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"Public Enemies"

Par Loulouti


John Dillinger est resté dans la mémoire des américains comme l’un des premiers ennemis publics du 20ème siècle, un personnage hors norme qui a sévi pendant la grande dépression qui a durement frappé les Etats-Unis à la fin des années 20 et durant la première moitié de la décade suivante.

Un homme qui a forcé les autorités fédérales à se doter d’un arsenal répressif innovant (lois trans-étatiques) et à moderniser ses structures.

John Dillinger, mort sous les balles du FBI, comme bon nombre de ses complices dans les années 1933-1934, était devenu trop gênant pour le directeur du bureau J. Edgar Hoover mais aussi, chose pas si surprenante que cela après tout, pour le syndicat du crime. Ce dernier souhaitait continuer à œuvrer dans l’ombre alors qu’un braqueur de banque, sorte d’électron libre, ne pouvait que lui faire du tort.

John Dillinger a fascine le 7ème art depuis un premier long métrage qui date de 1945, soit 11 ans après sa mort, preuve que le gangster a eu de l’impact.

Mais il faut noter que le soir de son décès John Dillinger avait assisté à la projection de "L’ennemi public n°1" ("Manhattan Melodrama")  au cinéma "Biograph" près de Lincoln Park à Chicago. Le rôle titre était tenu par Clark Gable.

Dés que j’ai appris que Michael Mann s’attachait à mettre en scène un film retraçant les derniers mois du bandit le plus recherché des Etats-Unis, mon cœur a fait des bonds de joie, tant j’ai une confiance aveugle en ce réalisateur. "Heat" fait partie de mes références cinématographiques.

J'avais raison d'être sur le qui vive. "Public Enemies" est l'une des réussites de cette année 2009.

1933, John Dillinger (Johnny Depp) est un braqueur de banques qui ridiculisent les pouvoirs publics. Le tout puissant Directeur du FBI J. Edgar Hoover (Billy Crudup) décide de nommer l’agent spécial Melvin Purvis (Christian Bale) à la tête du bureau de Chicago. Sa mission est de mettre un terme aux agissements de Dillinger et de ses complices.

Entre temps John tombe amoureux de Billie Frechette (Marion Cotillard).

Le temps du Robin des Bois des années 30 est compté…

Ce qui séduit d’entrée de jeu est l’ambition du long métrage. Michael Mann a visiblement obtenu les moyens pour voir grand et concrétiser ses rêves. Le film ne se contente pas de nous dire que nous sommes dans les années 30, il nous y plonge carrément. La reconstitution de l’époque est incroyablement belle et réussie. Il y a une multitude de détails qui sautent aux yeux et qui donnent à l’œuvre ce cachet de véracité historique indéniable. J’ai immédiatement pensé à "L’échange" de Clint Eastwood. Les deux longs métrages ont placé l’exactitude au centre de leur démarche respective.

Michael Mann nous prend par la main et nous ramène il y a plus de 70 ans pour notre plus grand bonheur. Il ouvre le grand livre d’Histoire de l’Amérique, au temps où les braqueurs de banques sans foi ni loi narguaient encore les autorités.

"Public Enemies" est un long métrage qui a du coffre, du souffle, ce petit supplément d’âme qui le distingue d’un ouvrage ordinaire. Le metteur passionne son auditoire avec l’histoire de sales types qui volaient, enlevaient, tuaient sans plus de morale que cela.

L’histoire est captivante, entraînante. De la première à la dernière scène du film, le spectateur ressent que le travail d’écriture a du être précis. Chaque image transpire l’exigence et le respect du public. Le seul regret qu’on peut légitimement ressentir est le fait que l’objectif se braque sur les derniers mois de l’existence de Dillinger. L’enfance et l’adolescence du bandit sont évoquées au détour de quelques dialogues, ni plus, ni moins.

