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Yves-Noël Genod, Vénus et Adonis : Shakespeare revient

Publié le 02 juillet 2009 par Jérôme Delatour
Yves-Noël Genod, Vénus et Adonis : Shakespeare revient
Yves-Noël Genod, Venus et Adonis (cl. Patrick Berger)

Epatant. Feuilletant le dernier Nouvel Obs en rentrant de Gennevilliers, je tombe sur cette citation : "dans une époque de décadence, pas d'ornementations, je vous prie ; il vaut mieux alors rechercher la communion intime avec les vieux de la vieille et ignorer le présent". Signé Vincent Van Gogh à son ami peintre Van Rappard. Parfait pour la dernière mise en scène de Genod, Vénus et Adonis. Cela lui va comme un gant. Shakespeare, dont il a monté il y a deux ans un Hamlet mémorable, fait assurément partie de ses vieux de la vieille.

Pour ce retour à Shakespeare, Genod n'a pas choisi une pièce de théâtre mais un poème, Venus and Adonis (1593), librement inspiré du livre X des Métamorphoses d'Ovide.
L'argument n'en est pas bien compliqué. Il s'agit du pouvoir absolu de l'Amour. Même Vénus est soumise à ce délinquant précoce. Quand elle reçoit un de ses traits, elle perd ses moyens, comme le premier des mortels. De cette constatation, Shakespeare tire un poème galant et comique où Vénus court après le bel Adonis sans parvenir à ses fins. Par la puissance d'Amour, les rôles sont inversés. Le chasseur devient le chassé et c'est la femme qui presse l'homme - situation particulièrement inconvenante pour un Elizabétain. Pour rendre la chose plus plaisante, Shakespeare truffe son texte, déjà très maniériste, de jeux de mots équivoques. "I'll be a park", dit par exemple la déesse, "and thou shalt be my deer" (je serai un parc, et tu seras mon chevreuil, v. 231). On entend "my dear", mon chéri, mais elle dit "my deer", mon chevreuil, et ce "deer park" évoque plutôt une réserve de chasse. Ce n'est donc pas l'enclos doré de Bambi... Vénus a la pointe carnassière.

Yves-Noël Genod, Vénus et Adonis : Shakespeare revient Yves-Noël Genod, Venus et Adonis (cl. Patrick Berger)

Mais pourquoi Adonis ne veut-il pas d'elle ? Il paraît bien difficile. Chez Ovide, il semble qu'Adonis préfère la chasse aux bêtes sauvages. Chez Shakespeare, c'est déjà plus ambigu ; peut-être Adonis est-il encore un peu jeune. Genod reprend cette hypothèse - son Adonis commet de menues gamineries - mais en ajoute une autre, plus franchement que le poète : Adonis a tellement une tête et un corps pour plaire aux hommes, qu'on se demande si Adonis lui-même ne les préfère pas aux filles.
De ce point de vue, Felix M. Ott fait un Adonis plus que crédible. Une vraie incarnation du giton, de ceux qui font la réputation du Bonheur du jour. Le choix de Kate Moran pour jouer Vénus est bien plus déroutant. On attendrait une Vénus grasse et gaillarde ; au physique on a la Vénus de Cranach, au moral une mère plutôt qu'une coureuse de caleçons. Une Vénus délicate, décente et plutôt vêtue, alors que Vénus, d'ordinaire, ne fait pas dans la dentelle. Conséquemment, le désir de Vénus pour le jeune Adonis se colore d'une nuance incestueuse, trouble. Jeu des genres et des générations, ambiguïtés des sexes et du désir, Vénus et Adonis trouve son écho dans le monde contemporain, comme dans la propre vie de Genod, que celui-ci met en scène dans son blog.

Pourquoi monter ce Vénus et Adonis ? Voici ce que m'écrit l'intéressé. "Si je peux me permettre de te suggérer une clé : je ne crois pas que Vénus et Adonis soit vraiment le sujet du spectacle... (Je pense que c'est un trompe-l'œil.)"

Yves-Noël Genod, Vénus et Adonis : Shakespeare revient Yves-Noël Genod, Venus et Adonis (cl. Patrick Berger)

Les habitués de Genod auront été surpris ou non, c'est selon leur compréhension du personnage. Je ne l'ai pas été. Comme d'habitude, Genod surgit comme ça, joue la maladresse sympathique, l'improvisation. Rien d'improvisé naturellement, mais le désir évident d'être proche des gens, du public si vous préférez. De rechercher des relations plus directes, comme il le fait avec son blog déjà cité. Genod ne voudrait pas effrayer, malgré sa tronche de Vercingétorix.
Ici, il était confronté à un écueil infranchissable : les Français sont nuls en anglais. Donc, si comme Genod on fait appel à une talentueuse Anglaise pour réciter le texte original de Shakespeare, il faut soit passer par un impossible sous-titrage, soit résumer l'argument au préalable. C'est cette seconde voie que Genod choisit, au risque d'alourdir considérablement sa mise en scène, puisque l'histoire s'en trouve contée deux fois. Genod s'en sort plutôt bien cependant, essaie d'alléger la lourdeur par des petits gags, en particulier un souffleur qui souffle plus qu'ordinairement admis (amusant, mais un peu anecdotique).
Comme d'habitude aussi, Genod affiche une certaine pauvreté de moyens. Dans la feuille de salle, on apprendra que les costumes ont été "empruntés" au théâtre de Gennevilliers. On voit où Genod place l'essentiel : dans le poète, dans les acteurs, le public qu'il réunit. A l'opposé de son Hamlet, le plateau est cette fois complètement nu. La salle est toute noire, de béton peint et d'acier ; et pourtant j'ai rarement vu dénument plus sexy ni mieux exploité. Adonis s'ébroue, pâle et aérien comme un modèle dans un vieil atelier de peintre, caravagesque. Dans les lumières nocturnes, la bougie électrique, le happement de la grande carcasse scénique, les acteurs vont et s'évanouissent. C'est le vide et la mort opposés à la vie et au plein, l'illusion théâtrale à cru. Quelque chose de fantomatique qui sied à merveille à nos classiques, ces revenants qui ne sont jamais partis. Ce soir-là, j'ai senti passer le souffle de Shakespeare, ce petit frisson que procure la présence des morts. Il parlait par la bouche des comédiens, à travers eux son haleine cadavérique avait le parfum des roses. Troublant.

PS. Sur le théâtre de Gennevilliers et les flèches de Buren. Ces flèches rappellent les jeux de piste de notre jeunesse. Elles semblent avoir été plantées là pour l'usage exclusif des grands enfants de Paris. Elles vous cueillent dès la sortie du métro. C'est à croire qu'il n'y a rien d'autre à voir à Gennevilliers que son théâtre. Espérons qu'elles ne soient pas volées comme les petites Vierges qu'on plaçait autrefois dans des niches au coin des rues.

PPS. Avec Vénus et Adonis, Genod annonce qu'il clôt un cycle de six ans. Qu'y aura-t-il après ? A suivre !

Vénus et Adonis, de William Shakespeare, mis en scène par Yves-Noël Genod, avec Kate Moran, Felix M. Ott et Pierre Courcelle, a été donné au théâtre de Gennevilliers les 25 et 27 juin 2009.

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