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Quelques clés économiques pour ouvrir la boite de Pandore

Publié le 18 octobre 2007 par Christophe Foraison
p.ashx.gif Oui, je le reconnais, c'est un titre un peu tordu (encore), mais j'aime assez ce mythe de  Pandore .
Dans le billet précédent, je vous ai évoqué la gratuité de certaines richesses qui sont pourtant produites par des entreprises . 
Comment peut-on faire des bénéfices avec du gratuit ? 
Quels raisonnements économiques sont à l'oeuvre dans ce que certains appellent la nouvelle économie ?

Sans vouloir trop rentrer dans des considérations trop pointues (qui n'est pas l'objectif de SOS...SES...Je blogue !), on peut synthètiser les enjeux autour de 2 ou 3 questions clés (Aaaah ceux qui me connaissent savent combien cette règle est  fondamentale ^^)

1°)  Est-ce que c'est vraiment gratuit ?

La question mérite d'être posée: lorsqu'on regarde TF1, utilise Google, surfe avec Firefox (ou l'autre navigateur dont j'ai oublié le nom), télécharge des fichiers; lorsque votre fournisseur d'accés vous permet de mettre la wi-fi et d'autres services pour le même prix (29.99 €)...est-ce réellement gratuit ?

Ces richesses ont un coût (pour les produire, il faut rémunérer le facteur travail et le facteur capital), mais n'ont-elles pas de prix ?

Le client (celui qui paye) de TF1 est-il le spectateur ou l'annonceur publicitaire ?

La réponse a été donnée avec fracas par le PDG de TF1 en personne:

« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective "business", soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (...).

Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (...).

Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise. »  Source AFP ici

La réponse à la question "qui est client de TF1" est claire, non ?

D'autre part, lorsqu'on télécharge, ce sont les Fournisseurs d'Accès (ou les autres clients à qui on offre des cadeaux ou d'autres services qui sont donc en quelque sorte subventionnés par ceux qui payent le tarif normal) et les producteurs de PC et de lecteurs MP3 qui en bénéficient.

On voit bien alors où est le problème: le rapport de force est en faveur des fournisseurs d'accès et des producteurs de PC, balladeurs (au détriment des industries culturelles). De même, il vaut mieux être dans la position de Google que dans celle de ses annonceurs.
Autrement dit, la gratuité est très relative: pour que certains acteurs puissent bénéficier (quasdi) gratuitement de certaines richesses, il faut que d'autres les subventionnent en quelque sorte. Tout le problème est de savoir qui paye (donc qui se rémunère) et comment...
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2°) Comment fonctionne cette nouvelle économie ?

Ce qui fait la particularité de cette économie, c'est que les coûts fixes sont très élevés. Ce sont des dépenses en quelque sorte incompressibles, elles ne varient pas en fonction des quantités produites (voir le site du CERPEG).
La distinction entre coûts fixes et coûts variables dans une entreprise est illustrée à cet endroit.

Pour produire un nouveau médicament ou un nouveau logiciel, il faut dépenser beaucoup dans la recherche ou les études de marché (ce sont des coûts fixes).
Une fois réalisé, le coût de production de chaque exemplaire supplémentaire est comparativement plutôt faible (on l'appelle le coût marginal). Concevoir le premier exemplaire de Vista (système d'exploitation de Microsoft) est beaucoup plus coûteux que de produire à la chaîne des DVD d'installation du logiciel.
C'est un peu comme mes cours: pour les concevoir, je passe du temps à chercher des documents, des exercices, à taper cela sur le PC. Par contre, pour les diffuser, c'est très rapide (merci la photocopieuse !!)

Vous, consommateur, c'est un peu la même chose: vous voulez passer à la photo numérique, vous voulez télécharger ?
Vos dépenses fixes seront très élevées: il faut s'acheter un appareil photo numérique, une imprimante, un PC, un disque dur externe, un balladeur, s'abonner à un fournisseur d'accès...
Par contre, vos dépenses suivantes seront faibles: une fois équipés, vous pourrez consommer (des photos, de la musique...) sans trop dépenser (vous stockez vos photos sur des DVD, vos musiques sur vos balladeurs)
C'est ce qui fait la différence avec la période précédente.
En effet, avant, c'était l'inverse: l'appareil photo argentique de base n'était pas très coûteux (coûts fixes faibles), ce sont les développements photographiques qui étaient onéreux (coûts variables élevés).
Dès lors, l'entreprise a des rendements croissants: plus elle produit et vend des richesses ayant un faible coût marginal, plus ses bénéfices seront élevés et lui permettront d'amortir des coûts fixes élevés.

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Ces richesses produites ont une autre particularité: elles sont soumises aux effets de réseaux (voir article de wikipédia)
En effet, pour que leur usage soit optimum, il faut que tout le monde les utilise.
Etre abonné au téléphone, avoir une adresse électronique, utiliser tel traitement de texte, tableur ou logiciel de comptabilité n'est utile que si beaucoup de personnes utilisent aussi ces services.

Conséquence directe: le producteur qui réussit à imposer ces services va bénéficier d'un avantage décisif par rapport à ces concurrents car il bénéficiera des effets de réseaux et des rendements croissants.
Plus il réussira à avoir plus de clients que ses concurrents, plus ces effets joueront...et plus il pourra écarter ses rivaux. Ainsi peut-on expliquer pourquoi Microsoft et Google sont en position de quasi-monopole sur leurs marchés respectifs (90 %  des PC dans le monde tournent avec un système Microsoft; c'est la même part de marché pour Google dans les moteurs de recherche).

Le consommateur y a participé car il a un intérêt: pourquoi utiliser un autre système d'exploitation ou un moteur de recherche différent ?
Les inconvénients d'adopter un autre concurrent sont très élevés: coût d'apprentissage plus élevé (d'autant plus que vous pourrez plus facilement trouver quelqu'un qui vous aide si vous avez Windows que si vous adoptez Linux) , des effets de réseaux moins importants (puisqu'il y a moins de clients qui l'utilisent, ceux qui choisissent le produit rival se heurteront à des problèmes de compatibilité fastidieux...).

De même, les artistes qui distribuent leur musique comptent sur ces fameux effets de réseau pour se rémunérer: les internautes qui auront choisi de ne rien payer pour l'album de Radiohead devront donner des informations personnelles qui seront utilisées pour les prochaines campagnes de publicité (c'est en quelque sorte un financement gratuit d'une étude de marché).
De plus, permettre de télécharger gratuitement ses albums va favoriser une plus large diffusion des albums donc attirer plus de monde dans les concerts et créer une demande pour des biens ou services liés au groupe.

Je n'ai pas traité de la question des logiciels libres qui correspondent à d'autres modes de fonctionnement (mon billet est déjà suffisamment long)
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   Extraits du journal l'Intrépide (1958)


Par contagion (pour prolonger et approfondir):

- Encore un gros coup de coeur, une découverte du web: le site de Michel Volle, un économiste.
- un article de Hubert Guillaud dans InternetActu.net: l'immatériel sera-t-il payant ?
- et dire qu'il y en a un qui avait tout compris, il l'a écrit dans le célèbre wired ici, il y a 10 ans.
- la stratégie de Google sur le site Google stories
- les enjeux économiques de la distribution de contenu: un très bon article d'olivier Bomsel, économiste.


Voici donc quelques clés, mais il y en a d'autres, beaucoup d'autres...

Moi, j'aime bien celle là (jingle)^^


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