Magazine Cinéma

Alexandra

Par Critikacid

 

Difficile, pour un cinéaste russe, aussi talentueux soit-il, de s'aventurer en Tchétchénie. Dans une interview donnée en mai aux cahiers du cinéma, Alexandre Sokourov le remarque en disant qu'il est certain, avec ce film, d'être accusé à Moscou de soutenir les tchétchènes, et à Paris de soutenir Poutine.

Comme pour tenter d'éviter cette contradiction, qu'il dit lui même vouloir aider à dépasser, Sokourov a choisi un mode d'expression presque onirique,  celui où les nuits sans sommeil succèdent aux journées de chaleur blanche et étourdissante, dans une lumière ocre et claire qui semble atténuer les choses pour mieux mettre en valeur les personnes. 

Dans cette atmosphère quasi suspendue, une vieille dame descend, par un train militaire, voir son petit-fils, officier russe dans une caserne en Tchétchénie. Pas n'importe quelle vieille dame. D'abord, c'est Galina Vishnevskaya qui l'incarne, ancienne étoile du Bolchoï, des décennies  durant, avant de quitter l'URSS avec Rostropovitch. Ce choix d'une personalité très populaire répond à la nécessité de la métaphore : Alexandra, la grand-mère, c'est la Russie elle-même. 

Et voilà cette Russie embarquée dans un train militaire.  Puis fascinée par les armes, la puissance, et aussi les jeunes et beaux corps à moitié dénudés  de ces soldats à peine sortis de l'enfance qu'elle reluque, le mot n'est pas trop fort, alors qu'ils astiquent  leurs armes, torse nus. Mais la fascination, la fierté qu'éprouve cette vieille Russie pour ses combattants va s'évaporer sous l'amer soleil tchétchène. Une réflexion d'Alexandra sur les limites de la force et de la puissance signale le début de ce basculement, alors qu'on entend des soldats se demander pour quelle "patrie" ils combattent.

Et la voilà  qui commence, solide et entêtée, à ne plus accepter les injonctions des hommes "ne dites rien, restez tranquille" (lui lance un soldat de garde).  Et la voilà qui franchit la frontière, à moitié comme une somnambule, et s'aventure en ville. Or, dans cette ville encore ravagée par les bombardements russes, dans cette ville encore sous le coup des expéditions militaires punitives que Sokourov ne fait pas semblant d'ignorer, Alexandra rencontre une marchande tchétchène et force sa sympathie.  Cette dernière, Malika, est une ancienne institutrice, autrement dit l'incarnation de l'une des figures essentielles de ce qui constitua l'ex-URSS, l'Union des Républiques. Et c'est cette empathie entre ces deux vieilles femmes, tissée dans un immeuble encore en ruine, dans lequel Sokourov veut placer son espoir pour l'avenir, malgré les hommesen armes. Telest son espoir d'un renouveau de la fraternité, en fait de la sororité, bien qu'il n'ignore pas, comme la dernière scène l'indique, l'immensité du chagrin, de la colère, du deuil, qui a frappé toutes les familles tchéchènes pour avoir voulu s'émanciper de la tutelle du Kremlin.

Comment un film qui emprunte avec talent les habits du rêve pourrait-il aboutir à une conclusion tranchée ? Il se finit donc sur ... une invitation.

Il est sans doute difficile de suivre Sokourov dans l'espoir que cette invitation soit saisie et suivie, et lui même montre bien qu'il en doute, tant qu'existera l'oppression du peuple tchétchène. Le fondateur de l'URSS, Lénine le soulignait en son temps (mais on sait que Staline emprunta la voie inverse):
"Nous voulons une alliance librement consentie des nations, une alliance qui ne tolère aucune violence exercée par une nation sur une autre, une alliance fondée sur une confiance absolue, sur une claire conscience de l'union fraternelle, sur un consentement absolument libre.On ne saurait réaliser une telle alliance d'un seul coup; il faut la gagner par un travail plein de patience et de circonspection, pour ne pas gâter les choses, ne pas éveiller la méfiance, pour faire disparaître cette méfiance qu'ont laissée les siècles d'oppression "

Par contre, on ne peut qu'inviter le spectateur à suivre les pas d'Alexandra, seule au milieu de l'armée russe et qui par sa puissance, sa majesté réussit par moment à elle seule à la rendre dérisoire et grotesque.

Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossiers Paperblog

Magazines