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Livre I – Partie 6 – Le thiase dionysiaque

Par Richard Le Menn

Livre I – Partie 6 – Le thiase dionysiaque

CALIAS. – Comme le dit l’adage : « Mon ami, en quoi cela concerne-t-il Dionysos ? » Chanter ce que l’on nomme les scolies, lorsque le cratère est sur la table et que les couronnes que le dieu pose sur nos fronts en signe de libération se distribuent, peut se concevoir ; mais se livrer en buvant à des discussions pédantes, ce n’est ni concevable ni digne d’un banquet !

BATHYCLES. – Tu apprécies, Calias, de t’amuser de nos discours. Peut-être voudras-tu donner ton avis sur la question ?

CALIAS. – En vérité, Bathyclès, je goûte ces mots comme un bon vin. Suis-je déjà sous l’emprise de Dionysos, dont Clinias va maintenant parler ? Sans doute certains d'entre vous connaissent une anecdote sur Thalès que je vais conter pour les autres. Une personne décide d’offrir une coupe au plus sage des hommes. Celle-ci est donnée à Thalès qui la transmet à un autre. Après avoir fait le tour des sages elle revient à notre philosophe qui en fait finalement don à Apollon de Didyme. Si j’accepte la coupe que tu as donnée à Clinias qui nous en verse le liquide dans la bouche avec tant d’attention, goutte à goutte sur nos lèvres, je crois que je serai obligé de lui rendre tout de suite. Écoutons-le, et abreuvons-nous du nectar de ses paroles.

CLINIAS. – Merci Calias. C’est en effet pour nous tous que je fais cela. Nous l’avons vu, les chœurs dionysiaques sont à l’origine même du théâtre grec. Dionysos symbolise le besoin de mouvement propre à l’homme. C'est dans des parades et chorales dionysiaques que le théâtre naît, comme je l'ai dit. L'origine de ces mouvements vient donc de la nécessité que l'être humain, et en particulier les jeunes, a de bouger, et comment cela peut être utilisé pour créer un chœur harmonique. Dans les fêtes du dieu du vin tous ces éléments sont réunis. On se déguise, par exemple en animaux, en Satyres, on imite des personnages mythologiques, ou de la vie coutumière, politiques ou autres, comme dans les anciennes pièces comiques, où le merveilleux côtoie les satires de personnages de la Cité. Dans les fêtes dionysiaques, on danse, on chante afin d'accomplir l'effet de catharsis propre au théâtre et à de tels rites. La catharsis est un élément important. Mais au fur et à mesure que cette Cité se constitue, le théâtre devient moins libre et la fonction du chœur, au départ unique, diminue. A Athènes, les fêtes célébrées en l’honneur de Dionysos prennent une ampleur de plus en plus grande, avec les Lénéennes et les Grandes Dionysies etc. Notre ami étranger a-t-il assisté aux dernières Grandes Dionysies ?

L’ETRANGER. – Oui. Mais je dois avouer que si j’ai été subjugué par la magnificence de ces fêtes, je n’ai pas compris leur signification. J’ai vu la sainte Athènes et sa place brillante de gloire et de magnificence, les couronnes de violettes, l’offrande des fleurs printanières comme les roses, le poète qui s’avance en disant un hymne éclatant vers le dieu couronné de lierre ; les voix retentissant, mêlées aux accords des flûtes.

BATHYCLES. – Les chœurs font résonner les louanges à Sémélé ceinte d’un gracieux bandeau. Les Grandes Dionysies sont en plusieurs parties : le proagon, la procession ou pompè, le concours dithyrambique, le cômos et les représentations dramatiques. Le proagon est le moment où l’on présente les troupes tragiques, leurs poètes et les pièces. Durant la procession, on transporte une statue de Dionysos dans un cortège constitué des magistrats, des prêtres, des chevaliers, des citoyens, des éphèbes, des hommes déguisés en Silènes et en Satyres accomplissant des danses autour de la statue et des canéphores : de jeunes filles des familles les plus importantes portant dans des corbeilles des présents de toutes sortes, tout cela au milieu des parfums et de l’encens.

