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Slumdog Handballer: "Sri Lanka National Handball Team"

Publié le 23 août 2009 par Boustoune

En septembre 2004, les autorités allemandes durent faire face à une drôle d’énigme :
Lors d’un tournoi de handball en Bavière, organisé dans le cadre d’échanges sportifs entre l’Allemagne et les pays d’Asie, on leur signala la disparition de l’équipe nationale du Sri Lanka. Elles pensèrent d’abord que le groupe avait pu se perdre dans la forêt lors d’un footing, mais on ne retrouva aucune trace des vingt-trois joueurs ou de leur encadrement. Pfuit ! Volatilisés !
Plus étrange encore, le ministère des sports sri-lankais leur a affirmé que le pays ne possédait pas de fédération de handball, ni de clubs et encore moins d’une équipe nationale !
Diantre ! S’agissait-il d’un complot international ? D’un enlèvement par des extra-terrestres ? D’un autre phénomène paranormal ? Le commissaire Derrick allait-il devoir faire appel à Mulder et Scully ?


Non, car en fait, l’explication était toute simple et géniale. Autorités allemandes et sri-lankaises ont été abusées par un groupe de petits malins, qui ont créé cette équipe factice de toutes pièces pour obtenir les précieux visas pour l’Europe que l’ambassade allemande leur refusait jusqu’alors. Une poignée de maillots achetés en promotion au marché local, quelques faux-documents, un peu d’audace, et le tour était joué. Tout le monde n’y a vu que du feu, à l’exception, peut-être, de quelques fans de handball qui ont compris que cette glorieuse équipe nationale était en-dessous de l’amateurisme…


 

Sri Lanka National Handball Team - 2

Cette histoire vraie est plus excitante que bien des fictions. Un vrai sujet de cinéma qui évoque les aventures de l’équipe jamaïcaine de bobsleigh dans Rasta Rocket ou la tentative d’évasion lors d’un match de foot des prisonniers de A nous la victoire, qui mélange humour, drame social, et ménage une bonne dose de suspense. Il était normal que quelqu’un se décide à la porter à l’écran. C’est Uberto Pasolini qui s’y colle avec Sri Lanka National handball team, jolie tragi-comédie qui raconte comment Stanley, Manoj, Vijith, Piyal et les autres ont pu monter une telle arnaque et partir réaliser leurs rêves vers un avenir forcément meilleur que leur vie de galère dans les taudis de Colombo.
 

Sri Lanka National Handball Team - 9


Car le cinéaste s’intéresse autant à la mise en place de la supercherie qu’aux raisons qui poussent le petit groupe à s’exiler. Pour parler des conditions de vie difficiles des sri-lankais de manière la plus réaliste possible, et sans aucun misérabilisme, Pasolini s’est adjoint les services d’une écrivaine locale, Ruwanthie De Chickera. Ensemble, ils ont mis sur pied un scénario qui, à travers les motivations de chaque personnage, leur permet d’aborder tous les différents problèmes de la société sri-lankaise. Principal problème, des salaires extrêmement bas, qui ne permettent pas de vivre décemment. Dans ces conditions, difficile d’éduquer des enfants, de faire des projets pour l’avenir, de conserver sa dignité et ses rêves, d’autant que cette misère est un terrain favorable pour la corruption, la prostitution, l’escroquerie, le trafic d’organes et autres activités fort peu recommandables. Seule solution : partir à l’étranger. Certes, ce sera forcément pour y accomplir des basses tâches, probablement mal payées, au noir. Mais toujours plus lucratives que les emplois obtenus au pays.


 

 


