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Journeyman

Publié le 16 juillet 2009 par Philippe Di Folco
La série télévisée américaine Journeyman appellent quelques éloges. A la fin du 13e et dernier épisode intitulé "Le dernier voyageur", la caméra plonge dans l'oeil grand ouvert de la femme de Dan Vasser, lequel vient de disparaître pour un nouveau voyage dans le passé. De ce dernier "trip", nous ne saurons rien : à l'époque, en 2008, la chaîne NBC a jeté l'éponge. L'audiomètre gagne une nouvelle fois mais des milliers de fans, semble-t-il, tentèrent peu après de sauver la série... peine perdue. A la fin de l'ultime épisode, Kitty demande à Dan de prendre des sédatifs, seul moyen en principe d'endiguer les névralgies précédants l'immersion temporelle de son mari, et donc, d'arrêter ses brutales disparitions pouvant mettre en péril leur couple. La dernière phrase de Kitty est "Il y aura toujours de la lumière à la maison".

Puisqu'est mort Journeyman, consolons-nous au moins avec ça : la série ne cédera donc pas à la tentation insupportable car trop souvent systématique de "l'homme providentiel". En seconde saison, rien n'aurait été plus facile pour les scénaristes, pour plaire aux sondages, que de faire effectivement de Dan Vasser un nouveau christ, un sauveur, le maître de la providence, un Obama des quantas, un cousin des quarks plus rapide que la lumière et donc, forcément, "guidé par des forces qui nous dépassent". La saison 1 effleure à peine cela, mais repose tout de même sur de bonnes valeurs bourgeoises : couple indestructible propriétaire d'une
maison à San Francisco (là, c'est de la SF !) de wasps avec blondinet, gagnant leur vie grâce au journalisme, "faisant vraiment la cuisine avec des produits bio", et pour qui l'alcoolisme, les joints et le poker c'est du passé. La série tripote le messianisme par le petit bout mais manipule les grosses ficèles du sociologiquement correct et de la rédemption. On ne cherchera pas là les raisons de l'insuccès (relatif) de la série, ni ailleurs. Journeyman peut nous toucher pour d'autres choses.

Dès le premier épisode de Journeyman, le poétique et méconnu film Somewhere in Time vient à l'esprit. Construit d'après le roman de Richard Matheson, on voit un jeune homme, Richard Collier (Christopher Reeves), en villégiature dans un vieux palace au début des années Reagan. Au cours d'une visite du musée de l'hôtel, il découvre un tableau représentant un jeune femme. Amoureux du portrait (l'ambiance est très jamesienne), il finit par s'isoler dans une chambre, se concentre et revient en 1912, à l'époque où fut prise la photo. La suite du film est d'une grande mélancolie, d'une infinie beauté. Ce film m'a longtemps obsédé. Je me souviens de la scène où, se préparant à épouser la "femme du portrait" qu'il a fini par retrouver, Richard trouve dans sa poche de montre la pièce de monnaie, le cents "Lincoln 1979" et de pousser un cri avant de disparaître dans un flash : "Mais, ô mon Dieu, j'ai oublié... cet argent... non, ce n'est pas possible..." Et il revient en 1980, tétanisé, cataleptique.

Il y a aussi ce "sentiment d'étrangeté", que de n'être plus le même au monde, ou plus du tout dans le même monde : Philip K. Dick en parlait souvent, il racontait cette histoire je crois qu'il lui était arrivé un matin de découvrir avec effroi que le cordon de sa lampe de chevet n'était plus à droite mais à gauche. Et d'affirmer que depuis des années, il était sûr de l'avoir toujours vu à droite. Sa façon d'envisager le monde n'avait ensuite plus été la même.

