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Guerriers et pirates : mythes et réalités

Publié le 08 octobre 2009 par Geo-Ville-En-Guerre @VilleEnGuerre

Le Festival international de géographie 2009 avait pour thème "Géographie des mers et des océans", et plusieurs conférences ont abordé le thème de la piraterie maritime. L'intérêt est venu des intervenants qui ont pris le temps de confronter la part de la mythification du pirate et la part de la réalité de la piraterie maritime. Le festival a peine terminé, l'actualité rappelait la prégnance de la piraterie maritime, avec l'attaque du navire de commandement des forces françaises dans l'Océan Indien (La Somme) dans la nuit du mardi 6 et du mercredi 7 octobre 2009. Les interventions au festival ont permis de rappeler un point essentiel : l'événement est aussi créé par les médias, dans leur construction du monde et de ses dangers, au prisme des vides (les zones, les conflits, les faits oubliés) et des pleins (les lieux, les conflits et les faits surmédiatisés) qu'ils mettent en scène. La piraterie maritime, qui connaît certes un réel renouveau, est aussi une construction médiatique. Eric Frécon a ainsi rappelé, dans sa conférence "Pavillon noir sur l'Asie du Sud-Est" (voir le power-point) tout comme dans la table-ronde "Pirates à l'horizon : une scorie des océans mondialisés ?", que la piraterie maritime représente 3796 attaques entre 1991 et 2005, mais que tous ces actes de piraterie n'ont pas été des réussites, et n'ont pas toujours abouti. On assiste à un doublement de tels actes depuis 2004-2005, mais il n'en reste pas moins que la piraterie maritime n'est pas la menace qui fait le plus grand nombre de victimes, en comparaison à d'autres formes de violences. La piraterie maritime accompagne les vagues de mondialisation, selon une équation que l'on simplifie volontairement ici :
mondialisation = multiplication des échanges = recrudescence des actes de piraterie maritime
Les hauts-lieux de la piraterie maritime s'explique à la fois par les caractéristiques maritimes (voies de passage obligées où les navires sont plus nombreux et les encerclements plus faciles à mettre en place) et par les caractéristiques terrestres (les pirates vivant et s'organisant sur terre pour mener des actions ponctuelles et rapides sur mer : les "zones grises" et les Etats défaillis sont donc des points d'ancrage particulièrement prisés, non seulement pour les facilités d'action, mais également pour les facilités de "recrutement" face à la misère de populations qui s'estiment lésées, voire volées de leurs ressources).
Mais la piraterie maritime et la construction médiatique de cette menace répond également à une mythification de l'image du pirate. Alain Miossec a d'ailleurs rappelé dans la table-ronde "Pirates à l'horizon : une scorie des océans mondialisés ?" (dont la vidéo sera rapidement en ligne sur le site des Actes du FIG) la fascination autour du pirate des mers (beaucoup moins développée pour le pirate des airs, à quelques exceptions de science fiction telles que le dessin animé Albator). La mythification de ce "gentil voyou", de ce "pauvre type sympathique" est bien traduite par la place du pirate des mers dans le cinéma (Pirate des Caraïbes) et les dessins animés (même dans le monde manichéen de Peter Pan de Walt Disney, le "méchant" pirate et ses acolytes maladroits sont mis en scène avec un regard bienveillant).
Eric Frécon a également démontré combien la piraterie maritime est également surmédiatisée au vu de sa réalité tant en termes quantitatifs qu'en termes de pertes économiques. En 2008, par exemple, il y a eu 293 actes de pirateries, dont seulement 34 % ont été des "réussites" (pour les attaquants bien évidemment !). Il ne s'agit pas là de dire que la piraterie maritime est une menace qu'il ne faut pas prendre en compte, mais de montrer les intérêts à une surmédiatisation de cette menace, entre fascination face à ces guérilleros des mers (qui, avec seulement une petite embarcation, peuvent prendre d'assaut d'énormes navires) et redéfinition en cours pour les armées des objectifs prioritaires.

Power-point réalisé par Eric Frécon
présenté lors de sa conférence "Pavillon noir sur l'Asie du Sud-est"
(vendredi 2 octobre 2009 - FIG)


La table-ronde "Pirates à l'horizon : une scorie des océans mondialisés ?", notamment l'intervention du géographe Alain Miossec qui est revenu sur un historique des pirates des mers et sur les réalités de leur conditions de vie, très éloignées des images lttéraires et cinématographiques qui "formatent" notre imaginaire sur la piraterie (par exemple, le personnage de Barbe-Noire), a bien montré que la piraterie maritime, malgré la prégnance de la menace, faisait appel à un sentiment d'indulgence ou de sympathie né de cette mythification.


Mais cette imagerie n'est pas seulement utilisée pour les "guerriers des mers". On retrouve également l'utilisation de tout un folklore qui recourt à toutes formes d'arts (bande dessinée, chansons populaires, poèmes...) autour de l'image du guerrier (celui-ci terrestre) défenseur du territoire dans les pays issus de l'ex-Yougoslavie. C'est ce que montre avec pertinence l'ouvrage récemment traduit en français d'Ivan Colovic : Le Bordel des guerriers. Folklore, politique et guerre (Editions Non-Lieu, Paris, 2009, 204 p.). On est là plus dans le mythe de Robin des Bois, défenseur des opprimés, mais également dans l'utilisation de toute une imagerie du mythe du défenseur du territoire et de l'identité. Ces "guerriers des terres" sont ainsi récupérés dans la construction identitaire à des fins politiques, justifiant la mythification des criminels de guerre, comme défenseurs des "vraies" valeurs, des "bonnes gens", sur un territoire approprié et identifié comme "mon" territoire (et pas celui de "l'Autre", ce "criminel" qui usurpe "mes" terres !). De la terre à la mer, les contes pour enfants, la culture populaire, les Arts sont utilisés pour "formater" notre conception du monde.


A lire en ligne sur la piraterie maritime :

  • quelques références concernant la piraterie au large des côtes somaliennes ont déjà été données en fin de billet "La guerre, la ville et la mer" (11 juin 2009)
  • La thèse de doctorat de sciences politiques d'Eric Frécon La réaction des Etats est-asiatiques au défi de la piraterie sur les mers de l'après-Guerre froide (soutenue le 10 juillet 2007, Sciences Po Paris).
  • Eric Frécon et Henri Grant, "Des terroristes dans le sillage des pirates asiatiques : une menace stratégique ?", Revue Défense nationale, n°08-09, 2003.
  • Gilles Huberson et Eric Frécon, "Pavillon noir : la piraterie maritime contemporaine", Bulletin de l'Institut d'Etudes internationales de Montréal, n°72, décembre 2004.
  • Eric Frécon, "Le retour des pirates. La piraterie maritime au large de l'Indonésie et de la Somalie", La Vie des idées, 4 septembre 2009.
  • Les cartes comentées des actes de piraterie maritime dans le monde en 2005, 2006, 2007 et 2008 sur le blog de M. Augris.
  • Les cartes présentées dans l'émission Le Dessous des cartes du 29 avril 2000 sur "La nouvelle piraterie".


Revues à lire :

  • "Combattre la piraterie maritime", Sécurité globale, n°7, printemps 2009? 135 p.
  • "Pillages et pirateries", Hérodote, n°134, 3ème trimestre 2009, 230 p.

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