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La légende de Rama et Sita | suite

Publié le 16 juillet 2009 par Bamboo @Bamboo_Club

Eh oui « demain » n’est pas nécessairement demain, mais souvent un autre jour (vous saurez dans les prochains posts le pourquoi…). Comme convenu cependant, je poursuis le fil rouge autour de ces amants de légende. Pour illustrer ma marotte, voici deux textes sur des spectacles mettant en scène le Ramakien (la variante thaïe du Ramayana) . Quelle que soit la version, les noms des personnages et des lieux changent tandis que la trame reste identique… Si vous visitez la Thaïlande, prenez le temps de découvrir ce genre de spectacles par exemple au Théâtre National de Bangkok (plusieurs dimanches de suite, j’ai suivi des épisodes du Ramakien lors de représentations splendides pour une somme modique), ou encore au théâtre de marionnettes « Joe Louis ». De quoi être surpris…

[Texte édité le 27 décembre 2006, dernière mise à jour le 16 juillet 2009]

Quand la cité d’Ayutthaya s’épanouit à la cour de Louis XIV :

Le fait historique, le fait politique, le fait social ne constituent à eux seuls l’identité d’une Nation. L’histoire d’un peuple se compose aussi de ses passions et de ses déchirements, la passion des gens du commun comme celle de ses souverains. Ayutthaya en cendres, le fondateur de la présente dynastie Chakri fit renaître le phénix qu’on appelait, en d’autres temps, Royaume du Siam. Sous les ailes protectrices du Garuda, à l’ombre bienveillante des arbres de la Bodhi, les racines de la culture thaïe furent replantées. Aujourd’hui encore nous pouvons en goûter les fruits. Le Ramakien [1] ou Ramakirti – pour les amoureux des origines, est une de ces œuvres littéraires, patinées par le cycle des saisons dont la saveur subtile et pénétrante nous hante encore bien des siècles plus tard.

Pour deux représentations d’exception, la troupe nationale de Khôn [2] se dévoile au sein de l’Opéra Royal de Versailles, en interprétant un passage du Ramakien. Chaque peuple est attaché aux symboles, les Thaïs ne font pas exception. Ainsi ces spectacles font écho aux ambassadeurs siamois diligentant des hommages au Roi Soleil, il y a 320 ans de cela.

Ambassadeurs siamois

Brest | Musée de la Tour Tanguy | Jim Sevellec. Le 18 juin 1686, l’ambassade de Siam débarque à Brest avant de se diriger vers la capitale pour rencontrer Louis XIV. Elle est reçue en grandes pompes par la ville de Brest.

[1] opéra-ballet en costumes en partie masqués, fondement de l’art théâtral du pays
[2]  La geste du 7ème avatar de Vishnu : Rama (rebaptisé en thaï Phra Ram)

Masque d’un prince

Masque d'un prince

Masque d’un singe guerrier

Masque d'un singe guerrier


Khôn, théâtre masqué et dansé

Phra Ram (Rama) : prince héritier du royaume d’Ayodhya (Ayutthaya)

Phra Lak : son jeune frère

Nang Sida (Sita) : sa bien-aimée

Thotsakan : démon, antagoniste du héros

Hanuman : bras droit du prince, dirige l’armée des singes

Nang Benjakaï : nièce du démon

Choeur : chant, narration et partition instrumentale


Sur des sentiers non battus par le Ramayana indien : épisode de la dame flottante

Khôn #3

Benjakaï transformée en princesse Sida, simulant la mort, se laisse flotter le long du fleuve. En la découvrant, Phra Ram, affligé de douleur, appelle à lui ses légions et part à l’assaut du démoniaque Thotsakan, seul responsable possible. Hanuman s’étonne de ce phénomène, comment le corps de Dame Sida peut-il remonter et non descendre les méandres du fleuve ? Il fut alors décidé de porter à crémation, la supposée défunte. Soudain Benjakaï, affolée par les flammes du bûcher, s’envole dans les cieux sous sa véritable apparence.

