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TANZ IM AUGUST 40 ans après, la géniale parade d'Anna Halprin

Publié le 26 août 2009 par Steffi
TANZ IM AUGUST                                                           40 ans après, la géniale parade d'Anna Halprin© Bertrand Prevost
Tanz im August aime à célébrer les chorégraphes américains new yorckais. Trisha Brown, 73 ans, était présente l'an dernier pour une admirable rétrospective de son œuvre. Cette année le festival recule encore d'une génération. Anna Halprin a 88 ans. Trisha Brown a été son élève, comme Simone Forti ou Yvonne Rainer (invitée de l'édition 2007 du festival). Née en 1920, Anna Halprin vit toujours, Cette année c'est Anna Halprin qu'on revisite. Trisha Brown a été son étudiante. A 88 ans, la chorégraphe de légende continue toujours de créer, d'enseigner. Elle occupe une place à part dans la vague de chorégraphes new-yorckais. D'abord parce qu'elle a été pionnière. D'autre part parce qu'elle s'est rapidement mise en retrait des mouvements, écoles, chapelles et a fui New-York pour la Californie. Radicale, humaniste, elle est entrée dans la légende de la danse contemporaine. Sa pièce Parade and Changes, créée en 1965, fait partie du mythe. Interdite sur les scènes américaines pendant 25 ans, elle avait dynamité les codes de la danse et de la théatralité. De très jeunes danseurs s'y mettaient à nus, non dans une attitude provocante, mais dans un mouvement ancré dans les gestes du quotidien : marcher, s'habiller, se déshabiller, courir, se regarder. Parade libératrice tout autant que célébration collective, Parades and changes prenait pour ancrage chorégraphique les fameux Scores de la chorégraphe, autrement dit des partitions où l'idée du mouvement est lancé, mais pas son interprétation. Ainsi, chaque représentation devenait moment unique. Dans ce re-make, plus de quarante ans plus tard, la chorégraphe Anne Collod a respecté ces codes et scores, retravaillé sous la direction d'Anna Halprin, et avec le compositeur de la pièce d'origine Morton Subotnick. A la différence que les danseurs choisis n'ont plus l'insolence de leur 20 ans mais l'assurance et la sérénité d'artistes reconnus. Alain Buffard, Anne Collod et Boaz Barkan, avaient déjà travaillé avec la chorégraphe, les trois autres DD Dorvillier, chorégraphe et danseuse américaine, Vera Mantero, performeuse portugaise et Nino Bizarro danseur et chorégraphe portugais, sont des habitués des scènes. Toutes lumières dehors, la pièce commence par des "je me souviens" à la Pérec, à nos côtés, éparpillés dans la salle. Costume noir strict, veste blanche, l'habit est androgyne exprès. Déshabillage et rhabillage se font lentement, les yeux dans les yeux, avec le sourire. Comme s'ils désamorçaient toute gêne. Collod respecte l'héritage Halprin. Le quotidien nu, le corps en mouvement sans artifice, mais avec ce je ne sais quoi qui nous rappelle que nous sommes sur une scène. Un grand tissu blanc, flotte derrière telle une voile. Les danseurs le contournent, s'y cachent, réapparaissent. Parades joyeuses, énergiques, mouvement sur et hors la scène dont on entend les pas même lorsqu'ils ont disparu de notre champ de vision. La circulation n'oublie aucun recoin de la Hau 2. Même le décor nous arrive au-dessus de la tête. Le tissu blanc tombe tout à coup, la scène aussi se déhabille. Les corps nus sont livrés là dans un espace tout noir. La lumière se fait jaune et voilà les danseurs recouverts de papier qu'ils déchirent. ON ne distingue plus que des membres des bras qui attrapent des dents qui mordent des mains qui pincent. Beauté saisissante d'un groupe en cohérence. La toute dernière parade sera celle ritualisée du déguisement. De tulle et de tubes, Vera Mantero se fait sorcière moderne. La tête de Renard entre les seins lourds de DD Dorvilliers, une fourrure noire enserrant ses hanches, c'est une vision chamanique. Au jeu de cette cérémonie de travestissement, Alain Buffard porte le plus loin la tendance caméléon. Vertgineuse démarche sur escarpins rouges, pour finir en extraterrestre orange boiteux. Plus la scène s'étire, plus on se prend au jeu. Délice d'un rituel partagé, entre les danseurs et entre nous, spectateurs. Quand enfin les danseurs se défont de cette masse de vêtements devenue gênante c'est pour se grimer à même la peau. Retour au bleu, au vert, au rouge. Aux éléments primaires, à la sauvagerie de l'homme. mais sur les ventres c'est parfois des sous-vêtements qu'on dessine... On ne sait dire ce qui est de la partition première de la pièce, ce qui est re-visité. L'esprit des 60s est là, à travers la musique sucrée comme une madeleine des jours heureux des beach boys, l'absence de peur ou d'angoisse. Le visage de DD Dorvillier résume tout ça à lui seul. Un mélange de naïveté, d'épanouissement, de malice et de confiance. Le dialogue est ouvert, toujours, les danseurs n'assènent rien, ils se regardent, nous regardent, régénérant nos batteries, nous gonflant à l'optimisme. Anna Halprin appelait cette pièce "La cérémonie de confiance". Anne Collod est parvenue à retrouver cet esprit dans une époque qui s'y prête moins. Par quel miracle? Charme de l'original, génie de l'intemporel, beauté des images ou intelligence des interprètes? A bien y réfléchir "Parades and changes" nous vient bien d'une époque, celle des années 60 et du temps des possibles. Et il s'agit bien d'un miracle qu'en 2009 nous arrivent intacts ces corps nus, cette mise en scène du quotidien, exploités depuis lors jusqu'à écoeurement par la scène contemporaine. Rien de dénonciateur, rien de rabaché. Simplement une énergie collective, mêlée au plaisir et à l'innocence. Moi qui n'avait jamais rien vu d'Anna Halprin, j'ai également découvert le très beau documentaire de Andy Abrahams Wilson, consacré à la chorégraphe et ses performances en milieu naturel. A 80 ans, Hanna Alprin semble toujours en quête. Chrysalide prise dans le flot des vagues, momie blanche face au vent et au ciel, animal masqué lové dans le racines d'un arbre centenaire, elle multiplie les performances artistiques à la recherche d'une communion avec les éléments. Cette quête frappée de mysticisme ne tombe jamais dans le ridicule. Parce qu'elle est trop sincère et parce que ce corps octogénaire semble effectivement trouver sa place là entre terre et mer. Parfois ressurgissent les petits ronchonnements d'une vieille dame de plus de 80 ans. Le réalisateur a choisi de les laisser, parce qu'ils rendent compte d'un être enfantin, et vieux à la fois. Par le jeu et la création, Anna Halprin poursuit sa quête dansée. Le DVD est en vente sur le site Books on the move d'Agnès Benoit-Nader, libraire-danseuse ambulante berlinoise.
Lire également la très belle critique et les photos de Jérôme Delatour parues l'an dernier sur le blog Images de danse.

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