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Jeux de sexe, jeux de mains, jeux de vilains # Chronique 27

Par Katrin

Comment ne pas être fasciner par cette lente et lancinante descente dans « une nuit d’iris noir »  dont René Crevel (1900-1935) connu tant pour ses frasques, son anticonformisme de bel adolescent, et son suicide que son itinéraire surréaliste et dadaïste, nous rend spectateur malgré nous, malgré lui ? Comment ne pas résister à ce livre – « Mon corps et moi » - envoûtant jusque dans son désespoir où cet archange poète ne se voit plus que comme un petit tas d’os fait « de volontés inconciliables, de papilles à jouir, d’organes a percevoir ? ».

Crevel « Docile aux voies souterraines » et aux forces obscures, René Crevel n’a pas eu besoin de voyager très loin pour s’initier au monde, car ceux qu’il n’a pas fait en surface, il a tenté de les faire en profondeur, aussi bien dans ses territoires intérieurs où il sent vibrer « une multitude », que dans certaines rues et hôtels, de jour comme de nuit, et surtout là et maintenant dans une simple chambre.

Car c’est là où tout commence dans le livre, c’est là où on le suit, où on l’approche, seul dans sa chambre d’hôtel. Seul. Il veut fuir ses souvenirs et « l’odeur mauvaise des réminiscence », peut-être celles de la chair fraîche ? S’il a pris la fuite, « c’est à la seule fin de mettre de l’ordre en lui-même ». Car « qui n’a donc pas senti que pour être un homme, pour être, il fallait être l’homme seul ? ». Mais dans cette chambre, il y a son corps et lui, mais aussi les corps et les autres, les yeux des autres où brille imperceptiblement « le phosphore de l’angoisse ».

Alors malgré lui, le tourbillon des souvenirs remontent « comme une valse à jouer lorsque la vie boite et que la fenêtre s’ouvre sur un jardin triste ». Il va dans les boites de jazz et les théâtres, dans les maisons où « des nocturnes garçons règnent en tuniques, tutus et paniers » ; il se saoule d’un monde qui tangue, de simulacres et de « farces dérisoires et macabres », où il trouve quelques consolations avec des « doubles somnambules », « des femmes aux corsages de pauvres soie », dans «de la sueur, des ambiances de gros vin, de charcuterie, où des hommes , des femmes passent des jours et des nuits entières ».

Il s’amuse, il bibelote, il ne se refuse jamais, il abdique. « Pour échapper au malaise initial de ma propre rencontre, j’acceptais encore des présences ». S’il cherche le contact illusoire d’une chaleur humaine, s’il se dévoue à certains corps, c’est pour oublier le poids du sien. Ces recherches sexuelles ne visent qu’à l’oubli, au sommeil et à la mort. « Tous mes actes furent de petits suicides momentanés ». Même s’il pressent qu’une « monstrueuse et obscène membrane » - l’amitié, l’amour ? - pourrait nous lier les uns aux autres, il a « la chair sceptique » et le vice solitaire, il est incapable de s’absorber dans un plaisir, il finit par haïr les corps où il se repose.

Tout n’est plus que « jeux de sexe, jeux de mains, jeux de vilains », « analyse de jolies partouzes » où les corps se déréalisent, n’exhalent plus d’odeur humaine, et finissent en équation sur un divan où « lettre et chiffre humains se joignent », jusqu’à ces petits matins froids quand « l’aube le surprend, étranger aux choses et aux créatures. »

C’est comme ça, René Crevel  ne trouve pas son compte dans les aventures humaines. Le corps est trop lourd, il lui donne « des semelles de plomb », il l’habille d’un scaphandrier. Le salut pourrait venir de l’Esprit –« mon beau mystère », car lui seul « fait le seul voyage capable d’enrichir » et aussi de la Nuit, car si elle a ses enfers, elle y prolonge le rêve – cet état de rêve hypnotique -, mais lui faut-il véritablement trouver une clé à ses conflits intérieurs ?

Faut-il le retenir par des garde-fous, lui qui a « décidé une fois pour toutes, et au risque de passer pour un Don Quichotte, un arriviste ou un fou, d’essayer tant par ses actes que par ses écrits, d’écarter les barrières qui limitent l’homme et ne le soutiennent pas ? ».

Alors laissons-le brasser « les mouvants trésors des profondeurs » dont son écriture à l’éclat de cristal noir se fait l’écho et qui tisse le fil qui le maintient en vie, même jusqu’à nous.

Laissons-le rêver d’un goût de chair humaine, la chemise ouverte jusqu’à la ceinture, quand « la poitrine s’ouvre aux abeilles du bonheur », à « l’orient secret » de la peau  d’une « créature protégée par le dôme de mon amour ».

Laissons- le aller à la quête de « ce désir obstiné que cherche l’amour » qui sans cesse échappe. Laissons-le chercher « à qui dédier alors le plus profond, le plus riche, le plus trouble de soi ? ». Laissons-le nous ensorceler, encore et encore.

Mon corps et moi. René Crevel. Editions Ombres, Septembre 2008.


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