Ce poème épique a ceci de particulier qu’il est un creuset, commun à l’ensemble des contrées d’Asie du Sud-Est. Variations multiples et colorées sur un même thème : la gloire de Rama est louée de la Birmanie à la Thaïlande en passant par le Laos, le récit est devenu le célèbre Reamker khmer, pour atteindre la péninsule malaise, traverser les océans et se perpétuer dans les archipels indonésien et philippin. Sans concertation aucune, les peuples vernaculaires y laissent leurs empreintes ; chez les Malais, des mérites sont accordés par Allah en lieu et place de Brahma. L’épisode représenté ce soir « Celle qui flotte sur les eaux » est une recension purement thaïe.


Scène de bataille : dualité, animalité, anthropomorphisme

Khôn #4

L’affrontement qui s’ensuit, dénote un récit maintes fois évoqué, les combats entre le héros vertueux et Thotsakan étant récurrents. On appréciera le classicisme du duel, les poses en balancier (de quel côté penchera la justice ?) – le colosse maléfique portant à bout de bras Phra Ram d’un côté, Phra Lak ou Hanuman, suspendu à l’autre.

Khôn #5

A voir les différentes espèces peuplant ce conte, à l’évidence l’humain n’a pas l’exclusivité. Divinités, démons, nâgas (serpents divins) et Garuda (oiseau mythologique, porteur de Vishnu, emblème de la Thaïlande) s’y côtoient. Des singes guerriers dotés de parole se mêlent aux princes. Ce n’est là que le signe universel de diverses facettes de la condition humaine : l’ambivalence manichéenne comme l’animalité en chacun de nous.

Mais dans cette Odyssée, le cœur de ces êtres est manifestement humain. Tels la colère, l’orgueil, la convoitise aussi bien que l’amour, la fidélité ou la gratitude, les aspirations des dits personnages revêtent un éclat propre à la comédie des mortels.

Si le chant et les paroles psalmodiées raisonnent à la manière d’une mélopée étrange et indéchiffrable, que l’intrigue semble obscure, en contre partie nos yeux novices capteront sans besoin de discernement particulier le foisonnement des costumes – brocards, soieries, broderies, s’étonneront des masques, traînes et coiffes. Une procession échappée des murs du temple du Bouddha d’émeraude.

Khôn #6

Un art où la séduction des femmes s’exprime par une ellipse de la main, où la grâce des danseurs se fige pour l’éphémère en des tableaux vivants. Lorsque le plaisir des sens n’a nul besoin de mots pour s’exalter. Contre l’impermanence de la vie nous ne pouvons nous battre, juste voler le temps d’une représentation un instant d’éternité.

Khôn #7

Khôn #8

Khôn #9

Les nombreuses poses codifiées sont référencées, il y en a des pages et des pages…


• Générale pour la presse | le 17 septembre 2006 | Inauguration officielle du festival Tout à fait thaï | le 18 septembre 2006  | Opéra du Château de Versailles •

• CREDIT PHOTOS | Exception faite des trois dernières que j’ai commises (avec plus ou moins de succès, une scène en perpétuel mouvement est ô combien difficile à capturer !), les photos sont extraites des catalogues du festival •

Bref aparté :

L’Opéra Royal, lieu de ces représentations valait à lui seul le déplacement. Auguste voûte à la beauté décatie. Mystérieusement cette beauté fanée ne le dessert point. Tout au plus, le poids des années ne fait que souligner l’Importance et l’Historique. De ceux qui transcendent tout.

Depuis 2007, l’Opéra est fermé pour rénovation (à l’époque, sachant l’in extremis de la fermeture, la délégation thaïe a tenu coûte que coûte à choisir ce lieu – au symbole à leurs yeux, inestimable – pour ces deux représentations). Sa réouverture est programmée à la rentrée, pour la saison 2009-2010. Je l’ai vu beau et vétuste, j’attends de le voir beau et sublimé.

Opéra Royal de Versailles

Opéra Royal de Versailles (photo : chateauversailles.fr)


• EDIT | le 19 juillet 2009 •

Marionnettes de Thaïlande

Dans le cadre du festival Tout à fait thaï, automne 2006, la Maison des Cultures du Monde accueille en sa demeure la compagnie Joe Louis, marionnettistes venus du Siam pour trois jours de représentations enchanteresses.