CLINIAS. - Il est dit que les premières à enseigner le rite sacré des fêtes dédiées à Dionysos, Perséphone, Calliope et Apollon, sont les divinités marines : les Néréides qui sont au nombre de cinquante. Ce sont des Nymphes qui dansent dans les profondeurs et suivent les chemins liquides ; elles sont les filles de Nérée, qui est dit être à l’assise de la mer, à la limite de la terre et à la source de tout, et de Doris, sa femme. Elles vivent dans le palais bleu de leur père et dansent parmi les vagues.

L’ETRANGER. – J’aimerais beaucoup, Clinias, que tu parles plus précisément de Dionysos. C’est un dieu important pour les Grecs, n’est-ce-pas ?

CLINIAS. - Dionysos est supposé avoir apporté le vin en Grèce. Les artistes le représentent avec une vigne poussant près de lui, dans les différents moments de sa vie, par exemple enfant porté par Silène ou chevauchant une panthère vers l’Orient, vers l’Indus je crois. Parmi ses attributs, il y a le thyrse qui est un bâton surmonté d’une pomme de pin. Il porte aussi une couronne de vigne sur la tête.

L’ETRANGER. – Quelle est la généalogie de Dionysos ?

CLINIAS. - Il est le fils de Zeus et Sémélé. Sémélé est la fille d'Harmonie et de Cadmos. Harmonie elle-même est l'enfant d'Aphrodite et d'Arès. Quant à Cadmos, il est le fondateur de Thèbes, ville célèbre, située entre le mont Parnasse et le mont Hélicon, Delphes et Athènes, et qui domine une grande plaine couronnée de magnifiques monts. Harmonie et Cadmos ont quatre enfants : Autonoé, Sémélé, Ino (Ino est la femme d'Athanas, les deux étant les premiers précepteurs de Dionysos) et Agavé qui donne naissance à Penthée qui règne sur Thèbes. Une version des Orphiques, poètes qui se nomment ainsi chantres d’Orphée, racontent qu'à cause d'Héra et des Titans, et grâce à Athéna, Zeus réussit à donner une seconde naissance à Dionysos. Une autre légende rapporte qu’il est le fruit de l’hyménée entre Zeus et une mortelle : Sémélé, qui disparaît en le voyant dans toute sa splendeur. Dionysos est alors couvé par son père qui le place dans sa cuisse. A sa naissance, il est recueilli par un couple royal ; mais Héra s’en apercevant les punit. Puis les Nymphes du mont Hélicon le gardent sous leur protection. Ensuite c’est Ino, la fille de Cadmos qui le protège avant que le jeune adolescent soit confié aux soins de Mystis sa servante qui devient l'initiatrice des mystères dionysiaques. Puis le dieu est protégé par la mère de Zeus : Rhéa. A l’intérieur de la demeure divine, les lestes Corybantes entourent Dionysos de leur ronde nourricière. Ils choquent leurs épées et par des coups alternés frappent leurs boucliers en faisant virevolter le fer pour cacher les enfances du dieu. Et le garçon grandit, comme son père, en écoutant les mêmes sons de boucliers des Corybantes lorsque Zeus enfant est caché de Cronos.

BATHYCLES. – Certains disent qu’Orphée serait l’inventeur des mystères de Dionysos, alors que d’autres affirment qu’il refuse ces mystères lorsque le dieu du vin envahit la Grèce et que ce dernier, comme nous l'avons dit, lui envoie, belliqueux, ses Ménades. Qu’en penses-tu Clinias ?

