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La social-démocratie doit retrouver le sens du peuple

Publié le 24 août 2009 par Lbouvet

IMG_1171Les résultats des élections européennes de juin 2009 soulèvent pour la social-démocratie européenne des questions embarrassantes. Dans la quasi-totalité des pays d’Europe, les partis qui s’en réclament – ils ont d’ailleurs tout fait pour bien marquer leur appartenance commune à travers un « manifeste » unique – sont en net recul, quelle que soit leur situation politique (au pouvoir ou non, en coalition ou non, etc.). Partout, que l’on écoute les journalistes ou les militants, les campagnes des sociaux-démocrates semblent avoir été mal conduites, par des leaders souvent contestés, et plus encore, en manque d’inspiration, le tout sur la base d’un programme peu convaincant, souvent grandiloquent dans son expression mais toujours convenu dans sa réalité.

C’est ce dernier point, celui du programme, qui est le plus inquiétant car il renvoie, au-delà des péripéties électorales, à la question existentielle qui se pose aujourd’hui à la social-démocratie européenne. Comment se fait-il qu’elle n’attire ni les suffrages ni les éloges alors que tout ce pour quoi elle s’est battue historiquement devrait assurer son triomphe dans les circonstances actuelles de la crise économique : une justice sociale redistributive, une régulation publique de l’économie de marché, une société ouverte culturellement grâce à l’éducation de masse (a society of smart people), le tout dans un cadre européen le plus fédéral possible dès lors qu’il faut pallier les défaillances étatiques ?

La social-démocratie fait figure de victime de la crise alors qu’elle devrait apparaître comme un recours ou un espoir, après des années de dérive néolibérale. Comme si elle n’était plus crédible aux yeux des peuples pour incarner l’avenir des sociétés européennes. Pourquoi ?

La social-démocratie aurait perdu la confiance populaire parce qu’elle n’aurait pas su se distinguer du libéralisme économiquement dominant lorsqu’elle a été au pouvoir ces dernières années – ce qui fût le cas dans la plupart des pays d’Europe si l’on tient compte des années 1990 et 2000. Les sociaux-démocrates n’auraient non seulement pas mieux géré leur pays que la droite mais encore ils auraient accepté massivement les dérives de l’économie de marché (dérégulation, privatisation, financiarisation, précarisation du travail, etc.). Et une fois rejetés dans l’opposition, tout en se remettant à « parler à gauche », ils auraient continué de penser libéral. Bref, la social-démocratie aurait trahi son ethos en même temps que sa base sociale par une dérive droitière – comme d’habitude… soupirera le lecteur inattentif de l’histoire de la gauche.

Cette explication par la brouille des repères économiques et sociaux, la plus courante, est sans doute en partie vraie, mais elle demeure très largement insuffisante. A la fois parce que l’inventaire des résultats économiques et sociaux de la social-démocratie européenne ces vingt dernières années est bien évidemment plus contrasté qu’il n’y paraît – sans même parler des importantes différences nationales que l’on laisse volontairement ici de côté –, et parce que la mise en avant de tels critères pour juger de l’action publique conduit à passer à côté sinon de l’essentiel du moins du niveau plus fondamental auquel se joue l’évolution politique des sociétés.

L’enjeu pour la social-démocratie dépasse désormais la simple considération de sa plus ou moins grande conversion au libéralisme dans le domaine économique et social. On remarquera, au passage, que s’en tenir à ce niveau d’analyse n’aide pas les dirigeants sociaux-démocrates. C’est, plus fondamentalement, en termes de « valeurs » ou de préconditions (du modèle économique et social notamment) que cet enjeu doit être pensé. La droite européenne dans son ensemble – ainsi que les forces politiques que l’on nomme ici et là « populistes » – ont visiblement mieux compris ce dont il s’agit. De manière contrainte et forcée d’ailleurs pour la droite de gouvernement puisque la gauche a capturé l’essentiel de sa politique économique – par exemple lors du fameux exercice de triangulation cher aux nouveaux démocrates américains et aux nouveaux travaillistes anglais des années 1990. Elle a donc dû porter le combat sur le terrain des valeurs en « triangulant » à son tour celles de la gauche, à l’instar du travail notamment, comme on a pu le constater en France lors de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.

