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Petite Mathilde

Par Argoul

Courses avec Mathilde, petite fille de trois ans. Après un arrêt bonbons, inévitable à cet âge rituel, nous déambulons dans les allées du supermarché pour chercher du basilic. En passant dans le rayon “animaux”, autre arrêt rituel pour observer les petits chats, les petits chiens, les cochons d’inde, les canaris et même les lapins (!) sur les étiquettes des paquets de croquettes, de graines, d’herbes sèches et d’anti-puces. C’est drôle comme les chats ont une bonne tête, on dirait qu’ils sourient. Et les chiens ont de grands yeux de dessins animés, rien à voir avec les mastiffs de banlieue qui croquent les petits enfants - ou égorgent les adultes à l’occasion. Nous sommes dans l’univers culcul de Disney qui voit le monde en rose et le Paradis réalisé sur la terre, pour l’instant dans la seule Amérique…

Pourquoi faut-il que nos marketeurs boutonneux, sortis des écoles ad hoc, imitent cette eau de rose alors que nous savons d’expérience historique, nous Européens, que l’existence n’a rien de rose mais a plutôt à voir avec le rouge sang. Les guerres depuis la Révolution ne nous ont-elles rien appris ? 1815, 1871, 1914, 1940, 1954, 1962, 1991… Elever un enfant, c’est aussi corriger cette cucuterie de la pub : dire que la chat peut griffer si on l’embête, que le chien n’est pas une peluche mais peut mordre, que les animaux ont leur caractère, tout comme les hommes, et qu’on doit les respecter pour qu’ils soient amicaux.

Etrangement, le rayon “animaux” se termine par de grands paquets où fôlatrent des petits d’homme, tout nus. Les paquets de couche suivent les colliers anti-puces… Cela en dit long sur la naïveté pratique de nos contemporains, non ? Un enfant non élevé griffera, mordra, égorgera. Soigner un enfant, ce n’est pas seulement lui mettre une couche ou lui assurer ses croquettes de chaque jour.

Au retour, Mathilde tient absolument à me lire un livre. Ses frères sont partis au foot et elle veut se valoriser.
” A trois ans, tu sais donc lire ?
- …
- alors, vas-y.”

La petite fille va prendre un livre. Ce n’est pas un livre d’images, comme je l’avais pensé. C’est un livre pour garçon de 9 ans, qui appartient à son frère.

” - Bon, alors, il est à l’endroit ou à l’envers, le livre ?
- Ah, tu dois le savoir, c’est toi qui sait lire.
- Oui, mais il est à l’endroit, là ?
- Non, à l’envers.
- Et là ?
- Là, ça va.
- Bon. Je commence. (Elle tourne quelques pages) Le petit chat, il veut pas se réveiller. Sa maman lui dit tu vas être en retard à l’école ! Réveille-toi, petit chat. Ah, non ! Le petit chat veut pas se réveiller. Il est pas gentil le petit chat et la maîtresse va gronder. Bon. Alors. (Elle tourne quelques autres pages). Le petit chat veut pas s’habiller. Met ton pantalon, petit chat, tu vas être en retard. Ah, mais, il se dépêche pas le petit chat…” Et ainsi de suite.

Tout sont art est dans le ton monocorde de celui qui lit vraiment. Pour qui ne la connait pas, on s’y croirait. Il y a les pauses, les silences, la butée sur certains mots. La petite Mathilde est, à 3 ans, un acteur de théâtre.

Lit-elle ? Evidemment non. Elle cherche des images et invente sur le champ une histoire. Une qui correspond à sa vie quotidienne à elle, petite fille. Et notamment aux matins où elle traîne pour aller à l’école. Elle se projette, elle “joue”. Tout comme le font les adultes restés infantiles dans la vie courante.

Mais c’est extraordinaire d’observer ce rejeton d’homme être si pleinement “humain”, déjà. On sent les rouages fonctionner dans la petite tête, les ruses se mettre en place pour “faire croire”, la demande d’attention, d’affection, de reconnaissance.
 
Après la victoire du tiers-monde sur les vieux pays (Argentine sur la France, Afrique du sud sur l’Angleterre), dans un sport inventé par lesdits vieux pays (rugby, remake de la sioule), cela fait plaisir d’observer combien la vie continue. Et combien elle est belle.


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