Les aspects pratiques du voyage dans le passé passent souvent au second plan dans certains films, voire dans certains romans. On s'enlise vite dans des considérations pseudo-scientifiques ou dans un mysticisme gluant alors qu'il suffit de ce genre de petits détails : un cordon rouge devenant bleu, un billet de banque portant une date improbable. Ici, beaucoup d'implants scénaristiques prometteurs reposant sur des objets familiers parsèment les 13 épisodes de Journeyman. Paradoxalement, l'une des scènes les plus savoureuses, et d'ailleurs assez mal doublée en version française, constitue un très bel effet, comme seuls les scénaristes américains savent en jouer. Aucunement matérialiste, l'idée est toute simple : ce que nous savons de l'Histoire de l'humanité passe par des traces, des récits, des enquêtes. Il existe bien entendu des aberrations dans ce grand récit, des vides, des mystères. Dans l'épisode 13, à un moment donné, un personnage qui joue le rôle d'un physicien évoque le nom de Démocrite qui fabrique le concept d'atome 1500 ans avant sa modélisation théorique. Il aurait pu ajouter celui de Leonardo. Et de tant d'autres. C'est à partir de bizareries (d'esprits singuliers) comme celle-ci que nous fantasmons, et ce, dès notre plus jeune âge. Je me souviens du "Et si l'on pouvait revenir en arrière et tuer Hitler, tu crois que...". Nous connaissons la phrase de Stephen Hawkins : "Si le voyage dans le passé est un jour possible, nous le saurions depuis longtemps". Et Journeyman répond : oui, certes, mais la plupart des voyageurs sont chez les fous ou passent pour des fous. Et en effet, c'est ce qui se passe dans la série.

Le concept de voyage dans le temps semble assez récent (milieu du XIXe s.), mais si l'on cherche un peu, il n'en est rien. L'être humain voyage dans le passé, naturellement, évidemment, depuis "toujours" et avant tout dans ses rêves bien sûr. De fait, on constate cela en lisant les grandes fictions fondatrices de la plupart des civilisations ayant laissé aux vivants des épopées, des sagas, des récits picaresques. Je crois qu'Edgar Morin rappelle quelque part, ce qui semble être de prime abord un truisme, que dès lors que "nous imaginons" et que nous restons impressionnés par nos rêves, nous devenons persuadés d'avoir des doubles et d'être doué du don de voyance, et donc de voyage dans le temps : nous ne pouvons pas mourir puisque le sommeil permet aux morts de revenir, aux actes passés de se redérouler, de se modifier, etc. La confusion existentielle qui existe longtemps chez l'enfant entre le cauchemar, et l'illusion de réalité qu'il engendre au réveil, peut aussi expliquer les choses : "Mon père n'est pas mort à la guerre puisque cette nuit je l'ai vu dans mon sommeil". Il serait intéressant de montrer que le "flash back", le retour en arrière, lorsqu'il s'inscrit dans le déroulement d'un récit du type fiction, permet de réparer, d'inteligenter autrement ce qui nous peuple : au fond, c'est ce que le rêve nous propose parfois, de revivre un moment fort, et d'en changer l'issue si celle-ci nous déplait, nous affecte ou nous condamne. Le cinéma aura permis de jouer efficacement avec ce fantasme, plus qu'un autre média. Serge Daney aurait dit les choses plus clairement : le cinéma c'est le retour du père à la maison. Et Journeyman ne tourne qu'à ça. Le roman, lui, permet à un écrivain de réécrire sa vie : c'est d'ailleurs ce qu'il ne cesse de faire, c'est même sa seule motivation si l'on en croit le chercheur Thomas Pavel, et ce, depuis Homère. "Il était une fois" constitue la première pièce de la machine à remonter le temps. Au fond, la machine existe bel et bien : c'est le don de pouvoir fabriquer des histoires "captivantes".

Une chose qu'il serait sans doute utile de faire également, serait de lister les inventions proposées par les récits de fiction, inventions toujours à l'état de simples mots couchés sur du papier. De créer une sorte de répertoire de toutes les inventions non encore effectives, proposées par les fictions, comme par exemple le "pianocktail" de Boris Vian (L'Ecume des jours, 1947). Mais c'est une autre histoire.

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