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Afghanistan : Des élections mais quelle démocratie ?

Publié le 28 septembre 2009 par Unmondelibre

Afghanistan : Des élections mais quelle démocratie ?Errachid Majidi, le 28 septembre 2009 - Sans grande surprise, le président sortant Hamid Karzaï a remporté les élections présidentielles tenues le 20 août en Afghanistan avec 54,6% des voix. En dépit d’un climat de peur et d’insécurité le taux de participation a avoisiné, selon la commission électorale indépendante, les 50% des inscrits. Toutefois des doutes demeurent quant à la véracité de ce taux ainsi que sur la transparence même du scrutin. Ce sont les deuxièmes élections présidentielles dans l’histoire du pays après celles de 2004. En 5 ans le peuple afghan a été consulté deux fois. Pour autant doit-t-on imaginer que la démocratisation de ce pays serait en bonne marche ?

Une réponse positive irait dans le sens du schéma imaginé par les néoconservateurs qui prédisait qu’une fois certains dictateurs du monde arabo-musulman évincés militairement du pouvoir, des démocraties stables prendraient place, accompagnées d’une euphorie populaire. Les réalités du terrain ont malheureusement démenti ce vœu pieu.

La démocratie est le produit d’une évolution politique, économique et sociale

Beaucoup de démocrates optimistes croyaient naïvement qu’après la chute du régime des talibans le peuple afghan allait se libérer du joug des traditions et des archaïsmes. Ils ont cru que ce régime constituait l’unique obstacle devant la modernité et l’ouverture politique du pays. Huit ans après sa chute, la situation des mœurs et des traditions (notamment celles relatives au statut de la femme) ne s’est guère améliorée. Sur le plan politique, et bien qu’on a essayé de démocratiser le régime en organisant des élections, la démocratie semble toujours constituer un corps étranger à la culture afghane - un corps qu’on essaie de greffer sans se soucier trop de savoir si l’environnement local a la capacité de l’accepter et de l’adapter.

Dans sa grande majorité, la littérature économique et politique décrit un processus lent et progressif pour accomplir une transition réussie vers la démocratie. Selon Lipset, la démocratie est conditionnée par l’élévation du niveau de trois variables : l’alphabétisation, le revenu par habitant et l’ouverture économique. Or en Afghanistan, la pauvreté extrême persiste en dépit d’une aide internationale généreuse qui, à défaut d’améliorer la situation d’une population misérable, alimente les comptes des expert et technocrates des organismes internationaux. Le taux d’alphabétisation ne dépasse pas 36% de la population et la situation de guerre et d’insécurité rendent difficile l’exercice d’une activité économique normale. Dans ces conditions il nous paraît illusoire de donner de la crédibilité à ces élections alors qu’un réel processus de transition vers la démocratie n’a jamais été amorcé.

La démocratie se construit dans la stabilité

Le régime des talibans est certes tombé facilement en 2001, mais leurs combattants renforcés par d’autres factions sont loin de perdre la guerre face aux forces alliées. L’erreur fatale des américains a été certainement d’ouvrir un deuxième front en Irak avant d’en finir avec celui de l’Afghanistan.

Cela a permis aux talibans de se replier, de réorganiser leurs troupes et de chercher de nouvelles alliances. Le conflit s’est donc considérablement intensifié réduisant ainsi le pouvoir effectif du président Karzaï à la capitale Kaboul et sa région. Cette situation instable rend difficile l’acceptation du nouvel ordre « démocratique » imposé par les américains.

Bien qu’au départ la chute du régime des talibans a été, en général, favorablement accueilli, cet enthousiasme de départ a laissé progressivement la place à une méfiance vis-vis du nouveau pouvoir. Les raisons à cette situation sont multiples. D’abord, la pratique de la corruption qui persiste au sein même de ce gouvernement et de ses représentants locaux. Ensuite, il y a la culture de l’opium qui, après une période de rupture, a connu une floraison sous la nouvelle ère, notamment par le biais des seigneurs de la guerre qui financent leurs armées privées grâce aux revenus de cette culture. Enfin, il y a le bilan très lourd des civils morts à cause des frappes aériennes des forces de l’OTAN et qu’on continue d’appeler pudiquement « des dommages collatéraux ».

Si ces éléments ont terni l’image du gouvernement et des forces alliées auprès de la population, ils ont aussi touché négativement celle de la démocratie, associée dans l’esprit des afghans à tous les méfaits de la situation actuelle. Or si on accepte l’idée d’imposer la démocratie de l’extérieur il faut que celle-ci soit bâtie sur des bonnes bases. Le contraire rendra difficile son acceptation par un peuple qui, plus est, ne l’a jamais expérimentée auparavant.

Une fois ces difficultés expliquées il reste, toutefois, possible d’imaginer que des progrès pourraient être enregistrés dans ce processus. Il est nécessaire pour cela de créer un ordre stable et pacifié. Cela devrait passer nécessairement par une solution négociée avec les talibans ou du moins avec une frange d’entre eux, celle qui serait moins liée à « Al Qaïda ». Associer les voisins pakistanais et iranien donnera certainement de la crédibilité à cette solution. La stabilité est un élément important pour assurer la sécurité des biens et des personnes et pour la pacification des voies commerciales. Elle pourrait certainement atténuer les méfaits de l’introduction forcée et brutale de la démocratie en amorçant une dynamique économique.

Errachid Majidi est Doctorant-chercheur à l’Université Paul Cézanne Aix en Provence.


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