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Nouvelle lecture de l'économie

Publié le 15 octobre 2009 par Cajj

(Repères)

Introduction : en quoi les principales théories sont "classiques"

En économie, deux grandes familles de théories ont dominé les 150 ans qui nous précèdent. Il s'agit des théories néo-classiques et des théories marxistes.  Dès l’origine les théories marxistes se sont inscrites dans la filiation des théories (néo-)classiques ; si elles sont critiques, elles n’en demeurent pas moins classiques. En effet toutes les théories en notre possession ont un fondement commun : la production.    
Ce fondement a comme défaut de fondre en un, deux notions distinctes: puissance et richesse, autrement dit production et circulation.

Dans un premier temps, nous observerons comment notre vision (celle communément admise) de la révolution industrielle -vision explicatrice de la construction des théories économiques- est historiquement infondée.
En second lieu, nous regarderons comment la théorie dite des coûts de transactions, à défaut d’être parfaite, a une puissance explicative complémentaire à celles plus usitées, dans la compréhension des dynamiques de notre monde.   

Pour une vision révolutionnaire de la révolution industrielle

Commençons donc par s’interroger sur la nature même de cette révolution industrielle qui façonne notre société moderne.

La révolution industrielle est définie comme une révolution technique, productiviste. Le progrès technique aurait permis d’améliorer les rendements de l’agriculture (produire plus avec moins de travailleurs); on aurait pu ainsi libérer de la main d’œuvre; celle-ci serait venue remplir les usines en même temps que les techniques et la productivité, progressaient. Plus tard, pour une production croissante, les robots auraient permis de supprimer des emplois dans l’industrie rendant disponible de la main d’œuvre pour le développement des services.

Cette explication classique qui repose sur l’argument technologique, n’est en réalité pas satisfaisante; elle laisse en suspens une question fondamentale. Comment se fait-il que le monde arabe et le monde chinois qui possédaient une avance technique considérable sur l’Europe ne se soient pas développés ?
Une étude approfondie tend à montrer qu’avant de pouvoir se développer, il faut le vouloir. Si l’on observe les principautés au premier millénaire, on remarque que les terres agricoles étaient délimitées de façon précise. Il ne s’agissait pas, à l’époque, de défricher une parcelle de plus pour produire davantage. La culture était organisée par le rituel. La production était un rite.
C’est vers l’an Mil que tout a basculé. Avec la chute de l’Empire de Charlemagne est apparue la nécessité vitale pour le pouvoir en place d’accroître la production. Petit à petit l’échange rituel est devenu un échange économique organisé à l’intérieur d’un marché créé, voulu et contrôlé par l’Etat. On est passé de l’échange d’objets à valeur symbolique à l’échange de marchandises à valeur marchande .
La révolution industrielle est donc la conséquence de la révolution idéologique qui a promu le travail et la production au rang de valeur, mais ceci ne suffit pas à expliquer pourquoi le démarrage a eu lieu en Angleterre et non dans un autre pays.

Il faut que des conditions soient réunies pour qu’une nouvelle technique passe du stade l’invention au stade de l’application généralisée dans un système productif. Ces conditions ont été réunies en Angleterre.
On remarque dans l’histoire de l’Europe le développement de villes comme Venise ou Amsterdam. Ces dernières ont connu une prospérité exceptionnelle . Mais ces villes n’ont, à l’époque de leur prospérité, rien produit. Etonnant dira-t-on, on peut être riche en ne produisant rien ! Leur prospérité a reposé sur leur capacité à organiser l’échange entre deux mondes. Pour Venise ce fut l’échange des productions du Saint Empire Romain Germanique contre celles de l’Empire Ottoman tandis qu’Amsterdam contrôla l’échange entre l’Europe et le Nouveau Monde. Toutes les deux étaient des lieux d’échanges, de circulation. Et quand Amsterdam vivait dans l’opulence , la France de Louis XIV rayonnait de puissance. Cette puissance prenait sa source dans la production (les manufactures de Colbert) mais cette dernière ne générait, comparativement, nullement de richesses.
Au sens de puissance nous entendons pouvoir politique.    
La grande force de l’Angleterre a été de réunir en un même lieu, les Îles Britanniques , un espace de production, par la maîtrise technologique, et de circulation, de par sa situation insulaire. Ce mélange usine-banque, l’un symbole de la production, l’autre de la circulation, a été détonnant. C'est ce mélange détonnant qui fonde la révolution industrielle.

La richesse et la puissance : deux mondes distincts

Notre monde est donc caractérisé par cette formidable et unique association de la richesse et de la puissance, de la circulation et de la production.
Du fait de cette association nous distinguons mal ces deux notions que nous croyons obligatoirement imbriquées. Pourtant un exemple flagrant a longtemps été sous nos yeux. Quand l’URSS était un pays, grand producteur, très puissant et peu riche, la CEE était un espace de circulation, très riche et extrêmement peu puissant.

