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L’Italie, un miroir télécratique

Publié le 11 septembre 2009 par Vogelsong @Vogelsong

L’Italie est magnifique. Aujourd’hui, en plus, elle fascine, elle inquiète. La déliquescence démocratique atteint un point tel que ce creuset de culture, d’histoire, d’art de vivre ne se reconnaît plus.

L’Italie est magnifique. Aujourd’hui, en plus, elle fascine, elle inquiète. La déliquescence démocratique atteint un point tel que ce creuset de culture, d’histoire, d’art de vivre ne se reconnaît plus. Le processus de putréfaction publique incarné par le berlusconisme sape méthodiquement l’intégrité même du corps social. L’intelligentsia dépassée et soumise aux affres de la télécratie n’a plus aucune prise sur les événements. Des journalistes et experts transalpins viennent alors geindre sur la radio publique française. Une situation cocasse si elle n’était pas prophétique.

videocracy

Sur une chaîne de radio publique le rondelet multicarte N. Demorand accueille E. Mauro, Directeur de La Repubblica et M. Marzano, philosophe et chercheure. Ils dressent un tableau apocalyptique de la vie publique en Italie. L’empire économique de S. Berlusconi broie les médias. Le politicien dispose d’une armada de journaux acquis à sa doctrine, de canaux privés qui déverse des monceaux d’excréments télévisuels, et dispose à volonté des présidents des chaînes publiques. Complètement noyée dans ce magma, une presse dite sérieuse confinée à la portion congrue tente de se faire entendre. E. Mauro évoque une réunion d’industriels transalpins où Il Cavaliere “conseille” de ne plus commander de publicité dans des journaux d’opposition (dont La Republicca de centre gauche). L’homme qui voulait gérer l’Italie comme une entreprise, celui qui se considère comme le meilleur président du Conseil fait un odieux chantage à la réclame pour une presse qui n’a pas su et ne saura jamais se passer du superflu. De chaque côté des Alpes, le discours est invariable. Derrière les rengaines libératrices se cache la manne privée du marketing. Derrière les affres de l’intellectuel de gauche sérieux se terre invariablement le manque de ressources dont il s’est lui-même privé. Le modèle de la presse publicitaire a créé lui-même sa dépendance. Et, quémande à la fin des fins (aussi) à l’État des subsides pour survivre. Libération (aussi de centre gauche), virulent journal d’opposition au sarkozysme reçoit 2 000 000 d’euros d’aides publiques. Au lieu de gagner leur indépendance par la pratique (et par là même un lectorat nombreux et fidèle), ils se sont adonnés à des reportages complaisants, des révélations “pipole”, des dossiers de surface. La presse italienne comme française s’est pendue avec deux cordes, une façonnée par l’intérêt particulier des industriels, l’autre manipulée par la démence du pouvoir politique.

La télévision occupe un espace central dans l’abrutissement généralisé des démocraties. Les sociétés marchéisées vivent aux rythmes des flux synchronisés qui permettent aux publicitaires le déploiement d’une force de frappe décuplée. Le coming-out de P. Le Lay directeur de TF1 qui affirmait vendre du temps de cerveau disponible n’est qu’une transcription vulgaire et cynique d’une pratique codifiée, planifiée par les groupes transnationaux et leurs prestataires de communication commerciale. L’Italie a poussé l’achalandage du temps devenu presque interstitiel entre les publicités jusqu’à son stade ultime. Un freak-show permanent peuplé d’individus/produits narcissiques et exhibitionnistes. On ne lésine sur rien dans le monde merveilleux du petit écran, tout y est hypertrophié, les seins, les lèvres, les égos. Plus qu’une image déplorable de l’Homme, de la femme, ces comportements conditionnent tous ceux qui y participent à ne plus se respecter. Ni la jeune postpubère exposant ses atours, ni le téléspectateur/consommateur hypnotisé guidé par ses seules pulsions.

C’est à une population massivement zombifiée que doit faire face l’intellectuel. Une population amputée d’estime de soi juste bonne à voter, à travailler et consommer à intervalles réguliers.

Aujourd’hui, les insiders effarés poussent des complaintes stridentes en qualifiant le régime Berlusconien. De surcroît en France et sur une chaîne d’État. La France se vit comme un sanctuaire démocratique. Aucun parallélisme n’existerait entre le Berlusconisme et le Sarkozysme. Pas même l’évocation d’une probable dérive amenant à penser que l’hexagone emprunterait (avec un peu de retard) ce chemin mortifère.

En aphasie totale, les animateurs des médias oublient que les Français aussi ne tiennent plus rigueur à un ministre de bidonner une sortie dans un supermarché, ni à un président qui sélectionne les travailleurs qu’il va rencontrer en fonction de leur taille. Un chef de l’Etat qui nomme à la tête de France Inter l’ami de son épouse. Une radio où viennent pleurer des Italiens contre la bête politique Berlusconi.

La condescendance des Français envers leurs cousins transalpins est coutumière. L’aveuglement quant à la situation du régime Berlusconien sidère les commentateurs, à tel point que lorsqu’on l’évoque, les Français s’oublient. La pente que prend le régime sarkozien, un salmigondis mâtiné de libéralisme économique, de poujadisme, d’autocratie et de pipole rappelle étrangement l’Italie. J. Cocteau disait des Italiens qu’ils étaient des Français de bonne humeur. Aujourd’hui, ce sont des Italiens souffrants qui viennent parler de leur pays.


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