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Girl wrapped in plastic and lost souls (Eté et science-fiction – 6)

Par Rose

L'été s'achève et avec lui le visionnage d'une ancienne série qui m'a tenue en haleine pendant l'été - interrompue pendant les vacances, reprise, interrompue à nouveau au gré de diverses visites, regardée au fil des jours, tranquillement, malgré le suspense, en savourant les questions qu'elle éveillait.

Girl wrapped in plastic and lost souls (Eté et science-fiction – 6)

Revoir , dont j'avais suivi certains épisodes quand j'étais adolescente, c'était un peu comme plonger dans un passé dont j'avais oublié toute la saveur. A l'époque, je m'intéressais aux intrigues des teenagers - et je me demandais qui avait tué Laura Palmer, mais les détours de l'intrigue avait fini par avoir raison de mon engouement (alors qu'aujourd'hui je m'en délecte) et surtout je pense que je n'étais pas prête à accepter tous les secrets de ces habitants a priori si tranquilles... Impossible de me rappeler où je me suis arrêtée, si j'ai repris la série après avoir raté quelques épisodes. Ce dont je suis sûre, c'est que j'ai découvert l'identité du meurtrier de Laura Palmer dans le film Fire Walk with me.
Mon image mentale du cinéma de Lynch, c'est une scène de Mullholland Drive : l'héroïne blonde, émerveillée, débarque à Hollywood. Elle a voyagé avec deux petits vieux très sympathiques et elle partage un taxi avec eux à la sortie de l'aéroport. Quand elle les quitte, le visage de ces vieillards jusque là rassurants reste figé en un sourire qui ressemble à un ricanement, ils sont réduits à deux marionnettes grimaçantes qui donnent le frisson... Ils semblent les grands-parents de Bob, l'incarnation du mal à Twin Peaks, dont les apparitions en homme carnassier sont terrifiantes.
Twin Peaks est glaçant : il y a cette fille découverte dans l'eau glacée, le corps enroulé dans du plastique ; cette Laura pas aussi belle et lisse que ce que ses maintes activités de bienfaisance laisseraient supposer... En même temps, je suis certaine que cette image de la jeunesse injustement fauchée en plein vol a fortement marqué mon imaginaire. Autour d'elle, il y a tous ces personnages disposés comme des pions : la meilleure amie naïve (Donna) et la pimbêche (Audrey), le gentil boy-friend (James le motard) et le bad boy (Bobby et ses petits trafics) ; comme si Laura n'était qu'un prétexte, une icône étrangère au monde, tous deux forment ou ont déjà formé un nouveau couple : James et Donna, Bobby et Shelly... Il y a aussi la galerie des pères : Leland le père désespéré, Ben le businessman obsédé par ses affaires (le père indifférent d'Audrey), le doc Hayward si tolérant et compréhensif avec Donna, le major Briggs qui s'oppose complètement au stéréotype du militaire et adresse des propos calmes et pleins d'éloquence à son fils Bobby qui n'en a que faire... Et puis toute la petite ville de Twin Peaks, son garagiste et sa gérante de drugstore (faits l'un pour l'autre, mais mal mariés), ses routiers, sa scierie, son shériff. Tout l'univers de Twin Peaks est construit sur le système du double, du miroir (on comprendra pourquoi au fil de la série), à l'exception de quelques phénomènes, comme la femme à la bûche, dont les propos sibyllins ouvrent (éclairent ou brouillent) chaque épisode, ou le héros Dale Cooper, agent spécial du FBI venu enquêter sur cette mort mystérieuse. Encore cela est-il faux, puisque la femme à la bûche partage certains traits avec le major Briggs, et puisque Cooper s'installe dans une sorte de couple Holmes-Watson avec le shériff Truman, sur le mode intuition/raison. C'est un monde quotidien, et en même temps décalé, et parfois absolument terrifiant.
