Magazine Culture

Livre I – Partie 3 – Description du cratère de Bathyclès

Par Richard Le Menn

BATHYCLES. – Je vous souhaite la bienvenue mes amis. Si mon domaine est loin de la cité, j’espère néanmoins qu’il vous offrira tout le réconfort de la longue marche que vous avez subie.

PHEDRE. – La route fut allégée par nos conversations.

BATHYCLES. – Et de quoi parliez-vous ?

CLINIAS. – De l’Art poétique.

BATHYCLES. – Avez-vous fini de discourir sur ce sujet ?

PHEDRE. – Bien sûr que non. Nous serions allés jusqu’à Delphes ou même au mont Olympe que nous ne l’aurions pas épuisé. Pour tout dire, nous n’avons fait qu’invoquer les Muses.

BATHYCLES. – C’est en effet un thème passionnant, qui pourra être le sujet de notre discussion après le repas, si le reste de l’assistance le souhaite.

CLINIAS. – Si nous arrivons à intéresser chacun, c’est bien que l’Art poétique est un art universel.

PHEDRE. – Quels beaux jardins tu as Bathycles !

BATHYCLES. – Voulez-vous les parcourir avec moi ?

PHEDRE. – Au nom de tous ?.... Je dis oui !

BATHYCLES. – Je te sais Clinias amateur de plantes.

CLINIAS. – Plutôt amoureux par nécessité. Je suis d’une famille dans laquelle on trouve nombre de médecins…

PHEDRE. – De politiques, philosophes et poètes aussi, mais c’est un peu la même chose…

Les amis traversent une cour au milieu de laquelle un petit jardin s’abreuve à une fontaine. Au-delà se déploie un grand espace enclos dans une enceinte.

BATHYCLES. – J’entretiens dans ce jardin des plantes et quelques arbres fruitiers. Il ne se rencontre ici qu’une seule espèce de chaque. C’est avant tout un lieu d’agrément et de recueillement où l'on peut suffisamment glaner et se rassasier de couleurs, de parfums et de goûts. Derrière ces murs on cultive un verger et un potager avec poiriers, pommiers, figuiers, grenadiers, vignes et oliviers qui fournissent à profusion. Une source qui jaillit d’une grotte consacrée aux nymphes alimente un étroit ruisseau qui après un stade à l’air libre retourne dans la terre. J’ai aménagé cela en un parc dont il faut une demi-journée pour en faire le tour, avec quelques haltes au milieu de cèdres, thuyas, aunes, peupliers, cyprès odorants où viennent se nicher nombre d’oiseaux... J’ai fait cet espace aussi pour eux et les papillons. Voyez comme ils aiment ces fleurs aux tons infinis de bleu et de violet. Ici, quatre fontaines ont été construites aux points cardinaux du jardin qui est placé de façon à être baigné par le zéphyr. Là où des tourterelles roucoulent amoureusement j’ai fait édifier un petit temple qui contient l’une des plus anciennes peintures que vous trouverez ici. Venez maintenant vous installer à l’intérieur de mon domicile afin que l’on vous masse les pieds avec des onguents parfumés pour vous mettre à l’aise... Prenez place sur les lits. Je vous présente l’un de mes invités. Il est étranger, mais connaît très bien notre langue. Par contre lors de nos conversations, nous devrons être clairs et définir chacune de nos références afin que notre ami puisse suivre le fil de la conversation…

CLINIAS. – Bathyclès, tu nous fais un grand honneur. Nous ferons notre possible pour lui rendre nos discussions des plus agréables. Du reste, je connais certains qui lors de banquets apprécient de se laisser bercer par les paroles, tout en goûtant au vin et aux animations, sans nullement se préoccuper de ce qui s’y dit. Mais je suis sûr que notre ami étranger n’est pas de ceux-là. Je me souviens qu’enfant, je voulais à tout prix être de ceux qui servent pendant les banquets organisés par mon père pour pouvoir ensuite prêter l’oreille aux conversations dont je ne comprenais pas la moitié des paroles, afin d’écouter ces voix qui résonnaient comme le plus merveilleux des concerts.

BATHYCLES. – Certains des banquets que ton père a donnés sont dans toutes les mémoires.

CLINIAS. – Oui, des philosophes et d’autres personnalités y venaient. Mais dis moi, le cratère dans lequel a été accompli le mélange du vin et de l’eau et qui est exposé à la vue de tous est particulièrement merveilleux.

BATHYCLES. – Et je crois que les motifs qui y sont représentés nous inspireront pour notre discussion.

CLINIAS. - Voyez-vous comme le scintillement des lampes semble faire bouger les personnages qui y sont peints.

