prix. La déflation n’est pas la simple « baisse des prix », mais la volonté de ne plus dépenser, de ne plus prêter et de ne plus investir. Il s’agit bien d’un manque de confiance, pas simplement d’une pénurie de moyens. Pour faire revenir cette confiance, les seules règles « automatiques » du marché ne suffisent pas. Si elles finissent par agir, c’est après une série de catastrophes économiques, sociales et politiques - les ajustements du marché.

Selon la Federal Reserve américaine dans un « Paper » (rapport) célèbre de juin 2002, il apparaît prudent, lorsque l’inflation est « proche de zéro », d’accentuer le levier monétaire au-delà du nécessaire en gardant des taux proches du plus bas, malgré l’inflation existante. Celle-ci pourra être aisément contrée plus tard par une remontée rapide des taux. Les taux d’intérêt ne peuvent descendre sous zéro (sinon, il faudrait PAYER les gens pour emprunter !). Ne reste alors qu’un seul levier : baisser l’impôt, mais dans une conjoncture où, inévitablement, le déficit budgétaire est déjà élevé et la dette publique importante. Au risque de voir se déprécier sa devise, faute de confiance du reste du monde et des investisseurs en emprunts d’Etat. C’est alors l’impasse, ce qui est arrivé au Japon et qui arrive aux pays développés aujourd’hui :

  • On comprend la réticence de la France à ne pas augmenter trop la dette, ne possédant pas les marges de manœuvres de l’Allemagne, de l’Espagne ou de l’Angleterre, pour avoir « mangé sa cagnotte » dans les années de croissance Jospin.
  • On comprend les interrogations chinoises sur la montagne de dettes américaine et sur la fragilité induite du dollar.
  • On comprend les réticences des investisseurs à acheter de l’emprunt d’Etat anglais et les hypothèses d’un éclatement de la zone rueo, la Grèce, l’Italie et l’Irlande étant bien plus mal en point que les autres.

Le fait qu’une banque centrale soit « indépendante » ne signifie pas, selon la Fed, qu’elle se contente d’agir « selon le règlement », sans se préoccuper le moins du monde du reste de la société. Par ces « leçons de l’expérience japonaise des années 1990 », la Réserve Fédérale américaine a montré que le capitalisme – s’il est un outil incomparable de l’utilisation efficace du capital – a besoin d’un régulateur extérieur au marché qui permette le maintien et le rétablissement de la clé de tout crédit : la confiance.

Le krach boursier et immobilier a mis fin à la spéculation nourrie par l’endettement, cela par la déflation d’actifs (terrains, immeubles, actions, produits structurés “alternatifs”), la déflation des dettes (chacun s’empresse de rembourser ce qu’il peut et n’emprunte surtout plus) et la déflation du « tout calculable » (l’effondrement de cet orgueil matheux qui probabilisait tout risque comme négligeable).

Le risque est la reprise en L, c’est-à-dire très faible ou nulle durant des années. L’investissement resterait atone, le chômage fort, la consommation effondrée, les investissements dans le nouveau modèle économique (économe, durable, humanisé, adapté à une faible croissance et à de fortes charges fixes) mettrait une décennie au moins à advenir. C’est ce qui menace l’Europe - vieillie - plus que les Etats-Unis et surtout que l’Asie, dont les besoins sont immenses. Dans ces périodes, les boursiers devront particulièrement regarder les créations d’emploi et l’indice des prix industriels. La santé du système bancaire sera le signe que la déflation de la dette est effectuée et que la repentification de la courbe des taux redonne de la rentabilité (lorsque les taux longs rapportent plus que les taux courts, rémunérant ainsi le risque pris).

En sommes-nous là ? Notre pronostic, énoncé depuis des mois, est NON. La reprise boursière actuelle est probablement une reprise technique, fondée sur la stabilisation financière et la prise de risque saisonnière classique en début d’année. L’automne devrait être plus difficile, les interrogations sur la reprise économique se feront plus aiguës et le risque de l’investissement en bourse sera croissant pour les performances annuelles, à mesure que l’échéance décembre approchera. Nous ne serions pas étonnés de voir les marchés subir une forte baisse à nouveau vers octobre.

En savoir plus :

Irving Fisher, La théorie des grandes dépressions par la dette et la déflation, 1933
Banque de France, Déflation ou désinflation ? Focus n°3, janvier 2009
Fed,
Preventing Deflation: Lessons from Japan’s Experience in the 1990s
Alain Sueur, Les outils de la stratégie boursière, Eyrolles, 2007, chapitre 2 suivre les économies, notamment p.57

Alain Sueur, auteur des “Outils de la stratégie boursière“ et rédac chef du Blog Boursier écrit régulièrement sur Fugues.


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