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Le reader (in)digest

Publié le 10 août 2009 par Cdsonline

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Décidément dans les déceptions aussi c’est la loi des séries. Après David Fincher (décisif dans Fight Club, consternant avec Benjamin Button) Michael Mann (impeccable sur Collateral, à côté de la plaque dans Public enemies) c’est le tour de Stephen Daldry inspiré par The Hours, et… hollywoodisé pour The reader
Le film laisse un sentiment de malaise gluant, on y reconnaît volontiers la performance des acteurs (Kate Winslet entre autres…) et quelques morceaux de réalisation savoureux (notamment la scène du repas de famille juste après que Michael ait “perdu son innocence”…) mais le film ne nous lâche pas sans un sentiment d’inachevé, de ratage parfois, d’inaccomplissement…
Pourquoi? À quoi cela tient-il?
Au sujet forcément.
Sujet de tous les dangers. Sujet à plusieurs entrées. Sujet dans plusieurs sens. Sujet au sens de l’agent fondant son autonomie sur ses actes en responsabilité, et sujet assujetti à la société et à son histoire.
Or le sujet du film, cette passion incestueuse allemande, ne représente-t-il pas la clé de voûte du “Malaise dans la Kultur” dont nous subissons encore largement les effets à l’époque postmoderne (et dont le génie de Gœthe avait déjà anticipé les enjeux dès le début du dix-neuvième)?

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Dans l’Allemagne d’après guerre, Michael adolescent sérieux, bosseur et sensible de “bonne” famille se trouve atteint d’intempestifs et annonciateurs vomissements juste avant de croiser pour la première fois Hanna, poinçonneuse de tram, d’une vingtaine d’années son aînée…
Ils se connaîtront rapidement au sens biblique, elle l’initiant à la sexualité et lui à la littérature. Mais sur le mode oral exclusivement. Lui lisant inlassablement les histoires comme à une enfant, et elle ne cessant jamais de l’appeler “kid“…
Après qu’elle eût disparu, le laissant en souffrance comme une âme en peine privée de sa passion, il découvre en faisant son droit trois ans plus tard qu’elle figure au centre du procès des gardiennes de camp nazi d’Auschwitz.
Plutôt que d’avouer son illettrisme, elle préfèrera endosser seule la responsabilité collective — en tant qu’auteur(e) de rapport(s)! — écopant “injustement” (au regard de ses co-accusées bien entendu!) d’une peine majorée. Lui qui connaît son secret, sa passion se remet à flamber, et l’incestueuse impasse qui le lie à elle se referme définitivement, son destin désormais scellé à double-tour par ce geste sacrificiel vide, sans rédemption possible, ultime piège narcissique du surmoi…

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À la fin du film, aux abords de la tombe d’Hanna-la-nazie, l’image du triste Michael avec sa propre fille délaissée, héritière de sa culpabilité, et à qui il décide de confier sa sombre passion, ne peut laisser qu’un goût de cendres, celui du sujet allemand — et partant celui de la société européenne pivot de la civilisation occidentale! —  qui n’a pas encore appris à lire les leçons de son passé!

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Seule lueur d’espoir du film, peut-être en écho à la première image qui montre un œuf (!) comme une promesse à venir, pas encore éclose, toujours en gestation, le sujet de l’éthique kantienne en la personne du seul étudiant qui a su lire correctement la situation et se trouve écœuré par le cynisme du procès, au point de ne plus pouvoir assumer son devoir d’apprenti avocat… Il a semble-t-il intégré la paradoxale leçon de l’impératif catégorique : “Du sollst denn du kannst!” ne saurait être saisi sans la responsabilité constitutive infinie du sujet de l’Aufklärung. Autrement dit il m’est impossible de me servir du paravent de mon devoir pour abriter et justifier mes penchants “pathologiques” (comme dit Kant) car ma subjectivité est obligatoirement engagée dans chacun de mes actes, y compris lorsque “je ne fais qu’obéir”…
En effet pour le penseur de Königsberg, s’il est “impardonnable de ne pas faire son devoir” il est tout aussi “impardonnable de faire son devoir“. Et c’est à à ce paradoxe que tient l’émergence du sujet de l’Aufklärung, radicalisé par Hegel et thématisé en sujet de l’inconscient (avec ses ultimes conséquences dans nos vies quotidiennes) par Jacques Lacan.

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C’est d’ailleurs sur ce point précis, ce rapport au sujet de la modernité que s’annonce dès le début la faillite du réalisateur dans ses choix expressifs :
• ne pas faire parler Michael au “je” comme dans le roman de Bernhard Schlink
• préférer un anglais avec accent germanique à l’allemand originel sous-titré (même les livres sont tous en anglais!)
• passer sous silence la figure du père (et son avis) lorsque le choix éthique se propose à Michael : doit-il ou pas prévenir le juge qu’elle a menti, qu’elle ne sait ni lire ni écrire
• mettre en scène une contradiction flagrante : l’irreprésentable de la Shoah (dont nous ne sommes pas sortis, cf. Lanzmann) que soutient la position de la fille de la rescapée à New York… avec la longue séquence inutile, plate et froide genre “Hollywood à Auschwitz” du deuxième tiers du film
• et surtout passer à côté de la subtilité narrative qui dans Der Vorleser (Le liseur) circonscrit précisément la place du sujet de l’Idéalisme allemand, dont nous (sujets occidentaux) sommes les héritiers que nous le voulions ou non…
Sinon comment pourrions-nous espérer sortir de l’impasse de la lancinante question : pourquoi est-ce chez ces gens-là, nos cousins germains, pourquoi est-ce dans cette culture de langue allemande à la philosophie (et la musique!) la plus élevée au monde, la pensée la plus puissante, la plus libératrice et la plus fertile, pourquoi est-ce là aussi que s’est réalisée la plus intolérable des barbaries?

La sagesse nous propose de bien vouloir reconnaître que, contrairement aux idées reçues, il n’est pas si facile d’apprendre à lire, en tout cas si l’on en croit Gœthe dans ses entretiens avec Eckermann : « Les braves gens ne savent pas combien de temps et d’efforts il faut pour apprendre à lire. J’y ai travaillé pendant quatre-vingts ans, et je ne peux toujours pas dire que j’y sois arrivé. »


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