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Raconte et ne fais pas le malin

Publié le 13 juillet 2009 par Marc Lenot

09-07-2009-1953-47_edited.1247220274.jpgCette phrase de Pouchkine, en exergue de l’exposition de Ferdinando Scianna à la MEP (jusqu’au 11 octobre) est-elle une bonne devise pour la photographie ? Les photographies de mode de Scianna, celles montrant la belle Marpessa plus ou moins dénudée, font en effet un peu craindre qu’il ne fasse trop le malin, qu’il n’enjolive et ne succombe au facile. Mais montrer ainsi Donna Maria (Bagheria, Sicile 1965) avec son regard dur et las et ses poils au menton aux côtés d’Ornella Muti en poupée vaine témoigne au contraire d’une qualité humaine profonde, d’une recherche de vérité au delà de l’apparence factice.

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Plusieurs de ses photos sont sombres, floues, embrumées, graineuses, ainsi ces pénitents cagoulés lors de la Semaine sainte à Enna (Sicile, 1962), fantômes brandissant des bâtons. Un seul oeil brille à travers un des trous de cagoule, les autres sont-ils encore des humains ? Plus tard, à Douz dans le désert tunisien, Scianna, d’ordinaire si précis, photographie à nouveau des ombres tremblantes, deux hommes en djellaba au milieu d’une tempête de sable qui fouette les palmiers : le grain même de la photo y est un signe de tempête.

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Scianna parcourt l’Italie, y saisit personnages hauts en couleur et scènes inquiétantes : à l’hôpital psychiatrique Franco Bassaglia de Gorizia, les motifs à pois de la robe d’une patiente couchée sur un banc se confondent avec le sol en gravier, comme si, folle, elle retournait à la poussière avant même sa disparition, morte au monde. Au sanctuaire du Glorieux Albert à Serradarce en Campanie (1970; détail), les ex-voto recouvrent le mur comme une marée de représentations d’hommes, de femmes, de couples, de bébés, une invasion de photographies d’où émergent la statue d’un évêque et un portrait du pape : face à cette profusion, cette abondance, on se demande à quoi sert la photographie, quel rôle lui fait-on jouer ici, imago magique, témoignage, relique ?

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Cet humanisme cartier-bressonien mâtiné de fantaisie se retrouve aussi dans ses portraits plus exotiques, tel ce jeune Amérindien à Kami (Bolivie, 1986), doux et mélancolique, la tête penchée sur le côté, rêveur inquiétant, ou cette jeune fille
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de Bénarès (Inde, 1997) portant sur la tête cet échafaudage de néons verticaux dans une boîte de bois, éclairage modeste à on ne sait quelle fin : porteuse de lumière mystérieuse aux yeux brillants et interrogateurs tournés vers nous. Ces mystères nous dépassent : éclairer le monde ?

Ferdinando Scianna raconte sans faire le malin, mais ses contes ne sont pas innocents, il témoigne, mais ce qu’il nous montre en dit autant sur lui que sur l’étrangeté du monde qu’il nous montre. Un très beau livre (disponible chez Dessin Original pour 52.25 euros) accompagne l’exposition.

Copyright Ferdinando Scianna / Magnum. Photo 3 de l’auteur.


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