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Le dimanche

Par Chroniqueur
Le dimancheLongtemps j'ai détesté le dimanche. Je me suis lourdement trompé et maintenant que je le vois menacé, je veux le défendre: travailler le dimanche? Mais c'est un oxymore! Je ne veux pas qu'on fasse sauter ce vieux et noble verrou mais de toute manière nous ne prendrons même pas la peine de crocheter la serrure, la finesse n'est pas notre genre, on va se convaincre que les croissants ne sont pas bons pour la croissance avec force arguments hygiéniques et hystériques sur leur teneur en beurre l'essentiel étant qu'on ne tombe pas malade à cause d'un emploi du temps sans relief tout au bonheur d'étendre à tous les métiers les inconvénients de quelques-uns, mais qu'importe tant qu'ils peuvent infiltrer nos havres de paix et d'intimité, ne nous laisser plus aucun repos et faire résonner les cloches sonnantes et trébuchantes histoire de pouvoir faire un krach boursier un dimanche, un dimanche noir, voilà un fiasco retentissant qui aurait de la gueule, imaginez un peu! et cependant je doute qu'on puisse faire l'économie d'un rite aussi précieux, une interdiction de travailler c'est un repère qui n'a rien de pépère au contraire mais une inter-bénédiction, une petite parenthèse enchantée, un jour Seigneur qui échappe à la course saignante de la trotteuse, un jour pour rien et même pour s'ennuyer ce qu'on conseil aux enfants peut-être aussi bon pour les adultes, cette vacance d'activité laisse oeuvrer d'autres choses dans notre fonds humain et je me demande s'il ne serait pas nocif de supprimer le cafard du dimanche - ou le blues en été - car notre grand malheur est de ne pas savoir nous arrêter alors il est bon d'avoir au moins une bande d'arrêt d'urgence dans notre calendrier même si le dimanche est un défi: se faire face, sans trop de divertissement, ça ne paraît pas trop difficile et pourtant combien d'entre nous s'écrasent dans le cul de sac du jour dernier, saisis d'angoisses à l'idée de ne pouvoir rebrousser chemin, c'est anxiogène un dimanche, de devoir attendre la semaine prochaine, de ne pas pouvoir filer faire du shopping pour ne pas trop se sentir exister tant il est vrai qu'elle est sans trêve notre 'sixtence d'où la nécessité d'un petit septième, et lorsqu'elle ressemble tous les jours à un dimanche pluvieux, on appelle ça une dépression c'est-à-dire une plaine morne, du temps à perte de vue parce que pour sûr, le dimanche c'est du quotidien pur, de la plus belle qualité, coupé avec rien d'autre, c'est un shoot, ça nous oblige à être un dimanche et c'est peut-être pour ça que je trouvais ce jour banal et les beaux habits du dimanche ridicules et les réunions de famille interminables alors qu'aujourd'hui je regarde les morceaux et je me dis que ça aurait pu coller si on y avait tous mis un peu plus du nôtre mais maintenant que le vide s'est fait je discerne mieux les contours de ces très riches heures ensemble que je n'ai pas pas su vivre, le dimanche comme une grève où viennent mourir les autres jours tout en préparant la naissance d'une semaine toute neuve et c'est un dimanche que le tombeau du Christ fut trouvé vide comme quoi c'est souvent quand on a l'impression qu'il ne se passe rien qu'on est comblé, enfin, autant de raisons qui me font voir d'un très mauvais oeil cette rupture du contrat institué par celui qui reste peut-être en dernier lieu notre employeur principal: oeuvrer six jours et un garder un pour les louanges et pour la joie et pour laisser le monde se re-po-ser.
Image: Edouard Boubat.

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