Et pourtant que ce monde rempli de ténèbres est drôle ! ce qui m'agace dans d'autres séries (je n'ai jamais tellement aimé le côté sitcom de Desperate Housewives) me paraît ici ingénieux, d'autant que j'aime beaucoup la voix veloutée de l'adjoint Andy (le grand timide qui pleure devant les cadavres), la voix aigrelette et les pulls informes de Lucy (la secrétaire du shériff), les émois de Nadine, trentenaire retombée en adolescence, ou les lunettes bicolores du psy aux théories hawaïennes.
La trentaine d'épisodes que compte la série déroulent deux intrigues, puisque la chaîne qui diffusait la série obligea Lynch et Frost à dévoiler plus vite que prévu l'assassin de Laura. Après quelques épisodes plats pour mettre en place de nouveaux personnages, la série repart (il s'agit d'arrêter l'ancien coéquipier de Cooper devenu fou), rejoignant finalement la première intrigue. Et puis il y a un dernier épisode, stupéfiant, parce qu'il rebrasse les cartes d'une façon spectaculaire et insatisfaisante pour le spectateur : comment ? une histoire pourrait " mal finir " ? ne pas donner raison et repos à ceux que nous aimons depuis le début ? Si la fin est si abrupte, c'est d'abord parce que la série n'était pas censée finir ; une 3e saison était envisagée. Mais telle qu'elle existe, j'aime vraiment cette " fin provisoire ", inconfortable et angoissante. A nous d'imaginer la suite, de sauver qui nous voulons. Je me rappelle ma déception à la fin de " Six feet under " quand, après avoir suivi pendant quelques années intenses des personnages attachants, on voyait leur sort fixé en quelques images assez laides, comme si cette vie si riche devenait un long fleuve dont il n'y avait plus rien à dire. Je m'étais empressée d'oublier tout ça, et je suis contente que Twin Peaks m'offre cette ouverture, ce suspens.
J'aime cet enquêteur gourmand toujours en quête d'une part de cherry pie avec un café très noir. Ou d'un étalage de doughnuts pour récupérer après des repérages trop fatigants.
J'aime quand Ben Horne dépressif réinvente la guerre de Sécession et fait gagner le sud (devant Audrey en Scarlett O'Hara). Le businessman au gros cigare est par ailleurs très enclin à citer Shakespeare, ce qui lui donne une gravité très loufoque.
J'aime les tics étranges de Pete Martell.
J'aime la douceur qui émane des personnages féminins, la vamp Josie ou Norma la serveuse.
Léo Johnson changé en légume par un accident m'évoque toujours Mme Raquin dans le roman de Zola.
J'aime les dédoublements à l'infini et le retour de Laura sous la forme de sa cousine (brune), Madeleine Ferguson, en hommage à Hitchcock.
J'aime la dernière histoire d'amour de Dale Cooper.
J'aime les apparitions de Lynch lui-même ; il joue Gordon Cole, un type sourd qui crie tout ce qu'il a à dire.
J'aime la bonhomie du shériff, la présence rassurante de son adjoint indien.
J'adore le générique, l'eau sombre en bas des rapides et la musique entêtante.
J'adore la scène où Ed Hurley explique à Cooper comment sa femme a perdu un œil.
J'aime le vice d'Harold " j'ai une âme solitaire " Smith qui dans des carnets recueille les vies de ses visiteuses.
J'aime le concours de beauté final, si cliché, et le numéro de Lucy que l'on découvre soudain excellente danseuse, achevant sa prestation sur un grand écart alors qu'elle est censée être enceinte.
Finalement les histoires de teenagers ne m'intéressent plus _ et n'intéressaient sans doute pas tant que ça les scénaristes, car les amours de James et Donna sont bien ternes par rapport aux autres intrigues.
J'ai eu envie de revoir Twin Peaks après avoir lu les excellentes raisons de redécouvrir la série données par Thomas sur le Golb.
Et j'ai adoré l'analyse d' Art-rock qui à partir d'un thème musical (pas n'importe lequel, Audrey's dance) déroule tous les fils de la série.


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