Mais l’avantage de ce parti pris totalement assumé est d’élever la tension au niveau souhaité, de resserrer le drame. Au fil des minutes on sent que Dillinger marche sur un fil très mince. D’un côté le FBI veut sa peau, de l’autre le syndicat du crime est contrarié par un homme, un bandit de grand chemin devenu le héros des laissés pour compte ("C’est la banque que je voles, pas votre argent").

Michael Mann est également un alchimiste hors pair. Il a su trouver le parfait équilibre entre des scènes de comédie pure qui mettent face à face criminels et bandits. Les dialogues, d’une justesse incroyable, sans aucune fioriture, permettent aux acteurs de faire passer toute une batterie d’émotions et de sentiments.

A ces moments tragiques, drôles parfois, où la tension nerveuse est à son comble, s’ajoutent des séquences d’action pure qui sont d’une qualité assez rare. Les fusillades sont brèves, racées et techniquement mises en valeur. J’ai vu le long métrage dans une salle de taille moyenne mais les détonations rendaient très bien, preuve que dans ce domaine la technique a été mise en valeur.

Michael Mann va à l’essentiel dans son travail. La mort est rapide, brutale. Un regard suffit et c’est déjà la fin. Certains personnages secondaires font leur entrée en scène mais disparaissent rapidement dans l’ombre. Le choix du metteur en scène a été de braquer son objectifs sur un trio de figures emblématiques (Dillinger/Frechette/Purvis) quitte à laisser de côté ou carrément à se débarrasser de personnages de moindre importance.

Le metteur attache aussi une importance particulière au traitement de ses personnages. et aux relations que ces derniers nouent. Dillinger sort grandi de "Public Enemies". Le bandit n'abandonne jamais personne. L'héroïsation est poussée à son paroxysme. Certains pourraient dire que Michael Mann exagère. Mais nous sommes au cinéma après tout.

La relation amoureuse Dillinger/Frechette est abordée avec beaucoup de pudeur et de délicatesse.

"Public Enemies" est aussi un film de contrastes. Michael Mann filme avec du matériel HD l’Amérique des années 30, tout un programme. Les images ont une netteté extraordinaire. Les éclairages semblent tout ce qu’il y a de naturel. Visuellement certaines séquences d’obscurité sont énormes. Sur le plan du jeu d’acteurs, nous avons l’impression d’être au plus près des comédiens. Cette proximité rime avec la véracité qui s’en dégage.

Johnny Depp est génial. Il campe un John Dillinger plus vrai que nature. L’homme est attachant, charmeur, joueur (à peine arrêté il répond aux questions de la presse sans détours), le bandit est efficace et décidé. Sorti de l’univers de Tim Burton ou de son costume de pirate, l’acteur prouve, enfin pas à ses fans, qu’il sait faire autre chose.

Christian Bale est charismatique à souhait. Son rôle d’agent fédéral comporte également un certain nombre de nuances. L’agent du FBI est énergique dans son dur labeur mais sait se montrer humain dans certains circonstances (quand il met fin à l’interrogatoire "musclé" de Billie Frechette)

Marion Cotillard a su trouver le ton juste. Elle joue sans détour, sans en rajouter. Personnellement je pensais que Billie Frechette était une sorte de Bonnie Parker mais j’ai découvert que la jeune femme a plus suivi John Dillinger qu’autre chose. La beauté toute naturelle de l’actrice française s’impose à l’écran sans conteste.

Même si le long métrage bénéficie de la présence de ce trio vedette, il ne faudrait surtout pas oublier les Billy Crudup, Channing Tatum, Giovanni Ribisi, Stephen Dorff, Jason Clarke, Stephen Graham, James Russo ou David Wenham qui apportent tous un petit quelque chose à un moment ou à un autre.

"Public Enemies" est un long métrage très réussi, un film incontournable qui va se bonifier avec les années. Michael Mann a, comme à son habitude, frappé un grand coup. Techniquement l’œuvre revêt un formalisme d’une pureté inégalée. Le jeu d’acteur est sûr, l’histoire ensorcelante.

A voir.


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