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Le ruban blanc

Par Sophielucide

michael-haneke

Film franco-germano-austro-italien de Michael Haneke

Cela se passe en 1913, il y a à peine un siècle et pourtant on est à l’époque où seuls le baron omnipotent qui règne sur son fief, son régisseur, le médecin, le pasteur et l’instituteur ont le droit de parole. Les enfants, les femmes, les « petites gens » ne sont rien; tout est affaire de non-dits, dissimulations, violence étouffée, inceste, droit de cuissage ….on est à des années lumières de notre monde voyeuriste, transparent, ultra technologique mais la violence est toujours la même, inadmissible, incompréhensible et banale. Bâtie sur la rumeur, la frustration, l’inégalité ….et la lutte des classes.

Ce film en noir et blanc se déroule dans un petit village du  nord de l’Allemagne à une époque quasi imaginaire, rythmée par les saisons (les moissons, l’hiver qui sublime cet « hors temps » d’une couche de neige aveuglante)  L’image est magnifique, on la doit à la caméra de Christian Berger

Le narrateur à la voix éraillée par le temps raconte ses débuts de jeune instituteur sous le charme d’une  jeune nurse  timide venue au village pour s’occuper des jumeaux nouveaux nés du Domaine. Le village est confronté à une suite d’accidents troublants, d’attentats inexpliqués, de violence sur les deux enfants « hors norme »de la communauté : le fils du baron, et le fils handicapé mental de la sage-femme.  Les deux vraies victimes collatérales de ce drame qui ne fait que s’ancrer dans une réalité de plus en plus brutale, ne sont que de pauvres paysans dont personne au fond ne se souciera plus que ça. Un accident du travail admis par tous comme une fatalité incontournable suivi du suicide du mari, submergé par une misère que sa femme jusqu’ici rendait peut-être moins insupportable…

Qui a posé un câble entre deux arbres afin de faire chuter le médecin lors de sa promenade à cheval ?  Absent pendant les deux mois qui suivent, il découvre à son retour que sa jeune fille de 14 ans ressemble de plus en plus  à sa mère en même temps qu’il se lasse de sa maîtresse bonne à tout faire à l’haleine fétide. La scène de rupture est magistrale de violence verbale: « Tu dois atrocement souffrir pour être si odieux ».

Une autre scène d’anthologie se déroule entre les deux enfants du médecin dont la femme est morte en couche. Un champ contre champ d’une force bâtie sur la simplicité du dialogue sur la mort. En même temps que le petit garçon comprend que sa mère n’est pas partie en voyage, le spectateur  réalise à quel point après avoir lui-même fait cette découverte de la mort, sensiblement au même âge sans doute, il s’est employé à oublier cette vérité là, trop simple ou trop cruelle….

Pendant deux heures vingt, la tension lente et irréversible, au rythme de dialogues éprouvants,  maintient une pression constante sur une  condition humaine qui s’essouffle. Le pasteur représente l’archétype de la rigidité morale qui devient autistique.  La discussion au sujet de l’onanisme coupable de l’un de ses fils est à la limite du soutenable tandis qu’avec le plus jeune  parvenant à l’attendrir grâce à un petit oiseau tombé du nid, le pasteur se laissera aller à une demi-seconde d’humanité aussitôt ravalée.

Lorsque le régisseur apprend au baron l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand, dont on sait qu’il donnera le signal de la première guerre mondiale, on ferme la parenthèse sur un monde qui n’a plus lieu d’être mais qui en présage un bien pire encore…

Palme d’Or au festival de Cannes 2009


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