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Expatriation: Comprendre pour Aimer ! (Ep. 4)

Par Caryl

Première nuit dans mon nouvel appartement plein centre Guéliz (J’ai la vue sur l’ancien marché), je suis seule, mes enfants arrivent 5 jours plus tard pour la commémoration de la disparition de leur cher grand père…Je suis en plein deuil et totalement désorientée…J’ai quitté quasiment définitivement la France et entame une nouvelle vie, seule, dans une nouvelle ville et une nouvelle maison.

A 11h du soir, alors que je suis éreintée par l’avalanche d’infos nouvelles que mon cerveau a dû ingurgiter, la sono de ce qui me semble être un mariage chez les voisins, se déclenche…un truc énorme…

Je vais rester réveillée jusqu’au petit matin dans une espèce de brouillard de la pensée totalement désorientée…Je me dis c’est la vie, il y en a qui traversent des deuils et d’autres qui se marient, c’est la vie…
La journée se passe relativement bien, avec ma terrasse fleurie, je bénéficie d’un éco système qui me fait oublier la cage d’escalier totalement dégradée et l’entrée où un type se présentant comme gardien de nuit avec une trogne d’alcoolique et dort le jour, vit dans un réduit sous l’escalier dans un état de saleté repoussante.
 Je me remplis de petites joies et hume l’air de ce pays que j’aime de toutes mes cellules.
 et le soir arrive…

Je tombe de sommeil vu que je n’ai pas fermé l’oeil la veille et je dors déja lorsque…à nouveau…rugissement de la sono…Re…mariage.

Alors là, je prends mon courage à 2 mains, déverrouille ma porte, prends l’ascenseur, atterris dans ce no man’s land que sont les parties communes, sors dans la rue pour identifier d’où vient ce bruit INFERNAL et je réalise que ce qui se présentait comme un brave petit restaurant sans allers et venues de jour au pied de mon immeuble est en fait un Bar de nuit hyper mal fréquenté.

J’ai acheté sans le savoir, un appart de rêve au dessus d’un des haut lieux de beuverie et de prostitution du centre de Marrakech !!!

J’avise à la porte du bar, 2 gars maous à la mine patibulaire. Bravement, je les apostrophe avec virulence et mes 10 mots d’Arabe, en leur disant que ce bruit est inqualifiable! Ils n’en ont strictement rien à faire.
 Je demande à voir le patron, il n’y a pas de patron!
 Un responsable? il n’y a pas de responsable!…
De plus, mon immeuble est un immeuble de bureaux, (personne évidemment n’a pu tenir dans un environnement pareil) et je suis la seule femme qui visiblement, vit à l’année dans ce capharnaüm…
Je bats en retraite et remonte à l’abri chez moi…

Oui j’ai eu le coup de foudre pour cet endroit fantaisiste, genre petit Riad en hauteur au cœur du Guéliz. Plein de charme à côté de tous ces appartements insipides que l’on m’a présenté à chacun de mes voyages éclairs. 
Oui j’étais pressée de conclure car, comme je l’ai dit, je voulais que mon père atteint d’une maladie incurable, finisse ses jours ici et soit enterré en terre Marocaine, comme tous ses ancêtres.
 Oui l’imminence de la perte d’un des hommes les plus extraordinaires qu’il m’ait été donné de rencontrer, pilier de ma vie, me brouillait le raisonnement…
Mais de là à imaginer que je me mettais dans un guêpier pareil? Au centre historique de Marrakech?… il y a une marge…

Je tremble de lassitude, d’insécurité et de solitude.
 Je me sens naufragée en plein Océan. 
La nuit cette rue change de physionomie, elle est glauque, j’ai déjà peu de repères mais là, c’est tout ce que je déteste…

Mais on n’est pas fille d’un des héros de La Division de fer, la Division Leclerc, pour rien.

Pour doper mon courage, je me dis que mon père a 20 ans faisait le Débarquement de Normandie, la Libération de Paris, de Strasbourg, La bataille des Ardennes…
Demain j’ai un combat…
Aussi incroyable que cela puisse vous paraître, je sais que je vais le mener jusqu’à la victoire.
 Mon père est là, très présent, apaisant, sa présence, le souvenir de ce qu’il a été me guide et m’encourage.

Je me couche fatiguée. J’essaie de colmater le bruit avec les rideaux épais (laissés par les anciens proprios qui ont du tout essayer et ait du mal à fermer l’œil.
 C’est la voix apaisante du Muezzin qui calmera mes angoisses au petit matin…

Le lendemain mon enquête commence. Elle sera longue.

