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Bonus ou grand emprunt : l'échec démocratique

Publié le 27 août 2009 par Juan

Qu'il s'agisse des bonus bancaires ou du Grand Emprunt, il y a un perdant: la politique s'est couchée, une fois de plus, devant l'économie.
Bonus persistants
Mardi, Nicolas Sarkozy avait annoncé de "nouvelles règles du jeu" en matière de bonus aux traders. Il est vrai que les représentants du secteur bancaire ont accepté, sous la pression, de mettre davantage de discipline dans leurs pratiques. Mais l'imposture demeure: les bonus, qui rémunèrent le résultat et donc la prise de risque en bourse, ne sont ni plafonnés ni surtaxés, concurrence internationale oblige. Nicolas Sarkozy a sur-joué tant sa détermination que les maigres résultats qu'il a obtenus. La profession bancaire s'en est très bien tirée. Le bouclier fiscal jouera toujours à plein pour les traders comme pour les autres. Sarkozy a renvoyé au G20 d'éventuelles décisions. Cela fait un an que les grands de ce monde discutent de régulation, un an pour peu de résultats. Même la presse favorable au pouvoir n'est pas dupe. «Sous la pression d'opinions publiques exaspérées, beaucoup de déclarations de bonnes intentions ont été entendues à Londres et à Washington depuis le dernier G20. Il serait temps que ces belles paroles se traduisent en actesécrivait Gaëtan de Capèle dans le Figaro.
Lundi, Nicolas Sarkozy se rendra à Berlin, pour préparer la prochaine réunion du G20 à Pittsburg (USA) fin septembre. [mesures allemandes contre les bonus]. Chose incroyable, le ministre allemand des Finances a expliqué mercredi qu'il était d'accord pour appuyer la demande française de mettre les bonus à l'ordre du jour de ce G20. Faut-il comprendre qu'il ne se serait rien passé sans les polémiques médiatiques de ces derniers mois ? Depuis le début de l'année, le "retour des bonus" fait régulièrement la Une des médias, en Europe comme en France. Mais rien n'avance. Les dirigeants du G20 sont pris en tenaille, dans leur schizophrénie habituelle, entre deux impératifs contradictoires: faire patienter leurs opinions publiques, outrées par les excès de quelques-uns, et préserver la "compétitivité" de leurs propres places boursières. Alors même qu'ils ont largement accru leur pouvoir d'influence (sauf en France) sur leurs principales banques nationales du fait des aides publiques et autres nationalisations, les dirigeants du G20 ont visiblement choisi leur camp: le statu quo. En France, Sarkozy choisit le sur-jeu de la détermination plutôt que d'avouer son impuissance évidente. Il aurait pu saisir son docile gouvernement, faire voter une loi par le Parlement. L'insécurité boursière mérite-t-elle davantage d'égard que l'insécurité tout court ?
Grand Emprunt, Grand Déficit
Mercredi, le président français "installait" sa commission de réflexion sur les priorités du "Grand Emprunt", présidée par Michel Rocard et Alain Juppé. Ce "GE" est une opération de communication. Sarkozy comme Fillon ne s'en sont jamais cachés. L'Etat emprunte chaque jour des milliards d'euros sur les places financières et/ou auprès d'institutions, afin de couvrir ses déficits. A ce titre, le budget de l'Etat sera déséquilibré comme jamais cette année 130 milliards d'euros de trou ! Mercredi, Sarkozy a fixé un curieux cadre à cette commission "d'experts" :
Primo, il a expliqué qu'on pouvait continuer de creuser le trou, du moment que cela serait utile au pays: "Il s'agit de définir des priorités stratégiques. Je dis bien des priorités stratégiques car nous ne pouvons tout faire et plus que tout autre j'ai conscience que notre dette ne peut s'alourdir qu'au profit de ce qui est vraiment essentiel pour l'avenir de notre pays". La dette publique devrait dépasser les 1 400 milliards à la fin de l'année.
Secundo, il n'a fixé aucune limite budgétaire: "Je ne bornerai pas la liberté de votre réflexion à un cadre budgétaire précis. Le montant de l'emprunt national dépendra des besoins que vous allez identifier, et de la capacité d'endettement que nous aurons". Faut-il 50 milliards ? 100 milliards ? 200 milliards ? La commission Juppé-Rocard a deux mois pour livrer ses conclusions, deux mois pour établir la plus belle liste de Noël que la France ait connu depuis la Libération ! cette démarche fusille deux ans de communication sarkozyenne sur la réduction des dépenses publiques, déjà mise à mal par le "plan de relance" de novembre 2008. Ce dernier intégrait, sous le prétexte de la relance, des dépenses structurelles comme la rénovation sanitaire d'établissements scolaires ou la mise aux normes de sécurité de certaines prisons. Certes, les chantiers concernés ont créé de l'activité, mais fallait-il comprendre que sans crise, les écoles et les prisons seraient restées délabrées encore quelques années ? Inquiet, Fillon avait déjà cadré un peu le débat en juin dernier en indiquant que les investissements financés par le Grand Emprunt devraient être sélectifs et rentables. Mercredi, Sarkozy a précisé que "le montant de l'emprunt national dépendra des besoins que vous allez identifier et de la capacité d'endettement que nous aurons". Avec une telle recommandation, Juppé et Rocard n'iront pas bien loin...
Tertio, Sarkozy a fixé 4 grands objectifs dont la commission devra tenir compte dans ses travaux: "l'économie de la connaissance", la "compétitivité des entreprises", les "équipements industriels innovants" et "la lutte contre le déclassement". Mince, il a oublié la lutte contre le réchauffement climatique et la paix dans le monde ! Comment mesurera-t-on la rentabilité d'un investissement censé lutter contre le déclassement social qui frappe les classes moyennes ?
Alain Juppé a joué la prudence, préconisant que le montant de l'emprunt ne soit pas géré par les ministères mais localisé dans des fonds identifiés et traçables. on n'est jamais trop prudent.
Abandon démocratique
Le plus frappant dans cette histoire d'emprunt médiatique est surtout l'abandon démocratique que la démarche suppose: habituellement, les députés et sénateurs, c'est-à-dire les représentants du peuple, votent le budget de l'État. Ces dernières années, les ministres du budget se sont d'ailleurs exercés à clarifier le chiffrage et la mesure de performance des fonds publics décidés par la représentation nationale. Sans surestimer le caractère démocratique du processus parlementaire, on peut dire que les apparences étaient sauves. Pour le Grand Emprunt, rien de tout cela. Une commission de 20 personnes va réfléchir et proposer d'engager l'argent des citoyens-contribuables sur des sommes qu'on imagine faramineuses, puis le Monarque disposera. Quelle est la perméabilité aux lobbies de ces 20 experts ? On sait ainsi déjà que le Commissariat à l'Energie Atomique à transmis à Bercy la liste de ses priorités : le nucléaire « durable », la voiture électrique, les technologies de la santé, les nanotechnologies. Éventuellement, le Parlement votera. S'il refuse le projet, c'est l'échec du Grand Emprunt. S'il le valide, il abdique son indépendance et reconnaît son inutilité en Sarkofrance.
A l'exception des deux coprésidents, aucun élu du peuple n'est membre de la commission. Michel Rocard a même excusé sa participation en expliquant qu'il s'y voyait comme un "serviteur de l'Etat", un simple "fonctionnaire". Bref, le politique a disparu. Et personne, ou presque, ne s'en inquiète. Sarkozy s'est même payé le luxe de débaucher Olivier Ferrand, le fondateur de Terra Nova, cette fondation classée à gauche. Une ouverture de plus pour masquer l'absence d'un débat démocratique digne de ce nom.

