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Rencontre avec Philippe Herreweghe

Publié le 22 juin 2009 par Philippe Delaide

Philippe Herreweghe a eu la gentillesse de m’accorder un entretien avant la retransmission du concert qu'il donnait sur TheVSession.com. Nous avons notamment abordé sa lecture du répertoire polyphonique.

Après un remarquable enregistrement des Cantiones Sacrae sex vocum de Roland de Lassus avec le Collegium Vocale de Gand, vous nous faites découvrir au concert des pièces du compositeur espagnol Cristobal de Morales dont la Missa « De Beata Virgine ». Y-a-t-il une différence marquée dans l’écriture polyphonique de ce compositeur par rapport aux maîtres franco-flamands et, quelque part, une spécificité du style espagnol ?

Herreweghe by Riita Ince (4b)
Philippe Herreweghe : il y a autant de différences entre les maîtres de la composition polyphonique de la Renaissance qu’entre, par exemple, Mendelssohn et Brahms pour prendre des références bien plus récentes. On parle en effet de spécificité du style espagnol à propos de l’écriture de Cristobal de Morales. Celle-ci se traduirait par plus de gravité, d’austérité, de « sérieux ». Dans le cas de Morales, notamment par rapport à Victoria par exemple, on ne peut pas dire que son style soit tout de même aussi marqué. Il a longtemps séjourné à Rome au début de sa carrière avant de résider définitivement en Espagne. Le caractère « hispanique » de ce compositeur n’est pas complètement évident, de même qu’on ne peut pas autant dégager de particularité de son écriture, contrairement à un grand maître comme de Lassus que je connais bien pour l’avoir de nombreuses fois déchiffré et interprété. Un génie comme de Lassus, s’il suit les codes de ses ainés, marque définitivement de son empreinte, de sa personnalité, toutes les pièces qu’il a écrites.

A quelles difficultés d’interprétation est-on confronté sur ce répertoire ?

P.H. : Elles sont nombreuses car on ne dispose finalement que de peu d’indications sur les points essentiels pour l’interprétation : la partition mentionne une composition pour quatre ou cinq voix, avec quatre ou cinq clés, et dont on ignore le plus souvent la hauteur (par exemple pour un alto, même si on savait qu’il n’y avait pas de femmes dans ces ensembles lors des offices, il pouvait s’agir de voix de faussets, de castras ou de garçons). De même que l’on ignore le nombre de chanteurs par voix ou même s’ils étaient accompagnés par des instruments, ces derniers faisant office de continuo. En outre, se pose en permanence la question de la bonne trame harmonique, compte tenu du fait que les compositions de l’époque n’étaient pas modales. Nous devons donc procéder à des altérations sur certaines notes afin, quelque part, de reconstituer nos repères avec notre écriture modale. Enfin, reste la question essentielle du phrasé, de la rhétorique, à savoir, la façon dont on doit plus ou moins accentuer ou prolonger certaines notes par rapport au texte. Là encore, nous ne disposons que de très peu d’indications. Dans le cas de Roland de Lassus, on est plus aidé que dans celui de Cristobal de Morales. En effet, de Lassus nous a laissé une abondante correspondance qui nous fournit des clés utiles pour déchiffrer ses pièces et rechercher ainsi la bonne rhétorique.

Les motets et messes, pour de Lassus comme pour de Morales, sont indiquées pour quatre, cinq ou six voix. Qu’est-ce qui vous a conduit à au moins doubler chaque voix dans le cadre de vos interprétations avec le Collegium Vocale de Gand ?

P.H. : Ce qui compte c’est le rendu de ces pièces. Il faut rester très pragmatique. Si l’on obtient un meilleur rendu, plus d’ampleur tout en préservant l'architecture de ces motets, on a alors atteint l’objectif.

La formation des chanteurs à ce répertoire spécifique doit aussi être importante.

P.H. : Oui, ce d’autant plus que nous avons au Collegium Vocale de Gand des chanteurs de nationalités, de sensibilités et surtout de formations différentes. Nous avons notamment des chanteurs britanniques, formés à l’école anglaise du chant polyphonique et dont les méthodes d’apprentissage de ces compositions sont différentes de celle que nous avons par exemple en Belgique ou en France. Dans un système anglais où la musique est en grande partie de financement privé, les ensembles ont souvent moins de moyens donc moins de temps qu’en France ou en Belgique pour répéter. Nous avons, pour notre part, la chance de disposer de subventions et de plus de temps. Nous pouvons plus nous attarder sur le phrasé, les différentes particularités de la rhétorique de ces pièces polyphoniques pour tenter au mieux de restituer leur richesse ainsi que, notamment, le lien intime entre la trame harmonique et la prosodie latine avec l’accent quelquefois sur certaines parties du texte. Il faut savoir qu’à l’époque de ces compositions, les chanteurs de ces formations au XVIème siècle, en Italie, en France comme dans les Flandres, étaient issus d’une très rigoureuse et stricte sélection. Ils suivaient un cursus de très haut niveau, aguerris non seulement à la lecture, au chant mais aussi à la théorique musicale et ils pratiquaient le latin comme langue courante donc ils le comprenaient et le vivaient. Leur niveau général, tant sur le registre de la technique vocale que de la formation musicale pour servir ce répertoire, était donc certainement bien supérieur à la plupart des meilleurs chanteurs actuels.

Vous dirigez le Collegium Vocale de Gand sur ce répertoire du chant polyphonique de la Renaissance avec une pertinence tout aussi impressionnante que lorsque vous dirigez l’Orchestre des Champs-Elysées sur des symphonies de Bruckner. Quel est le secret de votre aisance dans ce passage entre des univers musicaux qui paraissent si différents ?

P.H. : Il n’y a pas de différence fondamentale entre par exemple un motet Roland de Lassus et un mouvement d’une symphonie d’Anton Bruckner. Les deux sont fondamentalement régis par le contrepoint. Ils ont quelque part la même identité. La différence c’est, d’un côté un ensemble vocal a cappella, et de l’autre un orchestre avec certes de nombreux instruments de timbres différents mais c’est finalement un détail


Il est possible d'écouter et visionner le concert qu'a donné Philippe Herreweghe avec le Collegium Vocale de Gand sur le site TheVSessions.com.


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