Magazine Beaux Arts

Biennale de Lyon

Publié le 17 septembre 2009 par Marc Lenot

2009-09-rentree001.1253202649.JPGC’est certes un exploit d’avoir réalisé cette Biennale en quelques mois, au pied levé après la défection de Catherine David, et on ne peut que saluer le travail du commissaire Hou Hanru et du régisseur général Thierry Prat. Le problème est que pour faire vite, il a fallu faire simple et donc trouver un thème évident, déjà bien visité et pas trop complexe. Je n’ais pas bien compris ce que voulait dire ‘le spectacle du quotidien’ et tout le discours tenu me paraît par trop simpliste : réconcilier art et société, témoigner des changements sociaux, etc. (voir la diatribe d’Anne Malherbe). Passe encore pour le discours, mais un bon nombre des pièces présentées ici sont pleines de bons sentiments, mais manquent cruellement de distance ou de profondeur. Qu’un artiste (Carlos Motta) interroge des passants pour leur demander ce que signifie le mot Démocratie pour eux, qu’un autre (Lee Mingwei) vous invite à offrir une fleur à un inconnu, qu’un troisième (Bik van der Pol) filme un ponton sur une rivière mis à disposition d’enfants des banlieues, qu’un quatrième (Yang Jiechang) vende des os humains en céramique au profit d’une association - et il y a hélas bien d’autres exemples- est démonstratif, mignon et sans grand intérêt. 2009-09-rentree036.1253202813.JPGOn peut trouver très beaux les dessins à l’encre de Laura Genz sur le collectif des sans papiers expulsés de la Bourse du Travail par le service d’ordre de la CGT (j’ai cru d’abord à un dessin de Rembrandt !), mais çà reste, à mes yeux, un travail engagé trop près du sujet pour avoir assez de densité. L’éclairage au néon d’une usine désaffectée (Entrepôt Bichat) par Pedro Cabrita Reis a aussi du mal à décoller, manquant de poids, de souffle, d’originalité.

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D’autant plus que ces bons sentiments sociaux sont rarement le support d’une expression politique forte et structurée. Société Réaliste, Wong Hoy Cheong et Maria Thereza Alves sont parmi les seuls à poser une vraie problématique, celle du Nord et du Sud. Les premiers ont mis sur pied une fausse loterie à la Carte Verte européenne, censée parodier la Green Card et inverser les flux migratoires, mais qui a été un miroir aux alouettes pour des milliers d’immigrants potentiels; un immense cylindre est tapissé de centaines de demandes de Nigérians pour cette carte, alors que sa paroi externe est un ‘planisphère’ (circulaire toutefois) où n’apparaissent que les territoires dépendant de l’UE, dont nos rares colonies insulaires (Pitcairn et Bassas da India, pour rêver un peu).

Maria Thereza Alves inverse le mythe du bon sauvage, avec un film sur une indienne tatouée débarquant de l’Amazonie profonde pour récupérer le manoir angevin de son père, hobereau local décédé. Plus subtil, Wong Hoy Cheong, fasciné par les tableaux classiques du Musée des Beaux-Arts, les réinterprète en photo avec des acteurs du Sud : voici donc, en haut de ce billet, La lecture, de Fantin-Latour.

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Sinon, ce sont les oeuvres plus distancées qui surnagent, en particulier celles où la dimension conceptuelle est forte et prend le pas sur la dialectique sociale. Ainsi Katarina Šeda fait-elle réaliser par les habitants d’un petit village allemand un dessin composite de leur village, dont les différentes étapes couvrent les murs d’une salle : l’intérêt vient bien sûr de la dimension performative de cette action, où les habitants doivent jouer une partition serrée et complexe (The spirit of Uhyst). De même la Pakistanaise Bani Abidi établit un catalogage de barrières et d’interphones, construisant ainsi tout un alphabet sécuritaire conceptuel.

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L’artiste le plus réjouissant de la Biennale est certainement feu George Brecht dont les vignettes et les chaises habitent ces lieux de manière lancinante et poétique; ses panneaux annoncent des ‘Events’ hypothétiques,
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tout comme la non-performance de Dora Garcia, dont la pile de livres ‘Volez ce livre’ impose d’affronter un gardien au bras en écharpe.

Ensuite on peut éprouver la poésie douce des sculptures de Takahiro Iwasaki, déchiffrer les graffiti de Dan Perjovski, être

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impressionné par les tags et les déchets urbains de Barry McGee, fouler aux pieds avec jubilation les aphorismes éculés de Le Corbusier sur le linoléum de Latifa Echakhch, s’ennuyer devant les répétitions vaines d’Adel Abdessemed ou s’émerveiller devant la beauté fulgurante des rouges avalanches verbales de Tsang Kinwah, mais l’émotion a quand même bien du mal à émerger au cours de cette visite.

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Heureusement, il y a Agnès Varda et ses trois cabanes océaniques. L’une est faite de pellicules que a lumière traverse et que le vent agite et on y devine Piccoli et Deneuve en tout petit; une autre, montrant un de ses films, est ensablée et fleure bon la plage. La troisième présente trente hommes et trente femmes de Noirmoutier, dont les portraits se font face, les yeux dans les yeux; ces portraits reposent sur un fond de paysage îlien. C’est un travail beau et émouvant sur l’expression, la présence, le regard; seule une jeune fille détourne le regard, parlant au téléphone. C’est l’endroit le plus charmant de toute la Biennale, l’endroit où échapper aux discours trop formatés, aux oeuvres trop évidentes, aux artistes trop moutonniers. Allez vous y réfugier, vous y ressourcer. 

P.S. : mon voyage était un voyage de presse, en tant qu’invité de la Biennale
P.S. 2 (qui n’a rien à voir, bien sûr) : une exposition censurée


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