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Iran : les enjeux stratégiques derrière l'élection présidentielle

Publié le 23 juin 2009 par Tanjaawi
A l’heure où nous écrivons cet article, les rues des grandes villes iraniennes continuent à s’emplir de manifestants de tous bords, contestant le résultat d’un scrutin présidentiel entaché d’irrégularités majeures. La situation a rapidement explosé après l’annonce surprenante, le soir du scrutin du 12 juin, qu’Ahmadinejad l’aurait emporté avec 69% des voix, chiffre revu ultérieurement à la baisse (62%).
Iran : les enjeux stratégiques derrière l’élection présidentielle

Cette situation est sans précédent, car dans les dernières élections, ce fut toujours au deuxième tour que se décidait le résultat final et le décompte des voix prend généralement beaucoup de temps. Avant le scrutin, des sondages indiquaient une courte victoire pour le candidat des réformateurs, Mir Hossein Moussavi. Ce dernier, de même que l’autre candidat modéré Mehdi Karoubi, a contesté le résultat des élections, réclamant un recomptage complet des votes, voire son annulation pure et simple. Après deux jours de manifestations, le Guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei, a concédé un recomptage partiel des bulletins, mais lors de sa prière de vendredi, il a finalement sommé les gens d’accepter les résultats officiels, car une fraude d’une telle ampleur serait, selon lui, impossible.

Le contexte stratégique

Bien que les enjeux de ce conflit soient importants et déterminants, ce serait une grave erreur de ne pas prendre en compte la situation stratégique globale. La dynamique qui caractérise la situation internationale actuelle tend vers la dislocation d’un empire financier anglo-américain mondialisé. Le monde, et cette région plus particulièrement, est un terrain pour bien des manipulations géopolitiques britanniques.

Depuis la disparition malencontreuse de Franklin D. Roosevelt, un président américain doté de forts réflexes anti-coloniaux et donc hostile à tout ce que représentait l’Empire britannique, les Etats-Unis se sont laissés entraîner, en tant que partenaire subalterne, dans des aventures géopolitiques diverses, généralement made in Britain. L’anglophilie de George W. Bush et de Dick Cheney illustrent amplement ce problème.

Bien que l’histoire ne se répète jamais, rappelons que ce n’est pas la première fois que le peuple iranien, à la recherche d’aide extérieure, se fait manipuler par les marionnettistes de l’Empire britannique pour chasser du pouvoir certains dirigeants. On doit craindre que dans le contexte actuel, une fraude électorale d’une telle ampleur et les réactions qu’elle provoque n’aggravent l’instabilité de toute la région.

Pour l’économiste américain Lyndon LaRouche, la crise actuelle n’est pas simplement l’éclatement d’une bulle financière, mais un effondrement systémique généralisé. En devançant les crises avec leur propre « opération chaos », les Britanniques espèrent rester maîtres du jeu et surtout empêcher que des Etats-nations souverains puissent se concerter et mettre en pièces l’ordre financier actuel. Pour LaRouche, par leur culture et le poids qu’ils ont sur la scène politique mondiale, les meilleurs candidats pour entamer une telle concertation seraient les Etats-Unis, la Russie, l’Inde et la Chine. C’est ce noyau qui pourrait mettre hors jeu les cartels financiers opérant à partir de Londres et redonner le pouvoir aux Etats-nations souverains. Un accord de principe entre ces quatre puissances majeures permettrait également de déminer un certain nombre de « points chauds » de la région.

En 2004, LaRouche prévoyait que la guerre américaine en Irak allait conduire les Etats-Unis dans le mur. La voie de sortie à cette guerre, alléguait-il, n’était concevable que dans le cadre d’une collaboration entre tous les pays limitrophes en vue d’un projet régional de développement économique. LaRouche avait précisé cette démarche dans un document connu comme la « doctrine LaRouche » et avec l’accélération de la crise financière systémique, elle s’impose plus que jamais. Un Iran stable et démocratique jouera un rôle de premier plan dans cette perspective. Contrairement à la propagande relayée par les grands médias mondiaux, ce pays n’est pas une menace immédiate pour la sécurité et la paix mondiale.