BATHYCLES. - Ils illustrent je crois le thème de notre discussion de tout à l’heure.

PHEDRE. – Voudrais-tu Batyclès, nous les décrire ?

BATHYCLES. – Avec plaisir. Sur la panse, tout autour du récipient, sont peints des chœurs divins, dont nos Muses. On reconnaît Calliope (ΚΑΛΙΟΠΕ) jouant d’un instrument près des quatre chevaux du char d'Hera et de Zeus avec son foudre. Devant les deux dieux se poste Uranie (ΟΡΑΝΙΑ). Derrière les chevaux du char de Poséidon et d’Amphitrite marchent Melpomène (ΜΕΛΠΟΜΕΝΕ), Clio (ΚΛΕΙΟ), Euterpe (ΕΥΓΕΡΠΕ) et Thalie (ΘΑΛΕΙΑ). A la tête du quadrige d’Arès et d’Aphrodite s’avancent Stésichore (ΣΤΕΣΧΟΡΕ), Erato (ΕΡΑΤΟ) et Polymnis (ΠΟΛΥΜΝΙΣ).

CLINIAS. - S’agit-il du cortège nuptial de Thétis et Pélée ?

BATHYCLES. – Oui, des parents d’Achille. Le choeur divin fait tout le pourtour de l'objet. Parmi les dieux, il y a Dionysos. Il porte l’amphore d’or, son cadeau de noces. D'autres scènes sont dessinées en particulier consacrées à Pélée et son fils Achille, et à des exploits de Thésée comme la délivrance des jeunes Athéniens livrés au Minautore…

PHEDRE. - …Qui débarquent de leur bateau en composant un choeur alterné de sept jeunes filles et sept jeunes hommes conduits par Thésée qui joue de la lyre en se dirigeant vers Ariane.

BATHYCLES. – Ici, une scène place Dionysos au centre de l’action, sur son lit, couché près d’Ariane. Il est habillé comme un acteur, et porte sur sa tête une couronne de vigne. Il tient un thyrse et près de lui pousse un plan de l’arbre à raisins. Ce cratère a été peint en l’honneur d’une victoire théâtrale d’un de mes ancêtres. Cette scène l’illustre particulièrement.

Sur le même lit que Dionysos est assise Ariane, affublée aussi d’habits de comédie. A leur gauche, Eros porte une couronne tendue vers une femme qui tient dans une main un masque de jeune fille. A droite du dieu de la vigne et à gauche de ce personnage trois acteurs sont debout. Celui à la gauche des spectateurs porte un masque. Celui de droite est déguisé en Heraklès, reconnaissable à sa massue et à sa peau de lion. Celui à sa gauche est Paposilène, facilement identifiable à son masque barbu et chauve, son vêtement en peau de chèvre et sa peau de panthère négligemment jetée sur une épaule. Il porte aussi une baguette. Ces trois acteurs, comme la Muse et les Satyres constituant le choeur, tiennent un masque dans leur main. Les satyres sont au nombre de douze, avec un meneur. Ils ont les noms de citoyens athéniens qui le composaient. L’un d’entre eux accomplit une danse rythmée par un joueur de double flûte qui est assis de dos. Face à lui, Apollon avec sa lyre, montre le musicien de sa main droite.

BATHYCLES. – Mon aïeul est présenté tenant un rouleau de papyrus. Une lyre est dessinée près de lui. Vous le voyez assis sur l’une des cinq marches de l’autel surmonté d'un cercle solaire. Mais voici Calias, qui arrive ! Accueillons-le, tel qu’il le mérite !

CALIAS. – Je vous salue tous mes amis. Voilà une assemblée digne des rois ! Mais que vois-je Batyclès ? Tu as invité une personne à laquelle je n’ai jamais eu la chance d’être présenté.

BATHYCLES. – Oui Calias et j’espère te faire d’autres surprises. Là d’où il vient, on voue un culte au feu et on suit les enseignements de Zoroastre1. Il est lui-même prêtre, astrologue et médecin. Espérons qu’il nous accordera quelques bribes de son savoir, et nous bénira de sa sagesse. Si je vous ai tous invités pour fêter ma victoire, c’est non seulement pour vous offrir des mets que vos sens j’espère apprécieront, mais aussi pour nourrir votre âme. Mais pour cela, c’est chacun de nous qui devra apporter ce qu’il a de meilleur !

CALIAS. – Voilà qui est merveilleux ! Tu nous invites, et c’est nous qui devons apporter de quoi nous rassasier les uns les autres ! Moi mon âme est aujourd’hui malade. Je n’ai donc rien apporté. Je vous écouterai ! Et puisque ton ami est médecin peut-être pourra-t-il me guérir !