Il n’y a pas de conseil Syndical, je le savais en achetant mais avec ma bravoure habituelle, je me suis dit que je pourrai y remédier. 
L’immeuble depuis des années ne coûte pas un centime d’entretien à quiconque…
C’est magnifique, un truc qui ne coûte rien…
Pas de femme de ménage. Les escaliers sont crasseux (il est vrai que, avec l’ascenseur qui monte jusqu’à mon étage je n’ai pas l’occasion de les emprunter) D’ailleurs avec Marko qui travaille à l’étage en dessous, je suis la seule à avoir la clef du dit ascenseur. Un ascenseur privatif en quelques sortes.
Personne d’ailleurs ne semble connaître personne.
 Mégots écrasés, chewin gum incrustés, mosaïque crasseuse, peinture lépreuse, portes fermée depuis des années…minuterie inopérante sur au moins 2 étages, fils qui pendent…S’aventurer dans la cage d’escalier avec une torche est une gageure.
 Lorsque l’ascenseur vous dépose sur ce jardin suspendu qu’est mon toit terrasse, on a exactement l’impression de médina en hauteur…lorsqu’on découvre le jardin miraculeux d’un Riad après avoir traversé tant de choses crasseuses et délabrées.
Ici le charme des contrastes est garanti.
 J’apprendrais par un type sympa qui loue son appartement de temps à autres à quelques égarés qui aiment le folklore, des bribes d’informations sur l’immeuble qui n’a que 12 ans d’âge!

Le pseudo gardien est en fait, un squatteur, il vendait des beignets dans la rue il y a plusieurs années. Son fils ayant été accidenté, un avocat indélicat a subtilisé l’argent versé par l’assurance après le procès, et pour le dédommager, l’a fait rentrer comme gardien dans l’immeuble. Histoires Marrakchies…
N’ayant été payé par personne, le type vit dans un réduit de 2 m sur 1 mètre sous l’escalier en se payant sur la bête. A savoir qu’il détient la clef de plusieurs appartements qu’il loue à la nuit ou à l’heure.
 Il est évidemment de mèche avec les videurs du bar.

Ce petit restaurant sinistre de jour, est en fait un des hauts lieux de prostitution et d’alcoolisme la nuit.

Au fil des jours, j’apprendrais que le commerce est quasiment en circuit fermé, le Bar, les filles, l’alcool, et les chambres dans l’immeuble…
Les infos me parviennent au goutte à goutte. Un militaire à la retraite possède un appart dans l’immeuble, vide la pluparts du temps, et me dit qu’il n’en peut plus de cet immeuble. Militaire donc forcément honnête… Je décide de m’appuyer sur lui pour redresser les choses…
Dans ce combat, j’apprendrais 2 choses :

1/ Les Marocains sont très pudiques pour nommer des choses crues. On tourne beaucoup autours du pot pour avouer la réalité.

2/ Enfin, ils ont une capacité de résistance hors normes à ce qui les dérange dans le voisinage.
 L’autre est un ennemi potentiel dont il ne faut jamais sous estimer la capacité de nuisance…

C’est à l’opposé de mon caractère.

Ainsi, si une fille est une prostituée, c’est une prostituée! Si une situation est injuste, son premier caractère à mes yeux est que cette situation ne peut être que transitoire.
Alors qu’ici, la première réflexion est l’évaluation du danger qu’il y aurait à faire changer la situation.
 C’est un système social d’Autorité/ Soumission où en permanence s’affrontent non des Principes mais des intérêts…
Or les Principes font marcher le Monde droit. Et les intérêts le font marcher en Zig Zag…mon immeuble marche en Zig Zag…

Heureusement la lumière miraculeuse qui se lève sur mes matins, me fait oublier les nuits et l’angoisse sourde qu’elles suscitent en moi.
 J’ai des rendez vous mystérieux…comme ce mendiant aveugle et digne sous les arcades et qui malgré son âge avancé, n’est jamais assis…Mon billet de 20 dh est une petite fortune pour lui (Bien que les Marocains entre eux soient souvent très généreux) et pour 2 euros j’ai droit à un cadeau de grand luxe, un sourire magnifique comme un soleil levant sur une terre aride.

En Europe une supra organisation a mis en place un système robotisé de solidarités administrées qui a asphyxié totalement les Solidarités naturelles, les solidarités de proximité.
 Nous ne voyons plus l’Autre. nous sommes dans des sociétés virtuelles. Ici je vis. Là bas, j’avais l’impression de survivre.

Cette société a besoin de nous, de nos efforts, de notre collaboration, de nos énergies positives.
 Là bas, personne n’a plus besoin de personne.
Oui malgré touts mes déboires, je constate que cette société vit, souffre, espère, bruisse de mille désirs qui font attendre l’aube comme une promesse.

Car demain est un autre jour…
Donc…A demain.


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