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La mémoire courte des censeurs

Publié le 16 juillet 2009 par Vogelsong @Vogelsong

Voilà que les réactionnaires se font chantres de la liberté d’expression. Les mêmes qui musellent les médias, l’Internet, et qui verrouillent le pays, prennent fait et cause pour le droit à tout dire. Même des inepties. Cela rappelle les ligues de vertu américaines qui s’en prenaient au rock. Une sous-culture jugée à l’époque, dégradante, voire satanique. En France trente années plus tard, c’est à front renversé qu’éclate une polémique sur la liberté d’expression. Où les féministes progressistes interdisent, où les conservateurs se posent en libérateurs.

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Au début des années 80, Lars Ulrich et sa bande soumettent aux tympans pubères le très pacifique “Kill’em all”, d’où sera tiré l’hymne au riff dévastateur “Seek and destroy“. Metallica ne fait pas dans la dentelle, ni la guimauve, mais dans l’étendard guerrier et brutal. Presque trente années plus tard cette formation est révérée. Chaque tournée est un triomphe. Le plus grand groupe de métal du monde qui bâtit sa réputation sur des titres, des rythmes et une esthétique outrageusement violents. Et, on ne trouve plus rien à redire.

Aboutissement d’une carrière musicale pour les Rolling Stones. Pris dans la mire de M.Scorcese, ils sont sublimés malgré un vieillissement qu’ils ont de plus en plus de mal à cacher. Avec un standard comme “Under my thumb” que le groupe rejoue systématiquement et dont le monde a oublié qu’il est foncièrement, grossièrement misogyne. Le labial M.Jagger y dépeint le plaisir que procure la mise sous la férule de sa vicieuse compagne. À l’époque les féministes crient au scandale. Depuis M.Jagger est l’ami des présidents, les lionnes d’hier s’extasient lors de dantesques concerts.

L’homme à la tête de choux fait miauler sa fille dans une chansonnette sur le thème de l’inceste. Ce morceau vingt ans plus tard continue de rapporter chaque année son pesant de royalties aux descendants de l’artiste grâce à ses innombrables passages à la radio. S.Gainsbourg connut son heure de censure. La Marseillaise passée aux rythmes du chanvre a contrarié les fiers défenseurs de la nation française. Cette frange politique descendant en droite ligne des conservateurs actuellement au pouvoir en France.

C’est bien le problème de la censure. Quel que soit le bord, la tendance, on trouve toujours une excellente mauvaise raison de l’exercer. Les conservateurs d’hier scandalisés par l’atteinte portée à la nation font beaucoup moins de manières quand la femme est atteinte dans son intégrité, sa chair. Inversement, ceux qui trouvaient la Marseillaise de Gainsbar décapante s’éventent à l’écoute de quelques rimes sanglantes.

Il faut par avance écarter la censure pour qualité. Engoncer la création dans un système normatif est improductif. Mais si, par une utopie ultime, des canons artistiques étaient établis pour passer à la toise les œuvres, il est fort probable que l’industrie de l’entertainment vivrait une apocalypse financière.

N.Chomsky pose un principe politique simple : “L’État ne devrait pas pouvoir déterminer la vérité, même s’il a raison”. Il devrait aussi s’appliquer dans le domaine de la création. Laisser l’artiste, le créateur assumer ses miasmes. Dans la censure, il y a la peur de la vérité. La peur du constat d’échec d’une société qui n’a pas correctement instruit ses semblables. Dont les armes intellectuelles, le sens critique confine à l’indigence. On a peur alors qu’elle rencontre un obscur troubadour, aussi minable qu’il puisse être, et qu’elle y trouve un écho. Une collectivité qui n’a pas peur ni de son ombre, ni du débat devrait accueillir sereinement toute création. La prendre pour ce qu’elle est. La laisser pourrir si besoin.

Une nuée de femmes de toutes générations se précipitent et se pâment aux concerts d’un artiste d’Etat exhalant la testostérone, ruisselant, dans un bénard lui sculptant les gonades, braillant approximativement, les jambes bien écartées. C’est souvent dans un état orgasmique que cette foule hurle sa joie. Plutôt que de jouer la censure pour de piètres inconnus, les féministes, les progressistes devraient raisonnablement se poser la question, face à ce type de comportement reptilien, de la réussite de leur mission civilisatrice.


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