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Lait noir; Elif Shafak

Par Sylvielectures
Lait noir; Elif ShafakCe livre est le premier de la rentrée que je lis...
(Encore loin du 1% littéraire...;)
Cette lecture m'a réjouie et enchantée, ce qui est un vrai tour de force pour une histoire qui traite de la dépression...
Ce roman autobiographique propose une construction tout à fait originale.
Est ce un récit autobiographique ? un conte oriental ? une réflexion sur les femmes écrivains ?
C'est un peu tout cela à la fois et encore bien d'autres choses sans doute.
Foisonnant, érudit, sincère, sensible et en plus très drôle, ce roman creuse la question du rapport ténu et souvent conflictuel qui existe entre le désir de maternité des auteures et leur désir d'écrire.
Elif Shafak convoque ses sœurs d'écriture et les réunies brillamment autour de cette fameuse et prégnante question. Elle cite et nous parle de Virginia Woolf, Doris Lessing, George Sand, Simone de Beauvoir, Sylvia Plath, Muriel Spark, Jane Austen et de tant d'autres ...
"Maternité et écriture ne sont pas deux pôles opposés. Rien ne nous oblige à trancher... ...Le monde littéraire abonde d'exemples. Nadine Gordimer, Margaret Atwood, Anita Desai, Jhumpa Lahiri, Anne Marie MacDonald, Maureen Freely, Halide Edip Adivar, Sevgi Soysal, Latife Tekin, Sebnem Isigüzel ou Feride Ciçekoglu....
... D'un autre côté, il y a celles qui ne font pas d'enfants. Emily Dickinson, Charlotte Brontë, Dorothy Parker, Lillian Helman, Patricia Highsmith, Iris Murdoch, Jeannette Winterson, Zadie Smith, Amy Tan, Kiran Desai..."
Mais ce qui m'a totalement séduite dans ce roman, c'est la manière dont Elif Shafak conte sa dépression.
Cette fois, elle appelle à la rescousse les djinns et les histoires de sa grand-mère. Elle les mêlent à son monde intérieur et donne corps à ses voix intérieures.
J'ai trouvé jubilatoire cette façon de fabriquer des images et des carnations pour les voix multiples qui l'assaillent en pleine débâcle.
Nous voyons s'empailler sous nos yeux six "Miss-archétypes féminins", qui se font la guerre, s'allient, se trahissent, font des putschs ou jettent les armes...
Je les ai tellement aimées et elle m'ont tant fait rire que je ne résiste pas à vous citer la description de chacune d'entre elles...
Miss Intelligence pratique : "380 grammes pour 12 centimètres de haut. A son habitude, elle porte des vêtements confortables, fonctionnels et d'une sobre élégance. Un large pantalon en toile couleur terre avec plein de poches ; en haut, une chemise flottante et vaporeuse, et un collier dans les mêmes tons. Aux pieds, des sandalettes en cuir. La coupe de ses cheveux blonds foncés est assez courte, pratique et facile d'entretien. Elle n'aime pas les brushings. Elle se lave les cheveux et sort sans avoir à jouer du sèche cheveux. Elle est passée maître dans l'art de trouver les astuces pour se simplifier la vie."
Dame Derviche : "Prières à la bouche, elle égrène son chapelet. Sur le plateau posé devant elle, un petit bol de soupe aux lentilles, un dé d'eau et une tranche de pain. Elle aime se contenter de peu. Elle a toujours été frugale. Elle a la tête couverte d'un turban incrusté de pierre, d'où s'échappe une mèche de cheveux. Elle porte une longue robe verte lui descendant jusqu'aux pieds, un pardessus d'un vert plus sombre et des bottines plates couleur kaki. Ce camaïeu de verts contraste harmonieusement avec ses cheveux tirant sur le roux et la teinte orangée de ses joues tavelées de tâches de son. "
Miss Ego-Ambition : ..." une incurable droguée du travail. Elle mesure 11 centimètres et pèse 300 grammes. C'est la plus mince de toutes mes femmes miniatures. D'ailleurs, c'est peut-être parce qu'elle se ronge constamment de l'intérieur qu'elle ne prend pas un gramme. "Le temps, c'est de l'argent", dit-elle sans cesse. Pour ne pas perdre de temps à cuisiner et mettre la table, elle se nourrit de gélules vitaminées, de biscuits, de chips et de dosettes de jus de fruits... ...Miss Ego-Ambition porte une jupe droite lie-de-vin qui lui arrive aux genoux, et une veste de la même couleur. En dessous, une chemise ivoire en soie. Peau blanche comme neige unifiée par une légère couche de fond de teint et rouge à lèvres rouge vif. Ses cheveux châtain foncé sont ramassés en chignon, si strict que pas un cheveu ne dépasse. Autour du cou, un double rang de perles, et aux doigts, des bagues serties de pierres. Elle est comme toujours très soignée et d'une mise irréprochable."
Miss Cynique-Intello : "Elle porte de longs vêtements hippies traînant jusqu'au sol, des jupes indiennes à volant, piquées de petits miroirs. Des foulards multicolores enroulés autour du cou. Des bracelets à motifs orientaux aux poignets. Quand l'envie lui prend, elle va se faire tatouer ou poser des percings. Selon l'humeur du jour, elle a les cheveux lâchés sur les épaules ou négligemment attachés. elle pratique le raja-yoga, le riki et la méditation. Dommage qu'avec tout cela elle n'ait pas arrêté de fumer. Elle a constamment la cigarette ou le cigarillo au bec, et même si elle ne fume pas, elle aime chiquer du tabac. Elle prend toujours des sacs à main grand modèle afin de pouvoir y ranger ses livres-cahiers-photocopies. Chaque fois qu'elle va quelque part, elle trimballe avec elle ses sacs aussi lourds et volumineux que des valises."
Maman Gâteau : " Elle aussi mesure 10 ou 12 centimètres mais elle est plus dodue que les autres. Elle doit bien faire 500 grammes. Ses cheveux sont plus foncés. Ils tirent vers l'auburn sous cet éclairage. Elle n'est presque pas maquillée; seuls un imperceptible trait de crayon et un peu de Rimmel accentuent légèrement ses yeux. Rien de plus. Elle paraît avoir la trentaine. ... ...Elle porte une robe bleu foncé qui lui arrive en dessous du genou. Des chaussures noires, plates. Un sobre bandeau retient ses cheveux ondulés vers l'arrière. Ses joues rebondies trahissent son excès de poids. Mais elle semble en paix avec ses rondeurs."
Miss Satin Volupté : C'est une femme miniature, d'une taille de 14 ou 15 centimètres pour un poids de 400 ou 450 grammes. La tête appuyée sur une main, elle est appuyée de tout son long, telles ces courtisanes au teint de neige que l'on voit dans les représentations du harem. Ses longs cheveux ondulés lui descendent jusqu'aux reins. Au-dessus de ses lèvres maquillées d'un rouge vif, elle a posé une mouche au crayon. De longs gants noirs lui montent jusqu'aux coudes. Et, par-dessus le gant, ses doigts sont garnis de bagues serties d'une grosse pierre. Elle porte une robe de soirée rouge, en tissus soyeux et brillant, avec un décolleté mettant sa poitrine en évidence. Le fourreau, profondément fendu sur le côté, exhibe entièrement une de ses jambes. Aux pieds, des escarpins rouges à bout pointu et hauts talons aiguilles. "
Ce livre m'a vraiment plu, et si je devais le conseiller, je tenterai de le faire vivement et chaleureusement :)
Un entretien avec l'auteur proposé par Chloé Brenlé, pour Le Magazine Littéraire
Ecouter Daniel Arsand présenter le livre, et lire un extrait
L' article d' Astrid Eliard pour le Figaro, Le Figaro, le 10.09.09
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