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Combats de moines

Publié le 13 juin 2009 par Snorri
Dans un précédent message je m'élevais, à la façon d'un moine tibétain, contre la tendance à voir dans les hommes des Temps Jadis des êtres étranges, voire idiots, au mépris de la considération de certaines continuités... En voici un bref et fort révélateur exemple : les combats pour le contrôle du Saint-Sépulchre (l'édifice contenant le tombeau de Jésus-Christ). Et je ne veux pas parler des croisades menées à ce sujet...
...Mais de combats qui ont lieu entre chrétiens de diverses dénominations, et ce, depuis l'époque de l'occupation ottomane (1517). Un temps objet d'une bataille à coups de pots-de-vin et de (parfois faux) documents entre franciscains et orthodoxes, le Saint-Sépulchre fut ensuite divisé par un « status-quo » établi par firmans du sultan(1752, confirmé en 1852). Ce status-quo est toujours en place aujourd'hui, malgré les changements de mains bien connus auxquels les régions du Moyen-Orient ont la coutume d'être sujettes, et parmi les six dénominations concernées dont il établit les droits divers (arménienne, catholique romaine, copte, éthiopienne, orthodoxe grecque, et orthodoxe syriaque) personne n'en semble satisfait, quoique tous semblent tenir à ne pas céder un iota de leurs droits, et à contester toute « violation », fût-elle infime. D'où des pugilats monacaux à répétition (voir par exemple trois incidents rapportés par la BBC [en anglais] : en juillet 2002, en avril 2008, et encore en novembre 2008).
Exemple savoureux, objet de la bataille de juillet 2002 : il s'agissait d'un moine copte chargé de se tenir assis sur le toit (qui est plat, et abrite des espèces d'habitations constituant un « monastère », voir photo et plan en début et fin de cet article [en]) afin de représenter les prétentions coptes sur une partie du toit tenue par les Éthiopiens, tenant ainsi en quelque sorte le rôle d'un garde-frontière, ou d'une force d'occupation. Toujours est-il que la force d'occupation copte décida de bouger sa chaise pour se mettre à l'ombre, mouvement de troupes contesté par les Éthiopiens. S'ensuivit un combat avec lancer de pierres, chaises et barres de fer, faisant en tout onze blessés. Apparemment, ce fut une victoire copte, puisque quatre coptes furent blessés contre sept Éthiopiens.
Je passe sur les conséquences plus ou moins amusantes de ce conflit territorial miniature, notamment le fait que l'édifice ne peut être restauré, alors qu'il en a bien besoin, car aucune des parties n'est d'accord avec les autres sur cette question. Notons plutôt le temps long impliqué dans cette guerre, dont l'objet et les conditions remontent au moins à 1752, voire avant. La nouveauté étant qu'à présent, ce sont des policiers israéliens en tenue anti-émeute qui interviennent pour séparer les combattants... De plus, le fait que les combats entre moines de différents ordres, ou de différentes abbayes, étaient apparemment chose plus ou moins courante dans la chrétienté médiévale [1]. Notons aussi le côté immanquablement « pittoresque » du conflit, qui évoqueront à l'amateur d'homines insoliti les bonnes petites guerres désuettes du temps jadis, messieurs les Anglais tirez les premiers, etc. Pourtant, cela a lieu aujourd'hui, sur une base multi-séculaire... Ce qui illustre bien toute la difficulté de déterminer ce qui évolue, et ce qui n'évolue pas.
Pour plus d'informations voir :
* deux articles d'analyse par la BBC : en 1999 et en 2008 [en],
* une synthèse que l'on peut difficilement accuser d'amusement anti-clérical, par le magazine Christianity Today [en],
* une synthèse amusante par un avocat américain amusé, sur le blog Lowering the Bar [en].
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[1] Sur le coup, je ne trouve pas de référence à l'appui, mais j'en profite pour signaler que dans le plus ancien manuel d'arts martiaux européen (Fechtbuch en allemand) connu, le manuscrit dit I.33, ce sont des combats entre un moine et un élève qui sont représentés. Le folio 4 recto conseille ainsi : caveat hic sacerdos ne faciat aliquam moram cum gladio, « ici le prêtre prendra garde de ne pas laisser [un instant de] délai avec l'épée ». Apparemment, les moines du Saint-Sépulchre sont encore tout pénétrés de cette maxime tactique.

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