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Boire ou aller au ciné…

Publié le 11 octobre 2009 par Boustoune

Hervé rentre dans un bistrot et commande un ballon de vin blanc. Un dernier pour la route, comme le veut l’expression… Il va en avoir bien besoin de ce verre, car la route qu’il a décidé d’emprunter est longue, sinueuse et périlleuse. Elle doit le mener d’une part à accepter son problème avec l’alcool, et d’autre part à entamer un lent processus de sevrage et de contrôle de la dépendance.
Le dernier pour la route est l’adaptation par Philippe Godeau du récit autobiographique d’Hervé Chabalier, où le journaliste, fondateur de l’agence de presse Capa raconte comment une cure de désintoxication effectuée en Suisse l’a mené non à la guérison (car on reste alcoolique à vie) mais à l’abstinence.
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Le scénario est des plus basiques. Il débute par l’arrivée du personnage principal dans le centre et se clôt par sa sortie, quand il est prêt à affronter de nouveau le monde extérieur.
La première phase du séjour consiste en une sorte de «mise en quarantaine». Le patient n’a pas le droit de sortir du centre, ni d’avoir de relations avec le monde extérieur. Il doit déjà prouver qu’il a la volonté de se débarrasser de son problème d’alcool. Ceci passe d’abord par l’acceptation de sa maladie, ce qui est loin d’être évident, les alcooliques n’ayant que rarement conscience de leur dépendance.
Puis il faut s’intégrer au sein d’un groupe d’autres patients, la thérapie prodiguée consistant en une démarche collective. Et là aussi, ce n’est pas une mince affaire, car certains patients souffrent, en plus de leur addiction à l’alcool, de troubles psychologiques qui en sont d’ailleurs la cause ou les conséquences. Il faut donc accepter de se confronter à leurs misères affectives, leurs souffrances, leurs histoires parfois sordides… Autant de choses qui tranchent avec le cadre bucolique du centre, et l’écoute attentive proposée par le personnel soignant.
En fait, entrer dans cette clinique, c’est pénétrer dans un monde assez curieux, à la fois rassurant et déstabilisant. On s’y trouve à la fois infantilisé et responsabilisé. On y perd certains repères, on en trouve d’autres…
Et puis, une fois les règles intégrées, le patient apprend à connaître les membres du groupe, à vivre avec eux, à les apprécier. Ensemble, ils vont pouvoir se soutenir mutuellement, combattre leur dépendance, s’épauler en cas de coup dur et s’épauler pour résister à la tentation de « replonger ». L’idée, c’est de faire du séjour une expérience humaine intense, de tisser entre les patients des liens forts qui persisteront à leur sortie. Car c’est hors des murs du centre que le plus difficile commence. Là, ils seront remis dans un environnement stressant, sous le regard parfois peu indulgent de leurs proches. Et surtout, ils seront soumis à la tentation de reboire de l’alcool. Les occasions ne manqueront pas : fêtes, sorties en boîte de nuit, déjeuner d’affaires… Dans les moments difficiles, ils pourront toujours s’appuyer sur la force du groupe, sur leur challenge commun. Et trouver une oreille compréhensive pour affronter leurs problèmes.
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Le film détaille minutieusement les différentes activités thérapeutiques : les tâches collectives et les moments de détente qui suivent immanquablement, les séances de groupe menées par des psychologues, les cours scientifiques avertissant les patients des risques qu’ils font courir à leurs organismes, les jeux de rôle testant leur volonté de rester sobre…
Certains trouveront cela sans doute trop didactique, trop linéaire, mais ce soin du détail est inhérent à la nature du récit et est totalement justifié par les choix de mise en scène de Philippe Godeau.
Car la grande force et l’intelligence du film, c’est de nous mettre dans la même situation qu’Hervé, afin de nous permettre de mieux nous identifier au personnage et donc, de compatir à sa souffrance. On découvre en même temps que lui l’univers de la clinique, mélange de paix et de tourments, ses règlements, ses rites étranges. On en viendrait presque à se demander comme lui ce qu’on fait là…
Mais, comme lui, on découvre peu à peu le personnel de la clinique et les autres patients. On s’inquiète d’abord de leur singularité avant de s’attacher à eux. On a d’autant moins de mal à le faire que tous les rôles ont été confiés à des acteurs de talent.
Du côté des psychologues et des aides-soignants, on retrouve l’excellente Marilyne Canto et Bernard Campan, qui avait lui-même signé un beau film sur le sujet, La face cachée.
Du côté des patients, Michel Vuillermoz, Eric Naggar et Lionel Astier livrent des partitions sans fausse note, imités par leurs homologues féminines Eva Mazauric et Raphaeline Goupilleau. Et Mélanie Thierry est plutôt convaincante en jeune femme rebelle, un peu sauvage, ayant perdu très jeune toute innocence à cause de son problème d’alcool.
Et puis, dans le rôle principal, on retrouve François Cluzet qui excelle dans ce registre de paumé magnifique, du type sympa engagé sur la mauvaise pente, mais qui va se battre pour réussir à s’en sortir – on en aura prochainement une autre illustration dans le très bon A l’origine de Xavier Giannoli. Il transmet ici à la perfection le malaise de son personnage, homme plongé au quotidien, de par sa fonction, dans les plus grandes tragédies humaines mais incapable de supporter les événements « ordinaires » qui jalonnent sa vie. Le tout, cela va sans dire, avec une impressionnante sobriété…
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Porté par ces comédiens épatants et par une mise en scène elle aussi très sobre, efficace, Le dernier pour la route est un beau film, simple, digne et pudique sur un sujet qui concerne plus de personnes qu’on ne le pense. Son côté très didactique, du style « l’alcoolisme pour les nuls » agacera peut-être certains spectateurs, mais il s’agit d’un témoignage utile pour mieux comprendre cette maladie – car c’en est une – et des moyens aidant à la vivre au quotidien.
Boire ou aller au ciné, il faut choisir… Pour moi, c’est vite vu… Hé ! Comment ça, j’ai choisi l’alcool ? Non mais quelle réputation vous me faîtes, là ? Bon d’accord, j’avoue qu’en cette période de vendanges et de foires au vin, j’ai bien envie d’un petit verre de Vosne-Romanée… Mais j’ai tout autant soif de bons films… Et celui-ci, sans être un grand cru, se laisse boir… euh… voir.
Note : ÉtoileÉtoileÉtoileÉtoileÉtoile
Le dernier pour la route

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