Par contre, si l’Iran sombre dans le chaos, toute perspective de stabiliser la situation en Afghanistan s’éloignera à grands pas. Certains militaires américains, notamment le ministre de la Défense Robert Gates, reconnaissent depuis des mois que l’Iran peut jouer un rôle important pour mettre un terme au trafic de drogue en Afghanistan, où l’opium et les armes sont la première source de revenu des talibans. Après l’engagement d’Obama d’accroître le nombre de soldats en Afghanistan, le moment était venu d’intensifier le dialogue avec l’Iran.

La question irakienne, où l’intervention américaine, orchestrée par le duo Tony Blair et George Bush, n’a provoqué que mort et désolation, est un autre sujet urgent d’un dialogue américano-iranien. Sur ce thème, des discussions entre l’Iran et les Etats-Unis ont déjà été formalisées, avant même l’arrivée d’Obama. La paix israélo-palestinienne est un autre enjeu où l’Iran s’avère un partenaire décisif, pour ses liens avec la Syrie et le Hamas en Palestine. Ses rapports avec le Hezbollah au Liban peuvent aussi faciliter la résolution des problèmes au pays du Cèdre.

A l’opposé, le durcissement du régime d’Ahmedinejad fournirait une carte exploitable par les Anglo-Saoudiens. Si le plan des faucons néo-conservateurs de l’administration Bush – visant à redessiner la carte de la région à la faveur d’une politique de changement de régimes, résultant de guerres sectaires entre un « axe chiite » (Iran, Syrie, Hezbollah libanais) et un « axe sunnite » (Arabie saoudite, Egypte, Jordanie, pays du Golfe) – a échoué jusqu’ici, la fraude électorale imposée par le régime iranien leur offre l’occasion de revenir à la charge.

En France, les néo-conservateurs ne restent pas en arrière. Le Figaro citait abondamment l’envoyé spécial de Nicolas Sarkozy en Afghanistan, Pierre Lellouche, soulignant qu’en cas d’attaque contre les Emirats arabes, où la France vient d’inaugurer sa nouvelle base et avec qui elle vient de conclure un accord de défense, elle riposterait avec « tous les moyens militaires » dont elle dispose, y compris nucléaires...

Personne dans les chancelleries occidentales n’ignore qu’aucun président iranien, qu’il soit conservateur ou réformateur, ne mettra fin au programme nucléaire iranien civil. Le pays entier espère acquérir la technologie du futur et verrait comme un acte de trahison l’abandon de ce programme, y compris le cycle d’enrichissement de l’uranium permettant une certaine autonomie dans ce domaine.

La mise en garde de Kerry

Certains élus américains, tels le démocrate John Tierny, dans un discours devant le Conseil national américano-iranien (NIAC), et le sénateur John Kerry, président du comité des Affaires étrangères du Sénat, dans un article paru le 18 juin dans le New York Times, ont souligné l’importance pour les Etats-Unis de poursuivre un dialogue direct avec l’Iran. Kerry encourage vivement le gouvernement Obama à nuancer sa réponse aux protestations qui ont actuellement cours contre les résultats des élections iraniennes. Il ne faut pas que Président Obama « dénonce le vote comme une fraude et nous embringue directement dans l’agitation en Iran », écrit-il, faisant allusion en particulier aux propos du sénateur John McCain. Il considère que si les propos de McCain « peuvent être libérateurs pour un homme politique américain, lassé du message hostile de division [du président iranien] Mahmoud Ahmadinejad », et bien que les Etats-Unis privilégient le pouvoir du peuple iranien, « nous devons comprendre comment nos paroles peuvent être manipulées et retournées contre nous pour renforcer l’establishment clérical ».