Le schéma ci-attaché illustre ce qui est du côté de la puissance et ce qui est du côté de la richesse.

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Qu’avons-nous entre la production et la circulation ? La transaction. Il nous faut fabriquer et ensuite répartir cette fabrication. L’économie est l’organisation de la transaction: la production et la mise en circulation de cette production.

De plus, sans entrer dans une démonstration nécessaire, LE marché n'existe pas. Il existe DES marchés autonomes mais interdépendants ; pire, il existe des transactions autonomes. Peut-on dire qu'il existe un marché immobilier ? Chaque produit (neuf, ancien, appartement, centre-ville, maison près de la gare, campagne, ...) est différent. Quelle est l'ambition de tous les responsables du marketing à stratégie de produits différenciés ? Qu'on ne compare pas son produit avec un autre ; non Nespresso ça ne fait pas du café comme Nescafé, c'est autre chose, mais à la fin on boit tous du café.

La hiérarchie (= l'entreprise) et le marché

Il existe deux formes d’organisation de l’échange : la hiérarchie et le marché.
La hiérarchie désigne l’entreprise; dans ce cadre, la coordination des activités économiques repose sur des relations d’ordre et de hiérarchie; on parle à ce sujet d’internalisation: produire en interne (dans l’entreprise) ce qui est produit à l’extérieur. Ce phénomène a été illustré par le mouvement d’intégration verticale qu’ont connu beaucoup de grands groupes.
Dans le cadre du marché nous n’avons plus à faire à un ordre (de la direction à l’ouvrier) mais à un contrat et à un échange (entre le client et le fournisseur). On parle alors d’externalisation; il s’agit pour l’entreprise de faire-faire, de sous-traiter même s’il peut être question davantage de partenaire que de sous-traitant. Ce mouvement d’externalisation s’observe par la fameuse stratégie de recentrage sur le métier d’origine, opérée par nombre d’entreprises; ainsi, on peut dire autant “assemblier” que “constructeur” pour parler des Peugeot, Renault etc. ; ils assemblent des éléments fabriqués dans d'autres usines que les leurs.
Bien évidemment, entre ces deux modes alternatifs de coordination des activités économiques, il existe toutes les formes hybrides inventées ou à inventer (participation croisée, GIE…).

Mais nous devons intégrer dans notre imaginaire économique, que l'entreprise est l'organisation opposée et alternative du marché : créer une entreprise c'est éviter de faire appel au marché.

Constatant qu’il existe deux formes de coordination, on peut se demander pourquoi y a-t-il tantôt l’une ou tantôt l’autre. La réponse est simple, c’est la supériorité sur le plan de l’efficacité économique qui est le critère décisif. Quand l'entreprise-hiérarchie est plus efficace économiquement, elle supplante le marché et inversement.

Mais alors dans quels cas l’efficacité se trouve-t-elle du côté de la hiérarchie et inversement ?

La théorie néo-libérale expose que la libre concurrence permet l’affectation optimale des ressources. Libre concurrence veut dire économie de marché; sur un marché, on a confrontation des offres et des demandes, et c’est donc de cette confrontation que naît l’optimum (c'est-à-dire l'état le plus favorable, le meilleur possible d'allocation des ressources en fonction des conditions données).
Lorsque l’on regarde la réalité, on observe l’existence d’entreprises. Cette observation rentre en pleine contradiction avec la théorie. Car l’entreprise est une hiérarchie, c’est-à-dire l’alternative du marché. Or si le marché permettait d’atteindre l’optimum, il ne devrait pas exister d’entreprise. Et si la hiérarchie s’avère supérieure au marché pour atteindre l’optimum c’est que la théorie est (partiellement) fausse.
Il nous faut revenir aux hypothèses des descendants d’Adam Smith. Il en est une qui stipule que pour que la “main invisible” s’exerce, que pour que la concurrence pure et parfaite soit, il faut que l’information circule librement. Ici librement signifie sans entrave mais aussi sans coût. Or l’information n’est pas gratuite contrairement à l’hypothèse de nos économistes historiques. Et c’est là que tout bascule.


Le coût de transaction : l'oublié de notre réflexion économique

Le coût de transaction désigne le prix du face à face entre deux agents économiques, individuels ou collectifs désirant échanger.
Lorsque la ménagère part faire ses courses, il lui est impossible d’aller étudier les prix dans les cinq grandes surfaces à sa disposition avant d’acheter. Or seule cette méthode permet la confrontation des offres et donc la libre concurrence et donc l’atteinte de l’optimum. Cela lui est impossible car pour faire cette consultation, il lui faudrait investir des moyens et du temps, et le temps c’est de l’argent.
Imaginons que nous soyons une institution. Dans le cadre de nos activités, il nous faut éditer divers documents. Imaginons que pour ce faire, nous recourions à l’appel d’offres (avec sélection du moins disant) pour trouver l’imprimeur le moins cher pour chaque travail. L’obtenons-nous ? Peut-être mais peut-être pas. Car ce que notre comptabilité ne nous dira jamais, c’est la dépense qu’institution, nous aurons faite pour expliquer à l’imprimeur nouveau ce que nous voulons. Si nous gardons le même imprimeur, son habitude de nos travaux, permettra aux responsables du dossier -pour le compte de l’institution- de passer beaucoup moins de temps et d’énergie sur ce dossier (donc d’argent). Il faut que le gain d’un côté soit supérieur à la perte pour rendre un système supérieur à l’autre. Au bout du compte notre institution s’équipera peut-être d’une imprimerie en interne ?
Quand faut-il coordonner la production par la hiérarchie plutôt que par le marché ? Lorsque le coût de transaction est élevé, la hiérarchie est préférable car permettant d’atteindre un coût total (coût de production + coût de transaction) inférieur.
Quels sont les facteurs qui influent sur le coût de transaction ? A cet égard deux facteurs apparaissent fondamentaux : la complexité et l’incertitude des transactions (si vous n’êtes pas sûr d’être livré à l’heure dite et qu’il en va de la survie de votre entreprise, mieux vaut produire en interne l’élément concerné).

Enfin on peut expliquer la performance de certains monopoles

Cette théorie de coût de transaction permet d’expliquer comment un monopole peut être -dans certains cas- économiquement plus efficace pour la collectivité que la concurrence alors que la "théorie" stipule le contraire. Le monopole évite la multiplication des transactions génératrices de coût. Le coût total, rappelons-le est la somme du coût de production et du coût de transaction ; dans un monopole, le coût de transaction chute, la plupart du temps, tandis que le coût de production a tendance à s'accroître, relativement.
Cette théorie du coût de transaction permet aussi de ne pas opposer, sur un plan conceptuel, l’économie soviétique et l’économie occidentale. Le fondement est le même : la transaction dans un système productif. Dans le premier cas il s’agit finalement d’une hiérarchie par la voie de la planification alors que notre monde serait plutôt du côté du marché.       
On a connu un temps des groupes industriels de plus en plus intégrés. Aujourd’hui, il semble bien que la tendance soit à l’externalisation. L’élément marquant de notre présent est l’explosion des moyens de communication bénéficiant de la révolution informatique. Cette amélioration considérable de l’information minimise vraisemblablement la complexité et l’incertitude des transactions et donc le coût de transaction, rendant le recours à l’externalisation plus efficace. On comprend bien alors que l’information est un élément phare de cette circulation si nécessaire au développement de notre société démocratique.

Remarquons que les dictatures -comme l’URSS- ont toujours agit avec la volonté de contrôler l’information; comme par hasard, leur développement économique s’en est trouvé passablement ralenti.


En guise de conclusion

Les théories  économiques  à  notre disposition ne nous ont pas permis d’éviter la crise. L’Histoire semble nous montrer qu’elles ont eu tort de rendre premier la production. La circulation est l’autre facteur indispensable sans lequel on ne peut comprendre pleinement le développement économique occidental issu de la révolution industrielle. Aussi la prise en compte simultanée de la production et de la circulation nous amène à placer en position centrale la question de la transaction. Cette mise en perspective permet d’ébaucher un modèle alternatif aux théories classiques et critiques; sa valeur explicative semble avoir une pertinence supérieure à ces prédécesseurs.
Même si l’on se doit d’aller jusqu’à la construction d’un corpus théorique solide, on peut dès aujourd’hui essayer de porter un regard neuf sur les politiques de notre développement.

1ère remarque : les règles des marchés publics sont une négation de la réalité profonde du marché ; cela entraine des effets pervers.

2ème remarque : cette double approche  apporte une réponse en gestion des entreprises à la question du "faire" ou "faire-faire", internaliser ou externaliser.

3ème remarque : cette double approche appelle les Etats à organiser les marchés en gardant en tête l'objectif de baisse des coûts de transaction

4ème remarque : cette double approche nous conduit à accepter la vraie nature de la Bourse : marché autonome de placement et fabrication d'argent.

Cette volonté nouvelle ne doit pas nous faire escamoter le fait que l’action -à la différence de la théorie- a souvent été davantage contrainte par un réalisme implicite qu’une théorie explicite. Ce qui signifie que notre développement ne s’est pas toujours construit conformément aux indications de la théorie. Intuitivement, les gens et les entreprises ont intégré peu ou prou le coût de transaction dans leur fonctionnement.
CAJJ


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