BATHYCLES. – Si cela te convient, tu te places ici Calias. Si ton âme est malade, je sais que ton corps ne l’est pas et qu’il te faut être bien placé pour apprécier à leur juste valeur les plats que je vous propose et les spectacles.

On administre à tous les invités les honneurs d’un banquet prometteur. Dans des cruches aux parfums de fleurs, un premier vin est proposé ainsi que de l’eau froide douce et pure. Au milieu, où l’autel est couvert de fleurs, de l’encens diffuse un parfum sacré. Des pains blonds sont servis et une table avec une abondance de fromage et de miel. Le chant résonne dans la demeure ainsi que la joie et la fête. Le repas fini, on enlève les tables, puis on fait les libations et le chant du péan. On boit le vin mélangé dans le cratère. On chante en chœur ou à tour de rôle avec ou non une lyre ou un autre instrument, accompagné de musiciens si nécessaire. On porte des toasts, jusqu’au moment de la discussion.

PHEDRE. – On dit qu’au début d’un banquet le lit semble petit pour deux, puis que celui-ci grandit jusqu’à qu’on y soit tout à fait à l’aise. Seulement il est certain qu’un lit ne s’étend pas de bonheur, mais que nous, sous l’emprise du vin et des plaisirs, nous faisons tomber bien des barrières.

CALIAS. – Bathyclès, quelles sont donc ces jeunes filles qui nous apportent des mets avec tant de grâce.

BATHYCLES. – Il s’agit des danseuses qui exécuteront pour nous quelques pas tout à l’heure.

CALIAS. – Elles sont d’un charme immense. Quel va donc être notre sujet de conversation cher Bathyclès ? Allons-nous parler de l’Amour comme le fit jadis si bien Socrate ?

BATHYCLES. – Nous avons convenu avec Phèdre et Clinias, que nous allions discourir sur l’Art poétique.

CLINIAS. – Lorsque nous marchions vers ce festin que notre hôte a tout fait pour rendre fabuleusement agréable, Phèdre me disait que les Muses peuvent rivaliser de beauté avec Aphrodite.

CALIAS. – Ah bon ? Eh bien voilà ! Je suis curieux en effet de voir en quoi. De quoi parliez-vous exactement ? Vous faîtes sourire nos charmantes Naïades.

CLINIAS. – Si le thème était l’Art poétique, nous avons seulement eu le temps d’invoquer les Muses !

CALIAS. – Quoi, pendant tout le chemin ? Ont-elles mis tant de temps à répondre à votre requête ?

CLINIAS. – Mais qui peut se targuer de les connaître toutes parfaitement ?

CALIAS. – Pas moi assurément.

BATHYCLES. – Avant d’entamer cette conversation, laissez moi vous présenter quelques danses, chants et musiques qui vous raviront je crois, en particulier toi Calias…

Des danseuses entrent dans la salle jouant une pantomime rythmée par des musiciens et des voix. Elles décrivent des tableaux vivants. Les convives sont absorbés par la lascivité des danseuses et par leur beauté accentuée par l’arrangement de leur tenue de gazes transparents qui enlumine leur visage aux traits juvéniles, leur sourire qui s’illumine des replis de leurs lèvres sanguines, leur peau de lait et leurs grands yeux noirs. C’est d’abord Pan, le dieu champêtre qui danse avec trois Nymphes en jouant de la double flûte. Un couple de jeunes bergers les rejoint, puis les Charites. Une pastorale se joue. Puis on laisse la place à un hymne à la gloire des dieux de l’Olympe. Les vers y sont particulièrement recherchés et solennelles, et la musique d’une grande virtuosité. Une nouvelle danseuse s’approche, plus frêle et jeune que les autres, avec une coupe en argent qu’elle pose sur le sol afin d’accomplir des contorsions multiples. Elle se place doucement au dessus, et malgré l’exiguïté du support se tient tout entière sur le bord des lèvres de l’objet. Les spectateurs applaudissent. La jeune fille lève la coupe et offre d’en boire le liquide dont aucune goutte n’a débordée. Les autres danseuses tendent alors des instruments aux convives qui poursuivent les chants commencés.

NOTES

1Son pays d’origine est l’actuel Iran.

Par La Mesure de l'Excellence
Ecrire un commentaire 0 - Voir le commentaire - Voir les 0 commentaires - Recommander Précédent : Livre I – Partie 2 – Discussion sur... Retour à l'accueil

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Richard Le Menn 304 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines