Magazine Culture

Le sommeil de Jonas

Par Perce-Neige

C’est la leçon que délivre du Père Mapple, dans Moby Dick (chapitre IX), avant de bénir les marins qui partent pour Tarshih... C’est l’histoire de Jonas, éternellement répétée. « Ce bateau, mes amis, fut le premier de tous les bateaux contrebandiers... Sa contrebande c'était Jonas. Mais... attendez ! Voici que 1a mer, elle, se révolte. Elle ne veut pas porter le mauvais fardeau. Un orage terrible se lève. Le bateau menace de se briser et, tandis que le maître d'équipage appelle tout son monde pour l'alléger ; quand les caisses, les ballots, les jarres, avec fracas, volent par-dessus bord ; tandis que le vent hurle ; tandis que les hommes crient ; tandis que les planchers retentissent sous de lourds piétinements au-dessus de sa tête ; dans tout ce tumulte enragé, Jonas dort de son hideux sommeil. Il ne voit ni le ciel noir ni la mer démontée. Il n'entend pas le craquement des poutres. Il n'a pas l'air de se douter qu'à ce même moment, faisant des bonds énormes, la colossale baleine fend la mer, la gueule grande ouverte afin de le happer et de l'engloutir. Oui, camarades, Jonas était descendu à l'intérieur du bateau, à ce que j'ai compris. Il était sur un lit de cabine, dormant à poings fermés.Mais, quand le maître effrayé vient jusqu'à lui et lui hurle dans son oreille morte : « Qu’est ce que c’est ?… Ho ! dormeur, debout ! » il s'éveille en sursaut et, chancelant, se dresse, puis il gagne le pont en trébuchant et là il saisit un hauban pour pouvoir regarder la mer. Aussitôt, comme une panthère, une lame fond sur lui par-dessus la rambarde ; suivie d'une autre ; puis encore d'une autre ; et comme elles ne peuvent trouver une issue rapide, elles courent en grondant d'un bout à l'autre du pont, noyant presque tous les marins qui s'y trouvent ; mais ils tiennent bon quand même. Pour Jonas, horrifié, il voit tantôt des remparts liquides au-dessus de lui, quand la lune blême apparaît ; tantôt, la pointe du beaupré qui semble s'enfoncer dans les abîmes, sous lui. « Les terreurs courent l'une après l'autre en hurlant à travers son âme. A toutes ses attitudes peureuses, il n'est que trop visible à présent que c'est un évadé de Dieu. Les marins le remarquent. Leurs soupçons vont se confirmant. Finalement, pour en avoir le cœur net, ils tirent au sort pour savoir à cause de qui cette grande tempête est sur eux. Et les dés désignent Jonas. Ils l'assaillent de questions : « Que fais-tu ? » « D'où viens-tu ? »« Ton pays ?. » « Quel peuple ? » Mais, camarades, à cet instant remarquez bien la conduite du pauvre Jonas. Avides de savoir, les marins lui demandent uniquement d'où et qui il est, et il répond non seulement aux questions posées mais encore à une autre question qu'ils n'ont pas posée, mais à laquelle Jonas est bien obligé de répondre car, à cet instant, la dure main de Dieu est sur lui. « II crie : «Je suis hébreu » ; puis : «Je crains le Seigneur, Dieu du ciel, qui a créé la mer et la terre ! » Crains-le, Jonas ; oui, à cette heure tu peux le craindre et comme il faut ! Alors il fait une confession plénière que les marins écoutent de plus en plus effrayés mais aussi tout remplis de compassion car lorsque Jonas - qui ne se met pas encore à la merci de Dieu, il sait trop bien le poids du châtiment qui l'attend – quand, donc, dis-je, le misérable Jonas leur crie de le jeter à la car c'est à cause de lui qu'ils sont en péril, ils en ont pitié. Ils cherchent s'il n'y a pas un autre moyen de sauver leur bateau. Mais c'est en vain. L'orage indigné hurle de plus belle. Alors, levant une main pour invoquer Dieu, non sans répugnance, ils portent l'autre sur Jonas. » Je retiens que Melville fait preuve d’une certaine indulgence… « Non sans répugnance », écrit-il ! Allons…


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Perce-Neige 102 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines