Magazine Humeur

C’est triste la zone d’attente d’Orly, un Mercredi, avec ou sans Besson

Publié le 22 juin 2009 par Combatsdh

Les 3 ordonnances publiées ici, communiquées par Maitre Pouly, illustrent les usages divers et variés - et donc le caractère aléatoire - d’une juridiction administrative à l’autre des ordonnances de “tri”, en l’occurence de l’article L.522-3 du code de la justice administrative, dans le cadre d’une procédure de référé-liberté.

Combats pour les droits de l’homme publie également une hallucinante note confidentielle de la direction centrale de la police aux frontières du 25 mai 2009. Le directeur adjoint de la DCPAF, qui ne manque pas d’imagination (à moins qu’il n’ait des difficultés à réaliser ses objectifs chiffrés de voyageurs non admis sur le territoire français et placés en zone d’attente?) parvient à tordre les textes communautaires pour estimer qu’ils permettent d’opposer un refus d’entrée sur le territoire français à des… réguliers et, par suite, de les placer en zone d’attente.

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Mais revenons d’abord à nos ordonnances rendues par les juges des référés de deux TA différents sur la même affaire.

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source : Guide Comede

En l’espèce, le requérant est un ressortissant malien domicilié à Sarcelles (le domicile n’est pas sans importance dans le cas d’espèce). Il était titulaire d’un récépissé de demande d’un premier titre de séjour valable jusqu’au 9 juin 2009.

Il est donc en situation régulière. Cela ne fait aucun doute.

Comme cela arrive fréquemment - après de longs mois d’attente de ce précieux sésame - il souhaite profiter du document pour se rendre quelques semaines au Mali.

Ayant égaré son passeport, il obtient de son consulat le 20 avril 2009 un “sauf conduit tenant lieu de passeport” d’une durée de 3 mois.

Se croyant tranquille, il quitte donc le territoire français avec ce sauf-conduit en payant lui-même son voyage (quelle idée? “il” aurait pu payer son billet aux frais du contribuable français…).

Mais vous l’aurez deviné, un triste Mercredi 3 juin, à son retour à l’aéroport d’Orly, il fuit sans se retourner en étant bouffé par l’escalier fait l’objet d’une décision d’adipeux en sueur d’agents de la Police aux frontières.

  • Placé en zone d’attente, la porte se referme sur lui

La pluie parisienne l’ayant, semble-t-il, soudé l’un à l’autre, elle lui refuse l’entrée sur le territoire français, sur le fondement de l’article L.213-2 du CESEDA, au motif qu’il ne serait pas détenteur “de documents de voyage valables” ni “d’un visa ou d’un permis de séjour valable” car il est arrivé “sous couvert d’un sauf conduit tenant lieu de passeport délivré à Paris par les autorités maliennes, document qui n’est pas valable pour l’entrée en France, (…) est démuni de passeport et présente un récépissé de demande de carte de séjour [et] également démuni de visa de retour”.

La PAF ne fait pas de cadeau. Même un Mercredi. Avec ou sans Besson  (Tout à l’heure c’était lui. Lorsque je disais “il”).

Essuyant ce refus d’entrée, pleurant à gros bouillon, notre malien de Sarcelles est placé, sur le fondement de l’article L.221-1 du CESEDA en zone d’attente.Cela arrive à près de 18 000 étrangers chaque année bloqués aux frontières françaises par les policiers qui les montrent du nez souvent pour des broutilles ou tracasseries administratives de ce genre (dont 4 700 demandeurs d’asile, consommant l’adieu de la France terre d’asile en zone d’attente et parfois consommant leur mort en étant renvoyé abusivement, V. les statistiques 2007 en PDF ici).

Heureusement pour lui, il n’a pas alors croisé de bouffeurs d’espoir membres du collectif Respect testant leur habilitation toute neuve pour visiter la zone d’attente d’Orly, en quête de crédibilité afin “de veille[sic] pour le respect des droits fondamentaux de l’individu“, mais a pu contacter Me Christophe Pouly, avocat spécialisé en droit des étrangers, qui, heureusement n’a pas abandonné aux chiens l’exploit de juger son client mais à la juridiction administrative.

Mais là, se pose pour l’avocat une difficulté majeure :quel tribunal administratif saisir?

  • Un avec-papiers, résidant régulièrement en France, en zone d’attente à la recherche de son juge

La juridiction territorialement compétente est à chercher du côté de l’article R.312-8 du CJA.

Rappelons, qu’en principe, le tribunal territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l’autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée (Article R312-1 CJA). Néanmoins afin d’éviter d’encombrer le seul tribunal administratif de Paris par tout le contentieux de police des autorités centrales (principalement des ministères de l’Intérieur et de l’Immigration), il existe des exceptions.

La principale est donc celle de l’article R312-8 CJA:

“Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises à l’encontre de personnes par les autorités administratives dans l’exercice de leurs pouvoirs de police relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence des personnes faisant l’objet des décisions attaquées à la date desdites décisions”.

Il existe d’ailleurs une exception à l’exception consécutive à l’affaire Bouziane, dans laquelle le TA de Lyon a eu l’imp(r)udence d’annuler un arrêté d’expulsion pris par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, sur le fondement d’un “blanc” des RG non communiqué au requérant. Le pouvoir central ne faisant pas confiance aux TA de province pour ces affaires “sensible”, il est prévu:

“Toutefois, cette dérogation aux dispositions de l’article R. 312-1 n’est pas applicable aux litiges relatifs aux décisions ministérielles prononçant l’expulsion d’un ressortissant étranger, fixant le pays de renvoi de celui-ci ou assignant à résidence l’étranger qui a fait l’objet d’une décision ministérielle d’expulsion ainsi qu’aux décisions ministérielles assignant à résidence un étranger ayant fait l’objet d’une décision d’interdiction du territoire prononcée par une juridiction judiciaire et qui ne peut déférer à cette mesure”.

Mais ce n’est pas le cas en l’espèce. On est dans le cas d’un refus d’entrée sur le territoire opposé par la police aux frontières d’Orly.

Notons qu’il ne s’agit pas d’un refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile (RATATA). Celui-ci est prononcé par le ministre de l’Immigration, après avis de l’OFPRA, sur le fondement du L.213-9 du CESEDA. Le TA de Paris est seul compétent pour en connaître car le refus est opposé par le ministère, dont le siège est à Paris, et la zone d’attente ne peut être considérée comme un domicile. Il avait néanmoins perdu cette compétence au profit du TA de Cergy “dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice” à l’occasion de l’affaire Aldaimov en 2003. Il l’a retrouvé à l’été 2007 suite à la condamnation de la France dans l’affaire Gebremedhin. En 2011 ce contentieux sera d’ailleurs transféré à la Cour nationale du droit d’asile.

Mais revenons à notre refus d’entrée opposé par les agents de la PAF d’Orly.

Comme il s’agit d’une décision de police, le tribunal territorialement compétent est donc le tribunal du lieu de résidence du requérant.

Et, amis lecteurs, vous voyez poindre le problème: notre étranger maintenu en zone d’attente a-t-il sa résidence, très provisoire (20 jours maximum) , dans … la zone d’attente d’Orly - ce qui rendrait le TA de Melun compétent puisque les litiges de l’emprise aéroportuaire relève de son ressort - ou doit-on retenir la résidence habituelle de l’étranger - du temps où il n’avait pas été encore arbitrairement privé de liberté - à Sarcelles - et donc le TA de Cergy-Pontoise (qui reste compétent pour les litiges de la Seine-St-Denis jusqu’à l’ouverture du TA de Montreuil à l’automne 2009)?

Me Pouly opte d’abord pour cette seconde solution. Il saisit le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en référé-liberté.

Le greffe l’informe alors que c’est vraisemblablement le TA de Melun qui est compétent car cela se passe à l’aéroport d’Orly.

Me Pouly saisit donc alors immédiatement, le 4 juin, le TA de Melun en référé-liberté.

Et c’est là que ça se corse puisque le juge des référés rejette, pour irrecevabilité manifeste, dans la journée du 4 juin, la requête.

version PDF anonymisée

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Le juge des référés estime que, pour entrer en France, le récépissé ne serait valable “qu’accompagné d’un passeport“. Or, comme nous l’avons expliqué, l’intéressé avait un sauf conduit tenant lieu de passeport jusqu’au renouvellement de celui-ci.

Cette affaire a donc été grignotée par ce juge, comme un quelconque fruit…

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A lecture de cette première ordonnance, Me Pouly, toujours là, décide d’oser pour son client et dépose dès le lendement un référé-réexamen en avançant des éléments non pris en compte par le juge et en expliquant en quoi c’est le consultat du Mali lui a délivré ce sauf-conduit “tenant lieu de passeport” et que, pour les réguliers, l’article L.212-1 CESEDA n’exige pas un “passeport” mais un “document de voyage”, tout comme le l’arrêté du 10 avril 1984.

“Article L212-1

Par dérogation aux dispositions de l’article L. 211-1, les étrangers titulaires d’un titre de séjour ou du document de circulation délivré aux mineurs en application de l’article L. 321-4 sont admis sur le territoire au seul vu de ce titre et d’un document de voyage”.

Mais, tournant sur elle-même, la même magistrate rejette, illico presto, toujours au “tri” ce second référé liberté.

version PDF anonymisée

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(…)

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Et là, on devine, que notre Malien de Sarcelles reste là.
Cœur en croix, bouche ouverte
Sans un cri, sans un mot
Voilà qu’il se retourne

Et se retourne encore
Ses bras vont jusqu’à terre
Ça y est ! Il a mille ans
La porte est refermée
Le voilà sans lumière

Son avocat est là, n’oset-il plus rien pour lui?

C’est mal le connaître.

  •  Rebondissement:le référé initial, non trié, abouti à Cergy

Mais c’est là que ça devient cocasse: le greffe du TA de Cergy, saisi en premier, linforme Me Pouly que le juge des référés a finalement décidé… d’audiencer sa requête. Autrement dit, non seulement le TA de Cergy se reconnaît compétent (en retenant donc que la résidence habituelle de l’intéressé est à Sarcelles) mais en outre que la requête n’est pas manifestement irrecevable.

ordonnance en PDF anonymisée

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Mieux, après l’audience, il donne gain de cause au requérant par une ord

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onnance du 8 juin 2009 en constatant l’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir!

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Il suspend donc la décision de refus d’entrée et donne injonction à l’admettre sur le territoire français afin qu’il puisse récupérer son passeport et renouveler son récépissé.

  • L’aléa du tri

Cette affaire illustre donc, comme nous l’avions annoncé, l’aléa.du “tri” au sein des juridictions administratives. Il est manifeste que cette affaire pose des difficultés juridiques méritant d’être approfondies. On peut partager, ou non, l’argumentation retenue par le juge des référés du TA de Cergy mais sûrement pas valablement estimer qu’elle est manifestement irrecevable et qu’elle ne mérite par un examen plus approfondi dans le cadre d’une procédure contradictoire, d’une instruction et d’une audience publique.

Rappelons que, par exemple, l’origine de l’affaire Hyacinthe et Gisti du 12 janvier 2001 (deuxième référé-liberté porté devant le CE) ou de l’affaire Gebremedhin et Anafé en 2005 sont des ordonnances de “tri” prises sur le fondement de cet article L.522-3 du CJA par un juge des référés d’un TA.