Liste des membres de la Commission :
- M. Édouard BARD, Professeur au Collège de France
- M. Christian de BOISSIEU, Président du Conseil d’Analyse Économique
- Mme Monique CANTO-SPERBER, Directrice de l’École Normale Supérieure
- Mme Catherine CESARSKY, Haut Commissaire au Commissariat à l’Énergie Atomique
- M. Philippe DESSERTINE, Professeur Finances à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense
- M. Jean de KERVASDOUE, Professeur au CNAM
- Mme Marion GUILLOU, Présidente du Conseil d’Administration de l’École Polytechnique- M. Alain GRANDJEAN, Fondation Hulot
- Mme Bettina LAVILLE, associé de cabinet d’avocats Landwell Landwell et associés Crystall Park
- Mme Fatine LAYT, Présidente d’Oddo Corporate Finance
- Mme Élisabeth LULIN, Directeur Général de Paradigmes et caetera
- M. Claude MANDIL, ancien Président de l’AIE
- Mme Véronique MORALI, Président de FIMALAC DEVELOPPEMENT ou TERRA FEMINA
- Mme Nicole NOTAT, Présidente de VIGEO
- M. Erik ORSENNA, Membre de l’Académie française
- M. Édouard PHILIPPE, Directeur des Affaires Publiques chez AREVA
- M. Denis RANQUE, Président du Cercle de l'Industrie
- Mme Laurence TUBIANA, Directrice de la Chaire de Développement Durable Sciences PO
Rapporteurs de la commission :
- M. Philippe BOUYOUX, Inspecteur général des Finances, rapporteur général de la commission- Mme Geneviève LE BIGOT, Conseiller spécial du Maire de Bordeaux, rapporteur général de la commission- M. Olivier FERRAND, rapporteur général adjoint de la commission- M. Jack AZOULAY, Inspecteur des Finances, rapporteur de la commission
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