Autre point stigmatisé par les auteurs, la difficile cohabitation entre les différents groupes ethniques sri-lankais – cingalais, tamouls, migrants d’autres pays d’Asie et du Moyen-Orient – qui ont causé une longue et désastreuse guerre civile. Le problème est juste survolé, sans doute pour ne pas rajouter aux tensions qui pouvaient exister au moment du tournage (1). Néanmoins, deux belles scènes - une bagarre entre les apprentis handballeurs et les confidences d’un croque-mort jusqu’alors peu bavard - nous font prendre conscience des blessures laissées par le conflit et de la fragilité de la trêve.
Mais les anciens ennemis n’ont pas le choix. Pour garantir leur avenir, sous d’autres cieux, et aider ainsi leurs proches restés au pays, ils doivent enterrer leurs différents et avancer main dans la main, en équipe. Le message politique est évident, prônant la réconciliation nationale et l’union pour la reconstruction du pays.
Il culmine lors du tournoi de handball, que nos imposteurs sont contraints de jouer malgré tout. Bien sûr, comme ils ne se sont absolument pas entraînés – ils connaissent d’ailleurs à peine les règles – ils encaissent but sur but et subissent d’humiliantes défaites. Et là, quelque chose se réveille en eux, l’envie de se révolter, par fierté, pour sauver leur honneur et celui de leur peuple. L’envie de se battre ensemble, en équipe. Alors qu’ils auraient très bien pu prendre la poudre d’escampette, ils reviennent quand même sur le terrain, avec l’envie pas forcément de gagner, mais au moins de gagner le respect de leurs adversaires et celui du public.


 

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Certains trouveront cela profondément naïf. Ca l’est un peu évidemment, d’autant que le cinéaste, rompu à l’exercice des comédies à succès (2) sait sur quels effets jouer pour faire vibrer la corde sensible du spectateur. Mais il faut aussi rappeler qu’il s’agit d’une histoire vraie, et que l’équipe du Sri Lanka a bien joué quelques matchs avant de se volatiliser. C’est peut-être là le vrai mystère de ce drôle de tour de passe-passe : Pourquoi le petit groupe a-t-il pris le risque de rentrer sur le terrain alors qu’il aurait aussi bien pu disparaître dès son arrivée sur le sol allemand ?
En l’absence de réponse à cette épineuse question, on peut donc trouver crédible l’explication donnée par le script de Pasolini et De Chickera. Et même si on la trouve un peu factice, elle permet de redonner un peu de dignité à ce peuple de gens simples, qui, même en son pays, éprouve un profond sentiment d’infériorité et de honte par rapport au monde occidental. La révolte collective de l’équipe sert de contrepoint à une autre belle séquence où Manoj, ayant eu l’opportunité d’inviter ses proches parents dans le restaurant de l’hôtel où il travaille, constate avec tristesse leur embarras de se retrouver au milieu de blancs plus fortunés qu’eux, comme s’ils ne se sentaient pas à leur place dans leur propre pays. En décidant de revenir sur le terrain pour défendre leur honneur, les sri-lankais cherchent avant tout à se prouver qu’ils valent mieux que l’étiquette de « pauvres gens », de « sans-grades », de « larbins » qu’on leur a collée, et qu’ils ont fini par accepter. Ils veulent montrer qu’ils sont prêts à se battre pour se créer une vie meilleure, à continuer de progresser malgré tout… Une belle leçon de courage, qui force notre admiration…
On se sent proche de ces personnages, d’autant qu’ils sont incarnés par des acteurs amateurs attachants. Sous la houlette de l’actrice Damayanthi Fonseca, ils ont appris le métier en deux semaines, aussi vite que leurs personnages ont appris le handball. Mais là, ils font plus que sauver l’honneur, ils sont tous brillants et très convaincants ! (3)
Grâce à eux, plus qu’à la mise en scène un peu trop sage de Uberto Pasolini, on suit avec grand plaisir les tribulations de cette joyeuse bande de pieds-nickelés, qui surmonte toutes les épreuves avec humour, audace et persévérance. Que ce soit sur le terrain de la comédie émouvante ou du film à thèse à la fois profond et léger, cette Sri Lanka National Handball Team a tous les atouts pour atteindre son but : gagner le cœur des spectateurs.
Note :

Étoile
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(1) : Le conflit n’a cessé qu’en mai dernier, avec la mort du leader des tigres tamouls.
(2) : Uberto Pasolini a produit, entre autres, The full monty de Peter Cattaneo
(3) : Apparemment, l’un d’entre eux s’est même tellement pris au jeu qu’il a fait comme le personnage qu’il incarne. Il a profité du tournage en Europe pour quitter définitivement son pays. Mais il a eu la délicatesse de finir le tournage avant de prendre la poudre d’escampette. La réalité dépasse la fiction inspirée de la réalité !


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