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A-P. Mallard, classique malabar

Publié le 21 octobre 2009 par Fric Frac Club
A-P. Mallard, classique malabar A-P. Mallard, classique malabar Je lisais cet après-midi les deux livres d'Alain-Paul Mallard dans l'idée, peut-être, d'évoquer en ces pages son premier, Evocación de Matthias Stimmberg paru au Mexique en 1995. C'est un roman au parcours chahuté : la maison d'édition mexicaine fait faillite, le rendant introuvable ; par chance, Anne Plantagenet le trouve dans une librairie de seconde main, le traduit en français et le fait paraître en 2003 chez Bibliophane, maison qui disparait en 2007 ; en espagnol, l'Argentin Damián Tabarovsky a la bonne idée de le republier chez Interzona, qui met la clé sous le paillasson l'an passé. Beaucoup de péripéties, on en conviendra, pour 64 pages de texte. Dommage : ce livre est absolument superbe. Matthias Stimmberg est un poète d'expression allemande qui, quelques mois avant sa mort, s'est livré à quelques évocations de sa vie passée aux micros d'une radio canadienne. Ce que vous lisez est la transcription en espagnol de propos tenus en français. L'éditeur qualifie le castillan de Mallard de froid. Ce n'est pas mon impression : plutôt qu'à sa langue, cette impression est due à ce que Stimmberg, superbe misanthrope, dit dans ses souvenirs cruels, implacables, dénués de toute lueur humaine et surtout méchants. Elégamment construit et splendidement formulé, Evocación de Matthias Stimmberg vaut aussi (et, qui sait, surtout ?) pour cet étrange aspect mitteleuropéen, tout à fait inattendu chez un auteur mexicain, truffé de références ou d'allusions (ou alors n'est-ce qu'une illusion ?) à l'histoire littéraire de la région au vingtième siècle : sanatoriums, asiles d'aliénés et rats sont des éléments qui côtoient l'apparition, par exemple, de Paul Celan. Ceci dit, et pour rassurer les amateurs de fiction latino-américaine qui corresponde à l'idée qu'ici on se fait de la fiction latino-américaine, il y a d'indubitables échos borgésiens. Il est, vous l'aurez compris, hautement regrettable que ce bref chef-d'œuvre (oui, oui) soit donc si difficile à trouver. On pourrait en dire plus, j'aurais pu m'arrêter là. Je n'avais en tout cas aucune intention d'aborder ici Recels, le recueil publié par l'Arbre vengeur en début d'année, tout simplement parce que l'admirable papier de Bartleby me semblait suffisant, bien qu'il ne discute pas assez ce que j'identifie pourtant comme un paradoxe important du livre et de sa présentation : Recels serait le livre enfin publié d'un auteur sans œuvre, d'un auteur qui, plus précisément, renonce à produire une œuvre qui irait plus loin que son premier roman, alors que neuf des pièces assemblées ici étaient déjà disponibles ici et ailleurs (Words without border, Mercure de France, Maison de l'Amérique latine, Letras Libres et Crítica, notamment : excusez du peu), dans trois langues. La question n'est donc pas tant celle de l'absence de l'œuvre (et en ce sens, il est effectivement un Bartleby à la Vila-Matas, probablement pas un Bartleby « I would prefer not to » à la Melville) que l'idée que l'œuvre ne peut prendre que la forme d'un livre nouveau (« si je n'écrivais pas un livre nouveau, je ne publierais pas de livre nouveau », dit-il dans l'introduction). Soit : je n'aurais pas du tout mentionné cet aspect si autre chose ne m'avait convaincu d'écrire quelques mots sur Recels. De quoi s'agit-il ? De quelques lignes anodines glissées dans le texte d'un débat à l'occasion de la parution d'une anthologie (l'auteur sans œuvre est anthologié et participe à des débats !) élaborée par Tryno Maldonado. Il les mets à profit pour distinguer entre écrivains « apocalyptiques » et « intégrés », lui émargeant à la première catégorie, Maldonado à la seconde, et critiquer l'optique pop de ce recueil auquel il se trouve… intégré :
« L'apocalyptique » voit dans la culture de masses l'hyperbole médiatisée (…) de « l'anti-culture ». (…) « L'intégré » (…) promulgue que la culture de masses étend (…) le domaine de la culture (…) il est convaincu des bontés d'une telle extension.
(…)
Le pop a des relents frivoles, vulgaires, vides (c'est) la culture qui cède au marché.
Maldonado n'est pas un auteur qui m'intéresse outre-mesure mais je ne peux manquer de remarquer que le jugement de Mallard peut facilement s'étendre, dans les mêmes termes, à Thomas Pynchon, David Foster Wallace, Céline Minard ou Manuel Vilas. Ce qui nous est présenté ici, c'est la vision d'une littérature valable qui serait celle de la haute-culture et d'une littérature vulgaire, pop, affidée au marché. C'est évidemment faux : plus que les thèmes, plus que les références, c'est leurs modalités et leurs articulations qu'il faut voir. Signalons également que Mallard dit n'avoir pas été voir plus loin que la couverture et la quatrième de l'anthologie, s'excusant d'avoir, selon l'expression anglaise « to judge a book by its cover » (excuse qui n'a qu'un seul mérite : celui d'exister). Il aurait donc suffit que son éditeur monte en épingle ses références aux Beatles ou à la série scooby-doo (by-doo) pour qu'on puisse dire la même chose de Recels ? Les commentaires de Mallard à ce sujet n'ont pas grand mérite littéraire, c'est une sorte de plaidoyer pro domo dont l'intérêt est principalement de mettre en avant son esthétique personnelle, toute traditionnelle (pour ne pas dire traditionaliste). Il n'y a évidemment aucun mal à ça, surtout lorsque ça donne Recels comme résultat, livre inégal (la longue nouvelle maniériste Le crime de la rue Matamoros côtoyant le superbe Ameising) d'un écrivain à la prose splendide (pour autant, bien sûr, que vous trouviez « bien écrit » ce qui est classiquement, académiquement, identifié comme « bien écrit » — il n'y a pas de fractures, de dislocations de la langue ici), d'un artiste du mot juste capable de rendre des récits de jeunesse touchant et de donner aux textes plus théoriques une profondeur tout sauf aride (ce qui est évidemment facilité par le fait que, contrairement à un Ríos, Mallard limite ce qu'il est demandé au lecteur de savoir : l'approche est toute personnelle, et tout vous est expliqué, pour ne pas dire explicité). Alain-Paul Mallard est de ces écrivains admirateurs de Joyce qui écrivent comme si Joyce n'avait jamais existé. Contrairement à un Bellow (qu'il cite), dont Les aventures d'Augie March (qu'il cite également) ont eu un impact révolutionnaire (« on peut faire ça » ?) ainsi qu'une influence décisive sur un Pynchon, il semble s'ancrer fermement sur le terrain du passé et de la grande tradition. Il l'arpente superbement, et on ne lui reprochera pas de tourner le dos à une conception du littéraire comme laboratoire. Dans ma grande subjectivité, je préfère quand même les écrivains qui ne mettent pas leurs lecteurs dans une zone de confort. Mais si vous, vous êtes (aussi) amateurs de choses joliment et (la plupart du temps) intelligemment dites, je suis pratiquement certain que vous ne trouverez pas grand-chose de meilleur cette année. Je n'en dirai pas plus, d'autres l'ont fait, sans doute mieux (diront l'auteur, l'éditeur, le directeur de collection, la traductrice et les amateurs).

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