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"Les fils de la terre" : au coeur du Japon rural

Publié le 11 octobre 2009 par Bricabraque

Le Japon est aujourd'hui associé à la frénésie des villes de la Mégalopole. A juste titre puisque l'essentiel de la population japonaise (70% soit 90 millions) y réside. Pourtant, il y a un siècle, le pays était encore essentiellement rural. Une grande partie de l'identité et des traditions nippones (religieuses, culturelles,...) puise ses racines dans les campagnes.

C'est surtout après la défaite de 1945 que les campagnes se sont profondément transformées. Avec la réforme agraire voulue par la puissance occupante, les Etats-Unis. L'objectif : dans le contexte de guerre froide, éviter que les paysans adoptent une posture révolutionnaire en protestant contre la concentration des terres aux mains de quelques uns. Deux millions d'hectares ont alors été redistribués. Un million et demi de propriétaires fonciers (jinushi) doivent ainsi vendre à l'Etat qui les revend à quatre millions de paysans. Cet épisode est évoqué dans le manga Ayako d'Osamu Tezuka. La famille d'Ayako était proriétaire de nombreuses terres et doit se résigner à les céder. La conséquence de cette réforme est d'émietter la propriété et de réduire la taille des exploitations. Accompagnée de la mécanisation et de l'utilisation d'engrais, cet émiettement a poussé de nombreux paysans à l'exode rural vers les villes et l'emploi industriel, souvent plus rémunérateur. Les années de la Haute-croissance (1955-1975) ont ainsi vu la population urbaine devenir majoritaire. Dès la première moitié des années 1950, les urbains étaient plus nombreux que les ruraux.

 [source : DF]

L'agriculture japonaise se modernise et engage une course à la productivité comme dans les autres pays du Nord (la PAC européenne date de 1963). Comme ailleurs, le nombre d'agriculteurs baisse. Entre 1950 et 2005, le nombre d'exploitations passe de 6 à moins de 3 millions. La population agricole a été divisée par 3 (37 millions en 1950, 13,5 en 2000). C'est une population vieillissante. la part de l'agriculture dans le PIB passe de 8,8% en 1960 à 1% en 2000. En parallèle, les agriculteurs sont de plus en plus endettés et dépendants des fluctuations du marché.

Pourtant, contrairement à ce qui se passe en Europe et aux Etats-Unis, le Japon n'est pas une puissance agricole. La surface agricole diminue et l'autosuffisance alimentaire recule passant de 90% en 1960 à 40% en 2000. Seule la riziculture échappe à cette dépendance croissante des importations, en particulier chinoises.

Au début du manga Les fils de la terre, c'est cette situation préoccupante de dépendance qui semble inquiéter le Premier Ministre japonais, au point qu'il organise un conseil des ministres sur ce sujet. Un jeune fonctionnaire du ministère de la culture et de l'éducation (en charge des lycées agricoles), Natsume, est envoyé dans une région agricole pour remédier à la crise des vocations. Même s'il ne s'agit pour les ministres et le premier d'entre eux (dont la coiffure rappelle celle du libéral et très populiste Junichiro Koizumi du PLD) que de s'attirer temporairement la sympathie d'une clientèle électorale, Natsume va prendre sa mission très à coeur.

En se rendant dans ce lycée et sa région, il va se heurter au scepticisme des premiers concernés, à savoir les agriculteurs et les habitants des campagnes. Mais sa naïveté et sa créativité débordante vont être de précieux atouts. Je n'en dis pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture. Ses recettes, faire appel à cette entraide paysanne (yui) et ne pas hésiter à mettre en place un Chisan-chisho, c'est-à-dire un système dans lequel la population locale consomme la plus grande partie des produits agricoles locaux. Voilà pour la leçon de japonais...

On aurait pu craindre d'un tel livre qu'il soit quelque peu manichéen en prônant une forme de retour à la terre contre les villes où les valeurs se perdent, bref qu'il ait quelques relents de pétainisme ("la terre, elle ne ment pas"...). Mais il n'en est rien. C'est un manga plein d'optimisme. Finalement, il s'inscrit assez bien dans un projet de reconquête de leur propre destin par les paysans. A défaut de convertir le Japon tout entier à leur système, ils décident de commencer par agir localement. Bref, un éloge de la transformation par le bas en vue d'un Mura-Okoshi (réveil des villages).

  • Jinpachi Môri (scénario) et Hideaki Hataji (dessin), Les fils de la terre, (3 tomes), Delcourt, coll. Akata, 2007
  • Les chiffres concernant l'évolution de l'agriculture et des campagnes japonaises proviennent de l'excellent Atlas du Japon de Philippe Pelletier paru chez Autrement en 2008.

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