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Le cortège des cheveux gris...

Par Goliath @Cayla_Jerome

Il est des instants où la précipitation et l’impatience n’attendent pas que la raison soit apanage de l’âge.

Dans ce petit restaurant versaillais où nous dînions, alors que le soir venait juste de poindre d’entre les nuages, une dizaine de convives dégustaient déjà une crêpe garnie entre deux chuchotements ; les conversations semblaient se faire avec les yeux mieux qu’avec le son. Ce soir de juillet étant jour de semaine, le ciel se voulant instable au point d’avoir nettoyé la place du château Louis quatorzien de ses cars de touristes plus tôt qu’à l’habitude ; les habitants avaient choisi de rester chez eux, laissant les rues désertes. Très rapidement, à chaque table, les convives se mirent à regarder leur montre avec une inquiétude grandissante à mesure que le jour commençait à décliner, les rides se creusaient, chacun affichait un air de constriction.

D’un geste du doigt, la jeune serveuse vint jusqu’à notre table ; je pus lui demander :

   Faîtes-vous des cafés gourmands ?

   Bien sûr monsieur…

La mignonne essaya bien de revêtir un sourire entendu, puis après une brève hésitation me demanda :

   Pardonnez-moi, mais qu’est-ce que vous entendez exactement par café gourmand ..?

   C’est un café servi en même temps qu’un petit dessert et l’addition ; ce qui gagne en rapidité…

   Ah ..! Je m’en occupe.

Dix minutes plus tard nous avions un café avec sa pâtisserie, accompagné de la note ; le tout enrobé du sourire soulagé de la jolie, ravie d’avoir appris quelque chose de son métier. Dans la foulée, nous vîmes converger vers chacune des tables de petits desserts complets et rapides, les rides s’effacer, les sourires revenir sur les lèvres, les traits se détendre…

Ensuite ce fut la ruée vers la caisse, chacun voulant être le premier pour régler son dû.

Dehors, déjà certains piaffaient d’agacement lorsque nous sortîmes pour aller boulevard de la reine, cette petite avenue qui entre sur le côté des jardins de Versailles, près du bassin de Neptune, où nous voulions nous rendre. Laissant là ces impatiences, nous partîmes d’un pas guilleret.

Chemin faisant, à chaque petite rue croisée, de chaque escalier, de chaque porte et de tous les carrefours ; des couples ou de petits groupes de personnes rejoignaient le cortège se dirigeant comme nous vers le parc. A chaque pas, le flot grossissait de cheveux gris ou blancs, les uns vaillants, les autres appuyés sur une cane, parfois se tenant au bras d’un plus ingambe ou qu’un plus jeune donnait. Parfois des visages soucieux, dans la peine d’un effort de marche rendue difficile par l’arthrose, le regard courroucé de l’arrêt soudain d’un autre gagné de fatigue ou manquant de souffle.
Par ici, des dames d’un âge respectable, vêtues de couleurs claires, devisant bras dessus bras dessous entre copines, le sourire entraînant et les bouclettes bleutées, déjà à la fête d’un événement d’exception. De jeunes frimousses — elle blonde et lui brun au poil frangé et court — l’œil vif et scrutateur, soutenant un papy fort usé et déjà presque absent, afin qu’il participât malgré lui à ce transport commun ; complétaient cet élan, ce flot grossissant de vieillards qui roulait tel un fleuve à la crue. A l’approche de la clôture jouxtant le bassin du dieu jadis défunté avec la culture qui le vît naître, la foule devint si dense qu’un brouhaha en sourdait tel une mauvaise rumeur. La sécurité toute à la tâche de canaliser ce courant du troisième âge, cette déferlante de petits vieux dont le seul but semblait de converger vers ce grand bassin d’eau sale et chargée, commençait de regretter que les anciens ne fussent pas plus sages que des classes d’école primaire.

Nous étions parti à une dizaine du restaurant et par un prompt renfort, nous nous vîmes sept milles en arrivant devant la scène où Roberto Alagna chanterait des airs du répertoire de l’opéra français du XIX ème…

Une fois installés sur des gradins colossaux, dominant la scène flottante tel un nénuphar échoué sur une eau aussi improbable que verdâtre, le spectacle continuait ; nous venions de changer de monde, sinon d’époque !

Des sacs, certains sortaient de petits coussins bigarrés, des jumelles de théâtre dorées et rehaussées d’écailles ; tous avaient le programme sur les genoux, ouvert sur la première page, celle des paroles de la première chanson ; ils étaient chez eux, dans leur pré carré, ils se sentaient bien …

Une clameur monta soudain de cette foultitude déjà toute à sa joie, et toute émotion contenue, une salve d’applaudissement saluât l’arrivée de Rachida Dati, d’un ancien ministre et d’autres légumes gouvernementaux — Etaient-ils seulement annoncés ? —

Sue le rebord de la saumure royale, une solide rambarde pour protéger ce joli petit monde des imprudences et, pas moins de huit bouées de sauvetage ; craignait-on que quelques fans ne se jettent sur le beau ténor né à Clichy sous Bois ?

Durant le concert, chacune rythmait de sa main, pourvu qu’elle fût encore valide, le tempo d’airs connus de toutes et de tous ; il n’y eût pas moins se sept rappels, tous ponctués d’un nouvel air à la mode d’hier !

Dieu que le temps peut ce faire long, parfois …

D’ici je vois quelques uns d’entre vous sourire en me pensant au milieu de cette marée humaine d’un autre âge, se demandant ce que j’y faisais, moi aussi !

Comme tant d’autres, nous accompagnions, douce et moi, belle-maman pour sa soirée d’anniversaire, quatre-vingt-un ans, ça mérite bien une sortie singulière !

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