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Discours et contradictions à Nouméa : petites réflexions sur une politique de stationnement non durable

Publié le 18 septembre 2009 par Servefa

Habitants du Grand Nouméa soyez rassurés: la ville centre Nouméa lance sa révolution verte ! Il suffit pour s'en convaincre de lire la revue d'information de la ville, le Nouméa . Ainsi, il y est annoncé que la capitale a l'ambition de devenir "une ville écologique moderne" avec une vision de l'urbanisme axée sur l'environnement ! Alleluia. Il est donc prévu de faire (enfin) place aux transports collectifs.

Le précédent numéro de la revue (le n°101) abordait la description du futur Plan d'Aménagement et de Développement Durable (PADD) de la ville de Nouméa, à ne pas confondre avec le Plan d'Aménagement et Développement Durable du Grand Nouméa (PADD GN). Nous verrons par la suite que les deux PADD ne sont manifestement pas compatibles, ce qui est très préoccupant. Il y était indiqué que la ville, au coeur d'une agglomération de 300 000 habitants en 2025 (le PADD du Grand Nouméa s'est justement explicitement penché sur la question et prévoit plutôt environ 200 000 habitants en 2020...), doit se transformer avec notamment un centre-ville dynamisé grâce à l'aménagement d'espaces publics et la construction de...parkings ! Ce numéro là (le 102) renchérit:

"Le centre-ville, surtout, est appelé à renaître et connaître une transformation attendue depuis plusieurs années. Logements de qualité, dynamisation du commerce,
construction de parkings, aménagements des rues revégétalisées et des trottoirs, paysagement des quais, animations sur le port, nouveau Musée maritime, espace
dédié à un Centre de Congrès et d’Expositions sur l’eau sont quelques unes des orientations proposées par Nouméa 2025. Un Nouméa à nouveau tourné vers la mer.".

Encore la construction de parkings ! Par ailleurs, les Nouvelles Calédoniennes du 16 septembre nous montrent que cette politique de multiplication des parkings est d'ores et déjà en oeuvre, avec la création de 92 nouvelles places, gratuites, bien-sûr, quai Jules Ferry.

Cette politique de stationnement s'avère en complète contradiction avec l'objectif de construire "une ville écologique moderne". En effet, le stationnement constitue un levier essentiel des politiques des déplacements. Dans le PADD, le Grand Nouméa fait le pari d'une politique de déplacement multimodale pragmatique, avec l'organisation de parc-relais tout autour de l'enclave créée par la congestion, afin d'inciter les automobilistes à y laisser leurs voitures pour prendre le future transport collectif rapide de l'agglomération, pour une mobilité plus durable. Il est ainsi écrit dans le PADD du Grand Nouméa:

"La création de parkings au centre-ville de Nouméa ou en périphérie immédiate entrera en concurrence directe avec les parkings relais et compromettra l’attractivité du TCSP (et donc son financement)"

Les projets de la ville de Nouméa compromettent grandement la réussite d'une politique menée à l'échelle de l'agglomération ! Qu'en pensent les maires des autres communes ?

Par ailleurs, pour illustrer l'importance de la politique de stationnement d'une ville dans l'ensemble des déplacements de cette dernière, je vous propose la lecture du tableau suivant qui montre la proportion d'usager qui prennent leur véhicule personnel en fonction de la disponibilité du stationnement à leur destination. Cette enquête croisée a été réalisée dans des villes dans lesquels le service de transport collectif est très efficace, notamment Lausanne, ou Berne :

Qu'y lit-on ? Que même lorsque le service de transport collectif est excellent et couvre bien le territoire, les usagers se déplacent principalement en automobile si du stationnement est disponible, même à Grenoble, par exemple, où la congestion est pourtant importante. Ainsi, si le centre-ville de Nouméa continue de créer du stationnement, les voitures continueront d'affluer vers la ville pour toujours plus d'embouteillages. Ce n'est pas un hasard si une ville comme Berne, modèle européen en matière de déplacements, a organisé une pénurie de stationnement dans sa ville.

Par ailleurs, il convient de se demander quel est le coût de ces places de stationnement "gratuites" pour la collectivité avec notamment le foncier non valorisé et les impôts locaux qui n'y sont pas levés. Aux Etats-Unis, cette question interpelle beaucoup, par exemple à travers l'ouvrage "The High Cost of Free Parking ".

Mais voilà, la ville de Nouméa souhaite dynamiser le centre-ville...en y mettant des parkings ! C'est pourtant évident, pour que le centre-ville puisse être attractif, il faut que les gens puissent y venir et se garer au plus proche de leur lieu d'achat. Vous comprenez, à Nouméa, marcher, c'est mauvais pour la santé (en tout cas c'est ce que j'en déduis, puisque par ailleurs, dans le même magazine, il est proposé de promouvoir une ville en santé...). Il me semble pourtant que les élus nouméens voyagent. N'ont-ils pas remarqué que des villes comme Bordeaux, Grenoble, ou Nice, depuis peu, ont révolutionné leur centre-ville, en lui offrant une véritable revalorisation accompagnant le transport collectif et justement en y diminuant la place de l'automobile. Mieux, des chercheurs se sont demandés il y a une dizaine d'années pourquoi le centre de Paris était riche, alors que son accès y est problématique, notamment pour le stationnement, quand le coeur de Détroit s'avère pauvre, alors que tout a été mis en oeuvre pour son dynamisme: parkings abondants, autoroutes performantes, autoponts à gogo. L'étude1 conclut que les aménagement de Détroit, dont le centre était un des lieux les plus dynamiques des USA dans les années 30, ont eu des impacts négatifs sur ce qu'ils nomment des "aménités positives" (il s'agit d'un anglicisme pour parler de l'ensemble des aménagements qui rendent un lieu plus agréable, confortable, etc.). Ainsi, en voulant revigorer son centre ville, Détroit l'a étouffé. Voilà exactement ce vers quoi tend la politique de la municipalité de Nouméa.

François SERVE

1. Why is central Paris rich and downtown Detroit poor?: An amenity-based theory. Jan K. Brueckner, Jacques-François Thisse and Yves Zenou. European Economic Review Volume 43, Issue 1, 10 January 1999, Pages 91-107. Pour obtenir cette étude, merci de me contacter par courriel ou par l'intermédiaire des commentaires à ce billet.


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