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Petra Chérie

Par Aaapoum Bapoum

Attilio Micheluzzi, Petra Chérie, Mosquito, 336 pages, 35 €.

traduction Michel Jans, Joséphine Lamesta



Petra

Sur les éditions Mosquito, on peut toujours compter dès qu'il s'agit de mettre en valeur le patrimoine de la bande dessinée italienne. Mais là, avec cette énorme pavé qu'est Petra Chérie, ils viennent à coup sûr de produire leur plus bel ouvrage. Composé à trois-quarts d'inédits, traduit avec un soin rare et préfacé avec émotions, ce recueil fait la part belle à l'un des auteurs les plus importants -et paradoxalement les plus méprisés dans notre pays- de l'histoire du fumetto : Attilio Micheluzzi.

Contemporain d'Hugo Pratt, Micheluzzi cultivait comme lui l'amour du trait noir de Milton Caniff et les héros flamboyants. Petra l'aristocrate, prise dans les turbulences de la première guerre mondiale, Rosso Stenton, marin des mers de Chine inspiré par le Steve McQueen de La Canonnière du Yang-Tse, ou encore le journaliste Marcel Labrume (pour laquelle il reçu un prix à Angoulême), sont beaucoup moins célestes et mystiques que le désinvolte Corto Maltèse. Car même s'ils partagent avec lui l'amour du voyage et une indiscipline féroce (qui les pousse, parfois, même à désobéir au narrateur dans le cadre du récit), les héros chez Micheluzzi se parent d'une fonction symbolique finement étudiée et directement en lien avec la grande Histoire.

Ainsi, sous le vernis feuilletonnesque de quelques récits de guerre apparemment sans autre projet que celui de dépayser et divertir, sous le profil séducteur d'une Mata Hari à la beauté sans équivalent, Petra s'incarne peu à peu en allégorie romantique de l'aristocratie européenne, et son cheminement illustre son déclin. Lors des premières nouvelles, c'est une créature flamboyante qui n'a guère à se soucier de sa féminité puisque sa supériorité est par nature acquise, une résistante partisane assurée de ces idéaux et de son camp dans un monde déchiré par la première guerre mondiale. Puis le récit plonge dans la nostalgie.

A mesure que progresse la déchirante année 1917, virage historique que Micheluzzi entérine comme le crépuscule de l'aristocratie européenne, le personnage se fragilise, ses certitudes s'effritent. A pas feutrés, Petra aura néanmoins eu le temps de sillonner l'Histoire en laissant quelques traces fugitives, çà-et-là (une rencontre avec le baron rouge, une autre avec Laurence d'Arabie), de son action et de son humanisme dans la grande marche du monde. Des vestiges de l'élégance et de l'honneur dont furent forgés les indomptables avant que ces valeurs cèdent leur place à la vulgaire et bestiale exaltation de la matérialité.


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