Revenant sur les exigences faites au Président, il estime qu’« il est clair que les dures paroles prononcées par le sénateur John McCain ne nous ont menés nulle part ces huit dernières années. Nos rodomontades n’ont fait que renforcer les partisans de la ligne dure et mettre les réformateurs sur la défensive. Un président iranien qui prônait le "dialogue entre les civilisations" et des réformes de société a été remplacé par un autre qui nie l’Holocauste et appelle régulièrement à la destruction d’Israël. » L’opinion publique internationale devrait donc tout faire pour que le dialogue avec l’Iran puisse se poursuivre, au lieu de brandir immédiatement l’arme des sanctions et des attaques militaires.

Cependant, les divisions internes des élites dirigeantes du pays, dont cette élection n’est qu’un révélateur, ne pourront être surmontées que grâce à des changements graduels, permettant la création d’une véritable république garantissant les libertés politiques et un mandat représentatif digne de ce nom.

En moins d’une semaine, une centaine de dirigeants politiques proches du candidat réformiste Moussavi et de son allié, l’ancien président Mohammed Khatami, ont été arrêtés, dont le frère de ce dernier, Mohammed-Reza Khatami, sa femme (elle-même petite-fille de l’Ayatollah Khomeiny), ainsi que Mohammad Ali Abtahi, un conseiller du président Khatami. Ces personnalités ont été arrêtées non pas au cours des manifestations, mais à leur domicile, dans ce qui ressemble à un coup d’Etat. En effet, il ne s’agit nullement de nouveaux-venus, mais de hauts dignitaires de la Révolution islamique depuis l’arrivée de l’Imam Khomeiny.

Notons que tous les candidats en lice avaient été intronisés par les héritiers de la révolution iranienne de 1979. Ils disposaient notamment de l’appui de personnalités religieuses, telles que l’ayatollah Ali Montazeri ou le mollah Nouri, du camp réformateur. Ainsi, la division atteint tout l’establishment religieux. Ce conflit dépasse donc de loin les élections présidentielles.

Ali Khamenei, le Guide suprême de la révolution islamique, chercherait-il à étouffer dans l’œuf toute réforme constitutionnelle qui le priverait de ses privilèges théocratiques, lui permettant de régner à la fois sur le parlement et sur le Président ? L’Iran souffre depuis des années d’une direction bicéphale, avec d’un côté, le gouvernement élu, et de l’autre, le clergé et l’appareil de sécurité. D’énormes moyens sont mis à la disposition des milices religieuses paramilitaires bassidj et des communautés Bunyad qui, en venant en aide aux plus pauvres et aux anciens combattants et victimes de la guerre Iran-Irak, constituent une base électorale pour le clergé. Ahmadinejad s’en est pris virulemment aux classes moyennes et supérieures, les accusant d’être la colonne vertébrale de l’opposition réformatrice, tout en se montrant généreux (avec les deniers de l’Etat) pour les pauvres qui lui sont loyaux. Il y a pourtant fort longtemps que la rente du pétrole n’est plus réinvestie dans le pays pour favoriser le développement de l’infrastructure, de l’industrie ou de l’agriculture. A la place, les plus démunis vivant dans le monde rural et les agglomérations sont rendus de plus en plus dépendants de l’aide publique et de la charité d’organisations religieuses.

La victoire des réformateurs aurait donc inévitablement mis sur la table la nécessaire évolution vers une véritable république.

La situation restera certainement extrêmement tendue dans les jours et semaines à venir. Dans un entretien avec la Voix du Nord, l’ancien secrétaire général du syndicat des journalistes iraniens, Hossein Bastani, note que « nous avons face à face deux fronts qui ne peuvent se retirer, et la crainte d’un affrontement violent ». Espérons que les élites iraniennes retrouveront la raison, offrant enfin à l’Iran la possibilité de jouer le rôle qu’elle mérite dans l’histoire. Trop d’espérances ont déjà été noyées dans le sang.

 http://www.solidariteetprogres.org

Hussein Askary Mardi 23 Juin 2009 / Alterinfo


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