Magazine Conso

Control

Publié le 21 octobre 2007 par Alexandra

Control.jpg

Certaines villes sont comme nées en noir et blanc. Leurs immeubles arborent des teintes uniformément noircies à la fumée d'usines moribondes. Leurs rares arbres ne connaissent jamais l'automne, ses reflets dorés, son doux embrasement. En prime, le soleil n'y brille jamais. A quoi servirait-il ? Il n'y a rien à éblouir dans ces villes.

Ceux qui restent n'ont jamais connu autre chose. Sinon, pourquoi resteraient-ils dans cette grisaille minée de désespoir ? Ils aiment leur coin par habitude, et aussi à cause d'une espèce de fierté vaine, celle qui empêche la dépréciation de sa terre natale, aussi ingrate soit-elle.

Macclesfield, près de Manchester. Une petite ville triste, en lente décomposition économique, peuplée d'âmes résignées et routinières. Dans sa chambre d'adolescent, Ian Curtis se forge une identité au son de ses idoles. Ils sont partout, sur le mur, au creux de sillons vinylés. Lou, Iggy et David l'inspirent pour ses premiers textes où affleurent un mal-être romantique. Des textes et un romantisme qui lui offriront la main de Debbie lors d'un mariage adolescent un peu précipité. Vient ensuite la rencontre avec les membres de Warsaw, devenu Joy Divison à l'aube de ses premiers enregistrements en studio. La légende implacable se met alors en marche, avec son lot de tragédies. Le succès naissant signera lentement et cruellement l'arrêt de mort de Ian Curtis. Incapable de choisir entre sa femme et sa maîtresse, une jeune journaliste amatrice rencontrée en tournée, le chanteur à la voix caverneuse se laisse ronger par la culpabilité et la tension d'une vie pour laquelle il n'est somme toute pas fait. Il la quittera à seulement 23 ans, en laissant derrière lui des proches anéantis et une œuvre aussi brève que riche et novatrice.

Filmé dans un noir et blanc de rigueur, Control évite à merveille les écueils du biopic mielleux et plein de bons sentiments. Au fil de plans lents savamment enchaînés, Anton Corbijn rend compte avec un réalisme implacable de la descente aux enfers de Ian Curtis, dont le talent signera la perte. Un Joy Division plus vrai que nature assure d'étonnantes prestations scéniques, où Sam Riley campe à merveille le leader dans ses moindres attitudes, toujours à la limite de la rupture, notamment durant un très grand Transmission. Mais outre ces shows d'une perfection étonnante, Control analyse finement le caractère complexe de son héros, que l'on découvre introverti à l'extrême, incapable de s'exprimer autrement que par la chanson. Car le plus grand problème de Ian Curtis réside en lui-même. Torturé par une vie sentimentale des plus inextricables, il fera de lui-même le bouc émissaire de ses hésitations, sans même jamais entrevoir un bonheur pourtant largement à sa portée. Le paradoxe de Control réside dans sa narration d'une froideur et d'une fidélité glaçantes, qui contraste avec l'âme suppliciée d'un héros profondément attachant et désespéré, qui ne sort ni déifié ni même grandi de ce biopic. Et c'est sans doute pour ce réalisme que Control est un film bouleversant et poignant jusqu'au malaise. Ian Curtis n'était pas un surhomme, mais sa légende perdure de la plus émouvante des manières.  


Retour à La Une de Logo Paperblog