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Le voile et la pudeur en Islam

Par Argoul

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La question du voile revient sur le devant de la scène parce qu’elle force le regard à affronter l’affirmation de la foi. Le voile n’est pas innocent : ni mode anodine, ni cache pour les cheveux, le hidjab – et à plus forte raison la burqa – porte en bannière l’identité coranique. Celle d’aujourd’hui car, comme nous l’apprend l’excellent ‘Dictionnaire du Coran’, édité en 2007 sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi, « traditionnellement, dans la littérature éthico-légale musulmane, [la question] intéresse peu. » Le voile n’est pas dans l’histoire une revendication identitaire, comme la croix des Chrétiens. Il ressort plus largement des codes vestimentaires et de la pudeur. Mais aujourd’hui, le sentiment de pudeur s’est exacerbé, jusqu’à devenir délirant. Tout territoire hors islam est réputé corrupteur et diabolique. Dès lors, une femme en burqa dans une rue d’Occident, ne manifeste plus tranquillement sa foi ou sa timidité : elle gifle les passants en se revendiquant complètement autre, fermée, inaccessible. Volontairement ou sous la pression des mâles de son clan.

C’est cette inversion qui cause problème. Ce n’est pas d’être musulman ou tout simplement pudique, mais de jeter sa différence à la face des autres, alors qu’on sollicite, dans le même temps de vivre sur son terrain, en profitant de tous les avantages annexes des libertés et du développement.

La vêture, en Islam, concerne hommes et femmes. « Elle est envisagée au regard de la notion coranique de ‘awrât, ces parties du corps humain que la ‘pudeur’ exige que l’on cache à la vue des autres, ou plus exactement de certains autres », instruit encore l’article ‘voile’ de ce Dictionnaire. La pudeur s’oppose au désir, elle vise à neutraliser le corps pour ne pas éveiller les désirs. Toutes les sociétés connaissent la pudeur mais seules celles régies par les religions du Livre l’ont poussée à la caricature. On se souvient de la pudeur victorienne qui faisait mettre des jupettes aux pieds des tables, car il était « indécent » de montrer ses pieds… La burqa n’est qu’une application paysanne de cette manière. Le catholicisme n’est pas en reste, les tartuffes s’empressant de réclamer aux autres ce qu’ils sont incapables de maîtriser en eux-mêmes : « cachez ce sein que je ne saurais voir ! » La peur ne réside pas dans le pied, le visage ou le sein exposé – mais bel et bien dans le regard qui les voit. Est « indécent » la concupiscence de qui mate – pas la partie du corps naturel qui s’expose. Dieu ne nous a-t-Il pas créé à Son Image ?

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De quoi comprendre l’obsession de sexe qui a saisi la psychanalyse dès Freud, les refoulements expliquant les névroses, le refus de la réalité les psychoses. Dieu père interdit le sexe pour monopoliser son pouvoir créateur : ses affidés rabbins, curés et ayatollahs usent de la pudeur comme d’une loi pour contrôler la société. Faut-il abandonner l’idée de Dieu pour vivre enfin débarrassé des tabous, des hypocrisies et des tourments ? Non, sans doute, mais peut-être faut-il plutôt se débarrasser de ceux qui se persuadent de parler en Son Nom…

La pudeur, en Islam, concerne les deux sexes dès la puberté. Mais pas avant : ainsi, il n’est pas indécent à un garçonnet ou à une fillette d’aller tout nu. C’était le cas encore chez les Touaregs des années 1960.  Dès la puberté, la pudeur des hommes et des garçons va du nombril aux genoux, d’où cette mode du short en piscine qui a éradiqué le slip depuis quelques années dans nos banlieues. Est-ce que voir les cuisses ou les fesses d’un mâle donne aux Croyants envie de le sauter ? Pour les femmes, tout dépend de l’évolution de la société musulmane : plus celle-ci est lettrée et cultivée, moins les femmes sont voilées – car il est considéré que la civilisation permet de dominer les instincts bruts. A l’inverse, les sociétés les plus archaïques, paysannes ou illettrées, voilent entièrement les femmes, leur voix même étant impudique, comme pouvant inciter à la fornication. Le Dictionnaire précise : « Il convient de remarquer que la ‘awra n’est pas une qualité intrinsèque de la femme en tant que telle, puisqu’elle varie en fonction de son statut social et religieux. »

Le Coran mentionne le voile des femmes mais, comme toujours, un verset vient en cacher un autre : les femmes peuvent librement commercer – or comment tenir commerce sans qu’on vous voie les mains ou le visage ? Les légistes musulmans ont disserté longuement sur la question et en ont conclu qu’aucun des deux principes, égaux en légitimité, ne devait l’emporter sur l’autre : le voile, oui, mais pas intégral ; le commerce, oui, mais pas dans n’importe quelle tenue. Voilà qui est sagesse, bien loin de ce machisme exacerbé qui sert de revanche aux ressentiments d’aujourd’hui. « La morale musulmane en son expression la plus noble et la plus raffinée a toujours interdit l’ostentation religieuse qu’elle assimile avec lucidité à de l’hypocrisie (al-nifâq) », écrit encore ce Dictionnaire.

Hypocrisie qui n’est pas propre à l’Islam car, le duel Bayrou-Cohn Bendit récent le montre, le Tartuffe de Molière est d’une brûlante actualité !

Mohammad Ali Amir-Moezzi (direction), Dictionnaire du Coran, 2007, Laffont Bouquins, 981 pages, 28.5€, article « voile »
Molière,
Tartuffe, 1664, Folio, 230 pages, 2.85€


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