En Thaïlande, le théâtre de marionnettes traditionnel est une forme artistique apparue au début du 20ème siècle, il n’en reste aujourd’hui qu’une unique troupe. C’est au doyen, artiste-magicien, Sakhorn – aussi connu sous le nom de Joe Louis (sobriquet donné par ses intimes au maître de céans Sakhorn Yangkhiewsod) que revient la responsabilité de maintenir le flambeau d’une pratique jadis populaire et répandue.

Manipuler ces figurines est un exercice de précision à nul autre pareil et nécessite trois personnes par marionnette ; où, seuls des acteurs aguerris de Khôn sont à même de comprendre et reproduire les expressions corporelles, gestuelles liées à cette technique fort codifiée et exigeante. Mais comment la magie opère-t-elle ?

Marionnettes traditionnelles thaïes #1

Ce soir pour nous charmer, deux passages du Ramakien (inspiration thaïe du Ramayana) ont été sélectionnés. Au rythme de musiciens scindés de chaque côté de la scène, trois accoucheurs de vie portent à bout de bras un pantin de bois, l’autre versant étant constitué par trois femmes manipulant une jolie « Précieuse ».

La Précieuse (Nang Sida)
Le Démon (Thotsakan)

La Précieuse (Nang Sida) et Le Démon (Thotsakan)

Scène d’ouverture : on découvre Thotsakan, géant démoniaque pris à son propre jeu. Lui qui avait ordonné à sa nièce Benjakaï de prendre les traits de Sida, il se laisse envoûter par une illusion et un sortilège quasi parfaits. Suit Hanuman, général de l’armée des singes et fidèle compagnon d’armes du seigneur Rama. Le singe blanc n’est dupe de la transformation de Benjakaï mais esclave des faiblesses communes à tous les hommes, il succombe réellement à la beauté trouble de celle qui a repris sa véritable enveloppe charnelle, et la capture.

Dans le cœur du public, Hanuman remporte souvent l’unanimité, on guette son apparition, ses prouesses, ses acrobaties. Tour à tour drôle et audacieux, aussi attendrissant que facétieux, à lui revient le rôle de faire participer l’assistance. Cette fois-ci, il a volé le sac à main d’une proie choisie dans l’assemblée, l’a obligée à monter sur les planches, à l’embrasser sur une joue puis l’autre, sur le front aussi.

« Ce soir, les demoiselles françaises ne manquent pas d’attraits », cachant derrière une menotte courbée, un léger ricanement grivois…

Chaque personnage possède des traits de caractère spécifiques et consensuels. Leurs manières sont en conséquence. Le public le saisit très vite. Les princesses sont belles, sages et posées, les princes forts et héroïques…

Marionnettes traditionnelles thaïes #2

La particularité réside dans le talent des manipulateurs en symbiose, jouant avec une dextérité de mime. Depuis toujours le génie humain a recherché l’essence de la création divine : le pouvoir d’insuffler la vie. Les interprètes de ce théâtre ont réussi cette catalyse magique : doter d’une âme un être sans vie, avec la volonté paradoxale que l’homme ici, ne soit plus que l’ombre de sa marionnette.

Raconter l’épopée de Rama, décrire les aventures de Hanuman par des mots ne reflètent qu’une image biaisée du jeu. Cascade d’effets de miroir, à vouloir se perdre dans cette mise en abîme, on ne saurait retranscrire la sophistication de ces incarnations, les minuscules coiffes finement sculptées, les tenues miniatures brochées d’or, tandis que les marionnettistes se confondent dans le noir avec des habits couleur encre de chine. Comme pour tout spectacle vivant, y assister est l’ultime manière de le comprendre. A l’occasion, franchissez les portes de ce monde singulier.

Marionnettes traditionnelles thaïes #3

Marionnettes traditionnelles thaïes #4


• Représentations à Paris | les 15, 16 et 17 septembre 2006 | Maison des Cultures du Monde •

• REMERCIEMENTS | Amabassade royale de Thaïlande | CulturesFrance | Equipe du Château de Versailles |  Laurent Delarue (Faits & Gestes) | Maison des Cultures du Monde •

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