Magazine Histoire

Station no1

Par Ladine
Montréal, 9 décembre 1955, 17:08hr.
Rowan Atkinson ( MR. Bean ) est venu au monde en janvier. Winston Churchill démissionnera de ses fonctions de premier-ministre le 7 avril suivant, alors qu'Einstein devait mourir onze jours plus tard, c'est-à-dStation no1ire 235 jours avant ma propre arrivée sur Terre.
C'est très précisément sur le 9 décembre 1955 que j'avais réglé mon cadran spatio-temporel. Du large éventail de possibilités qui s'offrait à moi, il m'a semblé intéressant d'entreprendre mon odyssée là où tout avait commencé, à savoir le jour de ma naissance à l'hôpital Notre-Dame de Montréal. Comme je savais être né aux environs de 16:20hr., je me suis donc arrangé pour débarquer sur place moins d'une heure plus tard. Si jamais il devait y avoir des choses intéressantes à savoir sur cet événement ( heureux? ) c'était dans les minutes suivant l'accouchement que je risquais d'en apprendre le plus. Et je ne fut pas déçu.
Comme le hasard fait souvent bien les choses, le trou de ver m'a fait atterrir à la naissance d'un long corridor, dont le mur gauche est troué de larges baies vitrées donnant sur la pouponnière de l'hôpital Notre-Dame.
La première chose qui me frappe en arrivant sur place est l'odeur d'éther qui flotte dans l'air.
Le corridor est désert. De la pouponnière me parviennent les pleurs des nouveaux-nés.
Comme c'est mon premier voyage dans le temps, j'ignore si tout s'est passé comme prévu. Afin de vérifier si j'ai bien atterri au bon moment, je consulte ma montre: 21:38hr. Comme je m'en doutais, les voyages temporels n'affectaient en rien le bon fonctionnement des objets mécaniques issus de mon époque, j'en avais maintenant la preuve. Pour l'heure, je verrai plus tard, restait à m'assurer que c'était la bonne date. Je balaie le corridor du regard et repère une porte, sur ma droite. Qui sait, peut-être y trouverai-je un journal, ou à tout le moins un calendrier susceptible d'éclairer mes lanternes.
Comme je suis sur le point d'amorcer un premier pas, je vois deux personnes déboucher au bout du corridor. Même après toutes ces années, je les reconnais facilement. Il s'agit de la femme qui m'a porté en son sein et de l'homme qui partage sa vie. Ils vont s'installer devant les baies vitrées de la pouponnière.
Je retranscris textuellement le dialogue qui s'ensuit.
L'infirmière ( dans la pouponnière ): '' Voulez-vous le voir de plus près? ''
L'homme: '' Peux m'en passer. ''
La génitrice: '' Maman m'a dit qu'elle allait s'arranger avec... ''
L'homme: '' C'est mieux d'être vrai. Y'est pas question qu'il mette les pieds dans l'appartement. ''
La génitrice: '' Je sais pas ce que je ferais sans toi. ''
L'homme: '' T'as une chance de cocu, oui. ''
La génitrice: '' Je suis fatiguée. Retournons dans la chambre, Henri.''
L'infirmière: '' Regardez comme il est mignon. Il est langé de frais. ''
L'homme: '' S'il tu le trouves si beau, gène-toi pas, tu peux toujours le garder, le bâtard. Ça en fera toujours un de moins à vivre au crochet de la société. ''
La génitrice: '' Henri! ''
L'homme: '' Ta gueule! T'avais juste à pas te faire engrosser par ton trou-de-cul d'américain... ''
L'infirmière: '' Inutile d'être impoli. Je vais aller me plaindre... ''
Le visage déformé par la colère, l'homme assène sur la vitre une formidable taloche, avant de tourner les talons et de repartir en direction d'où il est arrivé.
Plantée sur place, la génitrice se tient le ventre d'une main tout en jetant des regards furtifs par-delà la cloison vitrée.
Même si je me doutais depuis longtemps que les choses avaient pu, à peu de chose près, se dérouler de la manière dont je venais d'être témoin, cela me fit quand même quelque chose. Se faire dire par quelqu'un que l'on n'avait pas été désiré est une chose, mais d'être directement témoin du mépris que ma venue au monde avait inspirée aux acteurs de ce mélodrame en est une autre.
Toute difficile que fut cette épreuve, je décidai que l'heure n'était pas aux atermoiements, mais plutôt à l'action. Prenant mon courage à deux mains, le cœur tambourinant dans ma poitrine, je m'approche à petits pas de la génitrice. Arrivé près d'elle, je fais fi de sa présence et fixe mon attention sur la petite chose fragile que j'étais dans le temps. L'infirmière me tient toujours dans ses bras. De l'index de sa main gauche, elle tapote le bout de mon nez tout en tirant la langue et faisant des prout! avec sa bouche.
On sanglote sur ma gauche. Je tourne la tête, et m'aperçois que la génitrice peine à contenir ses émotions. Elle a porté sa main au visage. Ses épaules tressautent au rythme de sa respiration désordonnée.
En temps ordinaire j'aurais fait preuve de commisération et aurais entamé la conversation avec la personne affligée, mais là, ça ne me disait rien. Honnêtement, je me fiche d'elle comme de ma première chemise. Elle peut bien s'en retourner vers son grand tarla, se faire chier sur la tête jusqu'à ce qu'elle aille bouffer les pissenlits par la racine.
Écœuré, je suis sur le point de faire demi-tour pour rallier le portail,quand, sur le coup d'une irrépressible envie de remettre les pendules à l'heure, je suspends mon geste, me tourne vers elle et lui balance:
'' Des fois que t'entretiendrais des doutes sur la pertinence de laisser ta mère s'occuper de ton engeance de fils, je te rassure tout de suite: jamais t'auras pris plus sage décision de toute ta chienne de vie. ''
Prochaine destination: Dallas.

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