CLINIAS. - Les mystères orphiques accordent une large place à Dionysos. Même s'il est réputé être un dieu étranger, venu de Lydie, ayant traversé la Phrygie, la Perse aussi, avant d’arriver en Attique. Comme nous l’avons dit, certaines de ses fêtes sont à l’origine du théâtre en Grèce. On attribue une grande sagesse à son père adoptif : Silène. Il est le tuteur de Dionysos et plus tard son compagnon de cortège. Il est considéré comme le détenteur de la Vérité qu'il dispense sous la forme de devinettes. Il représente la force vitale. Il est à moitié chauve, à demi-nu et toujours saoul. Il accompagne Dionysos, avec les Satyres, les femmes de Tmolos jouant des tambours et de la flûte, et les bacchantes. Orphée a démontré que Dionysos et le Soleil sont un seul dieu, et décrit ses ornements et son costume lors des fêtes données en son nom. Il porte un manteau de pourpre et de feu, sur son épaule droite un habit qui rappelle les astres magnifiques et le ciel sacré. Dessus, une ceinture d’or resplendissante est nouée autour de sa poitrine. Elle symbolise le puissant soleil lorsqu’il va, brillant, s’élancer des extrémités de la terre et frapper de ses rayons d’or les ondes de l’océan, sa splendeur infinie se mêlant avec la rosée, faisant briller devant le dieu la lumière en tourbillons et sous sa poitrine la ceinture de l’océan. Il est aussi décrit rugissant, lançant le cri de joie « évohé », avec deux cornes, à la face de taureau, couvert de lierre, paré de raisins et d’un péplos de feuillages. Mystis, donc est considérée comme la première dispensatrice des cérémonies dionysiaques et de leurs mystères. Élevée par Cadmos, le dieu fleuve, pour être la chambrière de sa fille Inô, elle reçoit de cette dernière le dieu du vin qu’elle a sevré pour qu’elle continue à l’élever. C’est Mystis qui la première joue de l’instrument de musique appelé le roptre, fait tournoyer et retentir pour le dieu le double airain des bruyantes cymbales, allume la torche qui accompagne de sa lueur les danses nocturnes, entoure le chant de l’évohé pour Dionysos toujours en éveil, cueille les pampres en fleur pour couronner sa chevelure dénouée avec le lien de la tige flexible de la vigne, tresse autour du thyrse les entrelacs du lierre couleur de vin, puis à l’extrémité du bouquet, fixe un fer qu’elle cache dans le feuillage pour éviter de blesser. Elle imagine d’attacher sur sa poitrine nue des « phiales » d’airain1... Les Ménades et les Satyres font donc partie du cortège. Je confonds les Ménades et les Bacchantes car les premières Bacchantes sont semble-t-il les Nymphes nourrices de Dionysos. Ensuite le nom est utilisé pour toutes les femmes de son cortège : Ménades, Thyiades, Eviades..., ses prêtresses, et les femmes qui célèbrent ses mystères par des danses et des orgies. Les Ménades forment un chœur autour de Dionysos auquel elles vouent un culte avec une ferveur qui se caractérise par des délires. A l'origine elles sont composées des sœurs de la mère de Dionysos, Sémélé, qui nient qu’il est le fils d’un dieu et que celui-ci transforme en Bacchantes avec toutes les femmes de Thèbes. Elles vivent dans la montagne, avec pour abris les sapins verts, les chênes et les rochers où elles se reposent ou se livrent à leurs transports. Elles chantent l’évohé2 en l’honneur du dieu de la vigne. Elles prennent des aspects terribles ou sereins, guidées par Dionysos le maître de leurs transports et des illusions qu'il provoque. Les participants aux mystères dionysiaques se couronnent de lierre et d’un bandeau, et laissent flotter leurs cheveux épars dans lesquels des bandelettes se mélangent au lierre. Ils secouent leur chevelure, portent une robe de lin de femme, longue jusqu’aux talons et tenue par une ceinture, frappant la terre de leur thyrse, bâton entouré de lierre et au bout duquel se tient une pomme de pin. Ils s’élancent vers la montagne en chantant Dionysos, en lançant des clameurs et entonnant des chants phrygiens au son de l’harmonieuse flûte et des profonds tambourins. Parfois certains sont sur un char. Tous les âges se mêlent au cortège. Des cratères3 plein de vin les attendent. C’est avant tout durant la nuit que s’accomplissent ces mystères quelquefois éclairés de torches. Voilà pour les chœurs dionysiaques.

NOTES

1 Coupes peu profondes avec un ornement central porté sur les seins en particulier par les femmes. 2 Cri de joie en l’honneur de Dionysos. 3 Vases à large ouverture, de grande dimension, servant, comme je l'ai déjà dit, à mélanger de l’eau et du vin. Il est apporté après le repas, au début du symposion (à l’heure du digestif), au moment où on mixe les deux liquides. Par La Mesure de l'Excellence
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