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Des animaux suivis à la trace

Publié le 23 juillet 2009 par Maaxtal

Selon certains scientifiques, l’observation des déplacements d’insectes et d’oiseaux équipés d’émetteurs permettrait de prévoir les ouragans et la propagation des zoonoses.

Le 20 mai 2009, sur l’aérodrome de Law­rence, dans l’Etat du Kansas, aux Etats-Unis, un scientifique tenait dans sa main un pa­pillon monarque aux ailes orange et noir. A l’aide d’une petite pince, l’homme a fixé un minuscule émetteur radio sous l’abdomen du lépidoptère et l’a libéré. Le papillon a tangué un moment, puis s’est élevé en virevoltant dans les airs. Chip Taylor, directeur du programme Mo­narch Watch à l’université du Kansas, et Martin Wikelski, professeur à l’université de Constance et directeur de la station ornithologique de l’institut Max-Planck à Radolfzell, retenaient leur souffle. Pour eux, l’instant était crucial. A bord d’un petit avion, puis en voiture, les deux hommes ont suivi le signal radio et ont retrouvé le papillon entre deux buissons, à une petite vingtaine de kilomètres ; ils ont ensuite récupéré l’émetteur. Pour la première fois, des scientifiques étaient parvenus à équiper un papillon d’une antenne et à le suivre en avion sur une longue distance.
Voilà qui réjouira d’abord tous les biologistes désireux de percer le mystère de la célèbre migration des pa­pillons monarques. Chaque année, au printemps, des millions d’entre eux partent du Mexique pour rallier, des mois plus tard, la région des Grands Lacs, au Canada. Les jeunes papillons qui naissent là parcourent ensuite des milliers de kilomètres en sens inverse pour revenir au Mexique. Jusqu’à présent, les scientifiques ne pouvaient observer que de loin ce phénomène migratoire. Désormais, ils pourront suivre à la trace des individus déterminés. “C’est une petite révolution pour la communauté scientifique”, jubile Martin Wikelski. Mais ce n’est pas tout. “L’ensemble de la société pourra également profiter de cette nouvelle technique, par exemple dans le cadre de la prévention des épidémies”, ajoute-t-il. Si ça ne tenait qu’à lui, il aurait tôt fait d’équiper toute la biosphère d’émetteurs. C’est pour cela qu’il a lancé le projet ICARUS (International Cooperation for Animal Research Using Space). Il y a quelques années, les trois quarts des espèces de mammifères et d’oiseaux, sans compter les insectes, étaient trop petits pour être équipés d’émetteurs. Bientôt, les scientifiques disposeront d’émetteurs ne pesant pas plus de 5 grammes. La miniaturisation aidant, le poids de ces équipements pourrait être réduit à 1 gramme, voire à 0,5 g, ce qui permettrait aux spécialistes de suivre ­facilement les déplacements de pa­pillons, de libellules ou de sauterelles.
Certains oiseaux pressentent les séismes
Martin Wikelski souligne que le projet ICARUS n’intéresse pas seulement les zoologistes, mais se prête également à d’autres applications. Plusieurs indices tendent à montrer que certains oiseaux et d’autres animaux peuvent pressentir la survenue d’un séisme ou d’un ouragan et modifient leur comportement, notamment leurs déplacements. En équipant des animaux “éclaireurs” de mini-émetteurs dans les zones à risques, il serait possible d’allonger les délais d’évacuation de plusieurs heures, voire de plusieurs jours. Un système d’alerte pourrait également être mis en place pour signaler l’arrivée des nuées de criquets en suivant par satellite les déplacements de leurs prédateurs. Quant aux albatros, Martin Wikelski imagine qu’ils pourraient bientôt remplacer les coûteuses sondes lancées pour nous renseigner sur la composition des couches inférieures de l’atmosphère.
Toutefois, la plus grande ambition de Martin Wikelski est d’utiliser le projet ICARUS pour lutter contre la propagation de maladies comme la grippe aviaire, la fièvre Ebola ou la fièvre du Nil occidental. L’idée consisterait à collecter des informations utiles en équipant des oies de petits émetteurs dans les zones à risques. Les scientifiques pourraient ainsi repérer toute anomalie dans le comportement de ces palmipèdes ou enregistrer la mort brutale de plusieurs individus. Selon l’Institut aérospatial de l’Université technologique de Munich, il est déjà techniquement possible de mettre au point des émetteurs miniatures ca­pables de transmettre pendant une période prolongée des données à des satellites en orbite à 450 kilomètres d’altitude. Fabriqués de façon artisanale, ces émetteurs sont néanmoins très coûteux. S’il est possible de les produire en masse, les scientifiques doivent encore déterminer si la nuée de signaux envoyés est analysable. Un petit avion Cessna devrait bientôt répondre à cette question en survolant l’agglomération de Munich à 2 000 mètres d’altitude et en contrôlant quelles données lui parvienne depuis les mini-émetteurs.
Afin d’éviter de passer pour un farfelu, Martin Wikelski raconte souvent des anecdotes telles que celle qui lui est arrivée en juin 2008. Il se trouvait dans la jungle vénézuélienne car il voulait tester une nouvelle “boîte noire” composée de mini-émetteurs. Avec son équipe, il était parvenu jusqu’à une grotte karstique où des milliers de guacharos des cavernes – une sorte d’engoulevent – venaient dormir le jour avant de sortir, au crépuscule, pour se nourrir de fruits dans la forêt environnante. Les chercheurs ont équipé trois oiseaux de mini-émetteurs.
A leur grande surprise, aucun ne se trouvait dans la nuée de guacharos revenue le lendemain. Se pouvait-il qu’il soit arrivé malheur à ces trois individus en même temps ? Les trois oiseaux sont réapparus soixante-­quatorze heures plus tard. Les scientifiques sont parvenus à déchiffrer les données enregistrées par les GPS des trois oiseaux. Les guacharos avaient passé deux jours et deux nuits au grand air, trouvant leur nourriture dans la jungle et dormant à la cime des arbres – avant de rentrer au bercail. Pourquoi étaient-ils revenus ? Personne ne le sait. Une chose est sûre, les guacharos de cette grotte fonctionnaient par équipes. Seul un tiers du groupe était présent dans la grotte, tandis que la majorité dormait dehors ou évoluait dans la forêt.
Cette découverte a été une grande révélation. “Jusqu’à présent, nous ne tenions pas vraiment compte des guacharos dans la dissémination des plantes”, explique Martin Wikelski. Les scientifiques pensaient que les guacharos avalaient les graines et les recrachaient essentiellement dans leurs lieux de repos, comme cette grotte. Aujourd’hui, nos connaissances sur cette espèce se sont accrues grâce aux mini-boîtes noires de Wikelski. Nous savons désormais que les guacharos sont de grands jardiniers au service de la diversité botanique.


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