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Quand une monnaie ne suffit plus...

Publié le 18 septembre 2009 par Raphael57
Quand une monnaie ne suffit plus...


Une Initiative intéressante a vu le jour en Grande-Bretagne, la semaine passée : la création de deux monnaies locales. Le Brixton pound  a vu le jour le 17 septembre et le Stroud pound le 12 septembre. Dans les deux cas,  elles n'ont aucun cours légal et ne servent qu'à favoriser les échanges dans une zone géographique bien définie (en l'occurence le quartier de Brixton au sud de Londres pour la première, la ville de Stroud dans le Gloucestershire pour la seconde).
La littérature économique considère qu'une monnaie doit, au moins, avoir les trois fonctions suivantes :
* fonction de facilitation des échanges : cela signifie qu'elle permet de payer ses achats lors d'une transaction sans recourir au troc.
* fonction de réserve de valeur : la monnaie peut être épargner sans perdre de sa valeur (en excluant l'inflation et la perte de cours légal comme pour le Franc). Elle permet donc de reporter du pouvoir d'achat dans le temps.
* fonction d'étalon : la monnaie permet de jauger la valeur d'un produit quelconque.
Néanmoins, la monnaie peut avoir des fonctions autres qu'économiques : l'attachement d'un peuple à sa monnaie relève autant d'un aspect socio-culturel que psychologique. C'est ce qui m'a amené à dire qu'une monnaie avait au moins les trois fonctions citées ci-dessus. Si la première fonction est commune à la monnaie légale et à la monnaie locale, les deux autres sont souvent loin d'être pleinement réalisées. Dans le cas de la monnaie locale, il n'est en général pas possible de l'épargner, simplement parce qu'aucune institution de type bancaire ne la prend en charge dans son système. Ce n'est d'ailleurs pas la finalité recherchée, puisqu'une telle monnaie est créée lorsque les conditions matérielles et financières de l'échange sont dégradées. Dès lors, c'est bien la fonction de facilitation des échanges qui est primordiale : on crée une monnaie parallèle pour permettre aux gens d'acheter ou de vendre des biens et services locaux pour la plupart, choses qu'ils ne pouvaient plus faire (ou moins bien faire) avec la monnaie légale.
Pour résumer, cette monnaie locale cohabite avec la monnaie officielle au niveau d'une zone géographique, mais ne constitue - au sens économique - qu'un simple instrument d'échange au sein d'une communauté, que personne n'est obligé d'adopter (elle n'a donc pas cours légal). Sachant cette distinction, nous pourrons, par simplification, continuer à l'appeler monnaie locale dans la suite de ce billet. Précisons cependant que certaines monnaies locales sont échangeables contre de la monnaie officielle, tandis que d'autres ne le sont pas... Le Brixton pound  est ainsi échangeable contre la livre Sterling au taux de 1:1. Mais en général, les monnaies locales ne sont pas créées dans le but d'être échangeable avec la monnaie officielle, bien au contraire !
Rappelons que ces initiatives sont loin d'être nouvelles, contrairement à ce que peut laisser penser parfois les médias qui s'emparent de cette information. En effet, durant chaque grande crise de telles créations de monnaie locale ont vu le jour. Ainsi, dans les années 30, de nombreuses villes (partout dans le monde) avaient créé une monnaie locale pour relancer les échanges dans un contexte de grande dépression. Rien qu'aux Etats-Unis, on comptait 5 000 monnaies locales... Depuis le mois d'avril 2009, Detroit a d'ailleurs relancé une telle monnaie locale - le cheer - suite à l'effondrement des Big Three (General Motors, Ford et Chrysler), et aux graves difficultés sociales qui en ont résulté. En Argentine, pendant la crise de 1998-2002, et plus généralement aussi dans toute l'Amérique du Sud, de telles initiatives ont fleuri. Pour finir, notons qu'en Grande-Bretagne, les villes de Totnes et de Lewes avaient ouvert la voie, en créant leur monnaie locale il y a déjà 2 ans.
Tout ceci n'est pas sans rappeler les systèmes d'échanges locaux (SEL) qui permettent à leurs membres de procéder à des échanges de biens, de services et de savoirs sans avoir recours à la monnaie officielle. J'avais écrit, il y a quelques années, un article sur Planète Terra à ce sujet que
vous trouverez à cette adresse.
Si ces monnaies locales constituent une magnifique preuve de résilience des sociétés aux différentes crises, il n'en reste pas moins vrai que de nombreuses questions sont soulevées. Du fait que cette monnaie cohabite avec la monnaie légale (sans être échangeable le plus souvent), cela amène à s'interroger sur les conséquences d'une telle concurrence : différence d'inflation selon la monnaie, règles de stabilité monétaire à adapter selon la monnaie, rupture de la chaîne économique possible (si un fournisseur n'accepte pas la monnaie locale tandis que l'entrepreneur local l'accepte), comment contrôler offciellement les achats/ventes (faut-il tenir une double comptabilité ? Comment appliquer la TVA ?),...
Néanmoins, le lecteur aura bien compris que le grand intérêt d'une telle monnaie locale est de permettre à une communauté d'utiliser pleinement ses ressources productives existantes, en apportant de l'huile dans les rouages pour ainsi dire. Subsidairement, cela encourage l'achat de biens et de services produits localement. En ce sens, la fonction sociale de l'initiative l'emporte sur les considérations purement économiques. C'est déjà un grand pas pour essayer de
"réencastrer" l'économie dans le social pour faire référence au grand économiste Karl Polanyi.


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