Ce faisant, la droite a partout en Europe rencontré, avec profit, des aspirations populaires qui ont souvent été délaissées par la gauche qui les croyait acquises à raison d’un monopole historique (largement construit et imaginaire certes…) : le travail bien sûr mais aussi l’identité nationale, le modèle social-familial, le sens de l’appartenance et de la protection collective, etc. Des aspirations, et donc des valeurs, que la gauche, voyant dériver par pans entiers les couches populaires qui la soutenaient traditionnellement, s’est peu à peu habituée à dénoncer comme « populistes ». Renvoyant ainsi, indistinctement, ces valeurs et ceux qui y attachent, pour des raisons variées, de l’importance, vers des offres politiques émanant de formations et de leaders infréquentables, notamment d’extrême-droite. Ainsi, ce n’est pas tant la droite traditionnelle qui a su se renouveler électoralement (si ce n’est programmatiquement) en « récupérant » des couches populaires d’extrême-droite que la social-démocratie (i.e. la gauche de gouvernement) qui a perdu ce même électorat en n’étant plus capable de lui proposer une offre politique à la fois satisfaisante pour ses intérêts (économiques et sociaux) et son identité (ses « valeurs ») – montrant d’ailleurs par là que les deux sont étroitement liés.

C’est pourquoi la question du populisme est ici centrale. C’est en effet un phénomène à double détente. Renvoyant, dans son acception européenne (ce n’est pas le cas aux Etats-Unis par exemple), aux heures sombres de l’histoire du continent, il fait immédiatement référence aux manipulations les plus dangereuses du désespoir populaire. Mais il peut aussi se lire comme un signal qu’il faut entendre, en particulier à gauche dès lors que l’on considère que la gauche sans le peuple, ce n’est plus la gauche. Il importe donc à la social-démocratie européenne de « dialectiser » le populisme, ne serait-ce que pour ne pas se laisser enfermer dans le piège que lui tend la droite. C’est aujourd’hui son défi majeur si elle veut survivre à la fois comme tradition historique, socle de valeurs et force politique d’alternance démocratique.

Elle doit, pour ce faire, retrouver le sens du peuple. Un tel objectif n’est pas hors d’atteinte. Il peut, s’il est ouvertement et clairement formulé comme tel, exposé avec conviction – et non comme simple et énième stratégie de communication de partis sociaux-démocrates à l’agonie – et régulièrement enrichi de réflexions et d’expériences recueillies le plus largement possible, représenter le programme du socialisme démocratique pour les années qui viennent.

C’est d’ailleurs une démarche de ce type qui a permis à Obama de gagner l’élection présidentielle américaine. Il n’a pas gagné parce qu’il était noir ou parce qu’il a su mieux que les autres maîtriser les nouvelles technologies ou la mise en réseau de ses partisans… mais plus sûrement parce qu’il a su à la fois porter un discours unificateur – nécessaire non seulement aux Etats-Unis après la période de forte polarisation politique introduite par les conservateurs américains mais encore en Europe là où des leaders de droite ont joué de cette même division pour gagner – et se situer au bon niveau : celui des valeurs. Il a retrouvé en cela le sens d’un populisme américain positif et mobilisateur, celui qui unit le peuple plutôt qu’il ne segmente les électorats en fonction d’un marketing politique dangereux. Là où le stratège républicain des années Bush, Karl Rove, voyait dans la division sur les valeurs (la « guerre culturelle » entre l’Amérique rouge et l’Amérique bleue dans le langage américain) et, par exemple, la mobilisation des chrétiens les plus conservateurs la manière la plus sûre de gagner l’élection, Obama n’a cessé de prôner le dépassement des clivages et des identités – pas seulement raciaux.

Situer le débat à hauteur des valeurs et refuser de se laisser entraîner dans une logique agonistique à propos de celles-ci signifie pour la gauche sociale-démocrate européenne de trouver quelques axes de combat à la fois pertinents et mobilisateurs. Parmi les pistes à explorer, on en signalera ici simplement quelques-unes telles que celle des dotations en capital social ou encore celle de la lutte contre les « rentes » sous toutes leurs formes. On pourrait également mentionner la nécessité d’accorder une priorité absolue à l’éducation supérieure et à la recherche en considérant que nous sommes entrés désormais dans une forme de lutte des classes « éducatives » bien plus que sociales. Ces quelques exemples pourraient être autant de déclinaisons opératoires d’une thématique générale, d’un « récit », à valoriser dans le discours de la gauche. Celui-ci pourrait utilement s’inspirer, par exemple, de l’idée de « décence ordinaire » (qui mêle qualité morale de l’individu, comportement social et estime de soi) telle qu’elle a été formulée par George Orwell : « Nous sommes simplement parvenus à un point où il serait possible d’opérer une réelle amélioration de la vie humaine, mais nous n’y arriverons pas sans reconnaître la nécessité des valeurs morales (common decency) de l’homme ordinaire. Mon principal motif d’espoir pour l’avenir tient au fait que les gens ordinaires sont toujours restés fidèles à leur code moral. » (Essais, articles et lettres, I, p. 663, tr. fr., Paris, Ivrea/L’encyclopédie des nuisances, 1995).

Cet article paraîtra en italien dans le prochain numéro de la revue Le Ragioni del Socialismo. Il annonce également, à la manière d’un programme de travail, plusieurs publications à venir sur ce thème.

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