Sur le blog de Mâitre Eolas, à l’occasion de la Journée d’action des magistrats administratif le 4 juin, il a aussi été question des ordonnances de tri du R.222-1,7° CJA et de leur usage abusif (voir notamment “La vie d’une audience OQTF entre les mains d’un assistant de justice” , Journal d’un avocat, 4 juin 2009 à 22:38 Par AJT, Assistant de Justice).

On notera aussi que dans une autre affaire, un JLD a adopté le 2 juin une position convergente en mettant en liberté un étranger placé en zone d’attente pour le même motif: un refus d’entrée sur le territoire opposé à un étranger en situation régulière muni d’un récépissé de première demande de carte de séjour. Il estime que le récépissé permet de justifier des garanties de représentation pour être assigné à résidence.

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  • Revoilà les adipeux en sueur qui bavent quelques mots

Mais d’où vient cette subite idée de refuser l’entrée à des réguliers et de les placer en zone d’attente dans l’optique des les réacheminer dans les plus brefs délais vers leur pays de provenance pour les contraindre de revenir en France muni d’un visa afin de redemander le même titre de séjour?

Et bien - et c’est un scoop de Combats pour les droits de l’homme - il s’agit de l’application d’une note confidentielle du directeur de la Police aux frontières du 25 mai 2009!

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Vous avez bien lu : entre le départ de France du client de notre Malien de Sarcelles en avril et son retour en juin, les règles - ou plutôt leur interprétation par la direction de la PAF - ont secrètement changé et, ce, bien évidemment sans un mot à destination des personnes concernées au mépris du principe de sécurité juridique et, surtout, du droit.

La note témoigne elle-même des tergiversations de la DCPAF dans l’interprétation de la question de savoir si un récépissé de première demande de titre de séjour et “une APS délivrée au titre de l’asile” (vous avez bien lu cela est aussi appliquée à des demandeurs d’asile en violation fllagrante de la convention de Genève) doivent être considérés comme un titre de séjour en cours de validité permettant de pénétrer dans l’espace Schengen.

Pour cela, redevenant un seul, la DCPAF a interrogé la DLPAJ (direction des libertés publiques et des affaires juridiques) du ministère de l’Intérieur qui elle-même a questionné les services juridiques de la Commission et du Conseil et “l’analyse définitive” reviendra au M3INDS (on devine dans quel sens).

Tout cela pour aboutir à une interprétation violant manifestement le principe constitutionnel de liberté d’aller et venir qui bénéficie, comme le constate le juge des référés du TA de Cergy, aux étrangers en situation régulière.

C’est même une liberté constitutionnellement garantie.

Mais ces gens-là ont-ils déjà entendu parler du statut constitutionnel des étrangers érigé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 ?

“3. Considérant toutefois que si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que s’ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ; qu’en outre les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ; qu’ils doivent bénéficier de l’exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés”

Cette interprétation repose manifestement aussi sur une lecture erronée de l’article 5.1. du Code des frontières Schengen - qui ne concerne que les étrangers bénéficiaires de visas de court séjour (et non pas ceux souhaitant s’installer - ce qui est le cas d’une personne titulaire d’une APS).

Pire, le gouvernement français a notifié le 1er mars 2009 (?) au Conseil le changement des documents nécessaires exigés par la France pour franchir ses frontières à l’annexe 4 des instructions consulaires.

voir ici en PDF , p.33 et s.

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Ainsi, les malheureux bénéficiaires de récépissés de première demande ou d’une APS au titre de l’asile qui ont le mauvaise idée de quitter l’espace Schengen sans consulter au préalable, comme tout bon non-citoyen européen, le registre public des décisions du Conseil européen - se retrouvent coincés abusivement à la frontière, placés en zone d’attente et, s’ils ne croisent pas l’Anafé ou un bon avocat, renvoyés aux frais de l’Etat français à pétaouchnok pour y quer un visa….

A n’en pas douter cette note absurde sera déférée au juge administratif. On peut légitimement espérer que la requête ne sera pas triée…


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